Nestorius ne se lavait jamais les mains. Ou si peu que ça ne pouvait être ça, se laver les mains. C'est à peine s'il les badigeonnait d'eau. Il n'y mettait jamais de savon parce que ça lui piquait les mains. La plupart du temps elles étaient sales et graisseuses.
Nestorius était au terme de sa vie d'alcoolique et de pharmacien-chrirurgien de la petite ville de Saintes-Entrailles-de-Notre-Dame, quelque part dans le Nord de la France, on ne sait trop où. On sait cependant que c'était le vingt-six décembre de l'an de grâce mil deux cent trente-huit de Notre Seigneur, Sauveur, Dieu, etc. Une journée qui n'avait rien de spécial dans ce coin-là. Sinon que tout le monde avait trop bu et trop mangé à Noël, comme d'habitude, et qu'ils venaient tous se plaindre à la porte de l'échoppe de Nestorius pour se faire soigner le mal de panse.
Nestorius s'occupait de soigner tout un chacun avec deux ou trois manuscrits et plusieurs drogues qu'il avait ramenés de Paris. Il vivait plutôt bien. Il se salissait les mains avec de la viande et du vin.
On lui emmenait toutes sortes de malades quand on ne savait plus quoi faire avec. Et comme Nestorius n'était pas gratuit, on lui envoyait surtout des oies ou bien des filles. Parfois de l'or. Cela dépendait de la condition sociale. Nestorius adaptait son prix à l'époque et au troc. Ce gros sale était négociable.
À peu près tous les malades que Nestorius soignait mourraient. À cette époque, tout le monde mourrait tout le temps. Cela n'étonnait personne. On envoyait le moribond chez Nestorius puis la tournée se poursuivait chez le curé et le fossoyeur. Et la vie se recyclait une fois de plus en se transformant en autre chose, comme d'habitude.
Nestorius pratiquait beaucoup la saignée. On venait le voir pour une grippe que tout de suite il sortait son couteau et vous saignait ça et là pour se divertir. Il vous refilait ensuite une mixture imbuvable à base de mercure. Puis vous creviez pas trop longtemps après, histoire de laisser de la place aux autres malades qui n'avaient pas que ça à faire, patienter...
Nestorius aimait bien aussi apposer des ampoules de verre sur le dos des unijambistes et des migraineux. Il y voyait toutes sortes de maux traduits en mots latins alambiqués que personne ne comprenait autour de lui puisque personne ne savait lire ni écrire. On leur disait quelque chose en chaire ou en personne dans ce village que tout le monde entendait tout de travers et allait pendre la première femme aux cheveux roux qu'ils voyaient sur le chemin du retour de la messe.
Le latin, c'est depuis toujours une affaire sérieuse à ne pas laisser entre les mains des barbares. Aussi, seuls les riches pouvaient acheter des livres et lire un peu les plaisanteries de Ovide dans le texte. Quant au grec, on s'en foutait un peu. Même les évêques faisaient semblant de le comprendre.
Tout le monde mourrait entre les mains sales de Nestorius. Il était bien trop savant pour avoir tort. Aussi les imbéciles de son village accusaient-ils les démons et les sorcières d'avoir jeter un sort sur leur grippeux ou bien leur scrofuleux. Nestorius empochait tout de même l'argent et se forçait, dans ses loisirs, à faire un peu moins d'expériences sur les riches. Il avait intérêt à les garder vivants plus longtemps pour qu'ils s'achètent toujours plus de belles choses, comme des poèmes ou bien des gravures pornographiques.
C'était le vingt-six décembre mil deux cent trente-huit. Qu'est-ce qu'il foutait à Saintes-Entrailles-de-Notre-Dame? Pourquoi n'était-il pas allé vivre en Italie, dans les États du Pape, dans un royaume de fées et de belles musiques? Mais non, il fallait qu'il s'installe au royaume des cretons et autres cochonnailles. Ça lui donnait l'envie d'en saigner plus encore. Tous ces obèses. Tous ces gens trop bien portants qui venaient cogner à sa porte pour des niaiseries.
-Vous voulez être malades ? Eh bien vous serez malades! Alea jacta est et curriculum vitae verra!
Voilà ce que Nestorius se disait en lui-même en gratifiant tous ses malades d'une saignée ou bien d'une drogue testée sur des pauvres.
La neige tombait à gros flocons.
Comment n'aurait-elle pu tomber autrement qu'à gros flocons, hein?
Les vingt-six décembre, la neige est toujours sous la forme de gros flocons. Tout le monde sait ça.
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