mardi 18 décembre 2012

La pauvreté sale de Vluta

Elle était pauvre comme de la gale et elle s'appelait Vluta. Ne me demandez pas son origine. Elle sacrait comme tout le monde et s'appelait tout de même Vluta. Était-ce une fantaisie de ses parents, Herman Langevin et Maude Grillé? C'est dur à dire. Sachons seulement que ses parents étaient des cultivateurs de la Rive Sud. Ils sont décédés par accident en nettoyant une fosse à purin. Morts par les gaz toxiques. D'où le besoin de prendre plus de précautions que de coutume lorsque l'on nettoie une fosse à purin. On devrait toujours laisser cela à des professionnels. On finit par crever d'économiser.

Vluta n'avait que neuf ans lorsque ses parents sont morts. Elle n'hérita de rien. Ses parents louaient la terre et se devaient le cul. On l'envoya donc chez sa tante, Rita, qui était sur l'assistance sociale et nourrissait déjà deux chats. C'était une tante très timide qui ne mettait jamais le nez dehors. Elle avait peur de tout, même d'un rien.

Vluta devint d'assez bonne heure le seul esprit éclairé de la maison. C'est elle qui réglait tout, même les histoires de bail et de déneigement. Matante Rita était largement inapte au travail. Elle fixait un point fixe toute la journée en écoutant délirer Docteur Maillet à la radio.

Vluta a toujours travaillé depuis la mort de ses parents. En plus de tout faire chez matante Rita, elle livrait des journaux et servait aux tables au restaurant Chez Popo-le-gros-lard.

Comme elle s'était écoeurée, Vluta, de servir des gros malcommodes qui ne lui disaient ni merci ni bonjour! Ils se permettaient tout de même de lui reluquer le cul et les boules comme si elle était un hostie de morceau de steak.

Ça la mettait en calice que les hommes soient si porcs. Le prince charmant ne passait pas souvent dans son coin. Pour dire vrai Vluta dût grandir parmi des vieux chiâleux de l'Ancien Temps parce que tout le monde avait crissé son camp de Sainte-Blandine-des-Mines, même les compagnies minières. Il n'était demeuré que des vieux et des personnes inaptes au travail. Vluta était en fait le seul espoir qu'il se passe quelque chose dans ce village.

Il ne s'y passa rien puisque Vluta partit de son village à sa majorité, laissant sa tante Rita aux soins de ses deux chats et des services sociaux.

Comme elle avait du cran, elle a étudié, Vluta, tout en travaillant. Elle a terminé son secondaire cinq en suivant des cours par correspondance. Puis elle a suivi des cours du soir au Cégep. Pendant tout ce temps elle continuait de servir dans des restos de moins en moins minables. Elle passa de Chez Popo-le-gros-lard à Chez Monsieur Lanthier de Rapaille, un café chic situé au centre-ville de la métropole.

Au bout de tout ça, Vluta obtint son diplôme d'architecte. Elle avait deux enfants qu'elle élevait seule depuis que son chum s'était pendu parce qu'il ne s'aimait plus.

Vluta n'avait aucun contact dans le milieu de l'architecture et, de plus, elle s'était cassée une hanche en glissant sur une flaque d'eau à son café chic. Le choc fût assez terrible. Elle tomba handicapée. Elle avait des pertes de mémoire. Et des problèmes d'argent.

Sa santé mentale déclina pour une raison mystérieuse. Ses médecins se mirent à la bourrer de pilules. Comme elle était devenue inapte au travail elle s'enferma dans sa tanière, comme naguère sa tante Rita, en fixant le vide toute la journée. Au lieu d'écouter le Docteur Maillet à la radio, Vluta n'écoutait rien d'autres que les cris de ses enfants sans rien y comprendre. C'est à peine si elle réussissait à les nourrir. Elle le faisait pourtant, malgré la misère, la maladie et la pauvreté sale. Elle beurrait encore leurs toasts, lavait leur linge et pliait leurs vêtements même si elle avait toujours un filet de salive qui pendait aux commissures de ses lèvres, tellement elle se faisait geler par ses médecins.

Cette année, elle va recevoir un panier de Noël et un peu de gugusses de la guignolée. Vluta va aller chercher son panier en claudiquant jusqu'au local des Petits Frères et Petites Soeurs de la Paix. Elle va tout ramener ça dans sa petite chariote de broche à roulettes.

Les enfants vont encore crier.

Les chats vont encore miauler.

Et Noël sera encore aussi sale et pauvre que celui de l'an passé.

L'important c'est d'avoir de quoi à manger.

On peut se faire des sandwiches au jambon avec du jambon en conserve. Ou bien une omelette au jambon. Des croquettes au jambon. N'importe quoi au jambon.

Il n'y a qu'à servir ça avec une bûche de Noël et tout le monde n'y verra que du feu.

Il y a de belles chansons de Noël à la radio.

Et la radio, ça coûte rien quand on paie son loyer et son électricité.




4 commentaires:

  1. Merci de me faire voyager dans tes univers parallèles. Bon noël et joyeuse année à toi et ta douce mon ami. :)

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  2. Est-ce que tu as déjà visionné ce moyen métrage réalisé par Hubert Aquin avec les commentaires loufoques de Godbout?
    http://www.youtube.com/watch?v=r535DDWaq7U

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  3. Mes meilleurs veaux à toi aussi et à tous les tiens Ben de Drummond...

    ***

    J'avais jamais vu ça Makesmewonderhum. Si t'en as d'autres comme ça, fais-moi cygne.

    ***

    Et hop-là pour un autre compte du temps des fêtes...

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  4. Superbe conte,un peu de bonheur à Noêl pour Vluta et beaucoup pour toi.

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