samedi 5 juin 2010

Le quartier de mon enfance est devenu déprimant

Le quartier de mon enfance est devenu déprimant. Plus jeune, on y trouvait un restaurant ou bien un dépanneur à tous les coins de rue. On y trouvait un boucher, un boulanger, un épicier, un pâtissier, un tenancier, un quincailler, un buandier, une salle de cinéma, un joueur d'accordéon, une diseuse de bonne aventure, un ramancheur, un ivrogne, un sauvage, un fou: tout ce que vous vouliez. Il y avait même des arcades et des salles de billard. Bref, de la vie. Même si ce n'était pas la vie idéale. La misère pouvait s'y faire assez sale. J'avais la chance de vivre dans la plus riche des familles pauvres du quartier. Ce qui fait que la misère, je ne l'ai vue que passer sans trop m'arrêter. Tous mes témoignages à ce sujet ne peuvent qu'être un peu trafiqués. Tenez-vous le pour dit. Pas d'apitoiement s'il-vous-plaît!

Bon. Les maisons, bien que laides et constituées d'armatures plutôt pauvres, étaient parfois en briques et souvent en papier-briques. On voyaient des planches et des clous sortir de partout. Des escaliers extérieurs avaient été placés en hâte des deux côtés. Les façades pouvaient être en briques mais tout le reste était rafistolé n'importe comment, avec de la tôle, du papier goudronné imitant la brique ou le Colisée de Rome, des panneaux publicitaires, du plywood, n'importe quoi.

Peu d'arbres. Sinon le parc des Pins. Le parc des Pins qui est l'une des dernières survivances de ce que fût Trois-Rivières au cours des huit mille dernières années d'avant la colonisation européenne. Une gigantesque forêt de pins avec des plages de sable fin s'étalant tout le long du fleuve Magtogoek jusqu'à son grand lac, dix kilomètres en amont. C'est ce que nous avons perdu. Et c'est ce que nous rappelle le parc des Pins ainsi que l'Île Saint-Quentin.

Dans le quartier de mon enfance, il y avait des poteaux électriques, des cordes à linge et des odeurs de steak haché parfumé aux oignons frits.

Steak haché et oignons frits: l'odeur de la paroisse Notre-Dame-des-Sept-Allégresses, à Trois-Rivières, mais oui le quartier de mon enfance...

Ce quartier qui est devenu déprimant.

Il l'était déjà avant et il ne s'est pas «en-mieux-té» comme on dit dans notre jargon de ruelle...

Des pawnshops.

Des bazars.

Des marchés aux puces.

Comme s'il n'y avait plus que des déchets à vendre.

Tout est à louer.

Tout est à vendre.

Il y a des trous partout.

Mais ils ont heureusement enlevé la clôture de la Wabasso. Une usine de textile qui employait deux mille cinq cents personnes. Mon grand-père, mes oncles, mes tantes, ma mère et même mon frère y ont travaillé. L'usine a changé de mains quelques fois dans les années '90 puis ils ont demandé du cash aux employés, un investissement de trois mille piastres cash par personne. C'était pour la survie de l'usine. Les employés se sont saignés à blanc pour leur survie. Pis les actionnaires ont crissé leur camp au Mexique avec le cash. Je les revois manifester dans la rue en criant «on veut travailler!»

Ouais. Il y a des trous partout dans Notre-Dame.

Et le quartier de mon enfance est devenu déprimant.

1 commentaire:

  1. « Tourisme Trois-Rivières vous invite à découvrir une ville qui offre beaucoup d'intensité au pied carré. »

    C'est une pub que je viens de voir. J'ai pensé à ton texte. Pis à SA ville.

    Prends soin.

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