Ce matin, je suis las mais j'ai le coeur rasséréné. Je ne saurais trop dire pourquoi, dans un cas comme dans l'autre. L'essentiel est invisible pour mes mots. J'aurais beau écrire des tas de bibles que ce n'est pas là qu'il se révèlera le mieux, l'essentiel.
Et puisque l'essentiel échappe à mes mots, je vais vous offrir mes yeux. Je n'ai qu'à pousser la touche Rewind de mon esprit. J'appuie sur Play. Et regardez. Ce sont mes bouchardoscopes du temps des fêtes.
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Chacun avait son numéro artistique dans le temps des Fêtes.
Mon père chantait «C'est à boire, boire, mesdames» alors qu'il ne buvait pas. Il achetait de la bière à Noël et elle virait en pisse de moufette l'été, pour nous enlever le goût de boire quand on s'y essayait.
La soeur de ma mère chantait elle aussi une chanson à boire, sur l'air de Marie-Madeleine-ton-p'tit-jupon-de-laine, où il était question de tirer le bouchon, de le sucer et de ne pas le manger. Elle ne buvait pas plus que mon père. De la noire ou de la blanche seulement, du Kik Cola ou de la Radnor Special.
Ma mère chantait «Enwèye, enwèye la p'tite, p'tite, p'tite... Enwèye, enwèye la p'tite jument...» puis elle et sa soeur se mettaient à rouler leurs r et à mettre des euh prolongés au bout de chaque strophe.
La belle bergère-euh
A des petits moutons-euh
Des petits moutons-euh
Avec-euh deux beus-euh
Les deux frères de ma mère buvaient un peu plus. Ils s'en envoyaient quelques verres en arrière de la cravate avant que de se lancer dans la mêlée. Le plus vieux sortait sa ruine-babines et jouait «Le diable est en calvaire» sur l'air de «L'arbre est dans ses feuilles». Le plus jeune giguait comme un démon en chantant «J'ai l'pied faite su' l'camp madondaine / J'ai l'pied faite su' l'camp madondé / Son genou roulant / Sa jambe berlinguette / Son pied faite su' l'camp / etc.»
Puis, un jour, le cousin a sorti Lucien Francoeur d'une pochette de disque et il a mis du volume pour qu'on entende bien Le freak de Montréal. Du coup, tous les adultes se sont tus. Le temps des chansons à répondre, des gigues et des rigodons venaient de passer. Plus rien ne serait comme avant.
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Dans le temps des Fêtes du temps où vivait mon père, on favorisait toujours deux disques parmi tous les 33 tours que nous avions: Vive la compagnie, de Pierre Daigneault, et En r'venant voir mon ragoût du fantaisiste Lucien Boyer. Pourquoi? Je n'en sais rien. J'ai posé la question à ma mère et mes frères: ils n'en savent rien aussi. C'est comme ça. On sortait ces disques comme on sortait la crèche, le sapin et autres guirlandes. Cela faisait partie du rituel, avec les sandwiches roulées, les bonbons aux patates, le ragoût, la tourtière, les beignes, les tartes, le fudge, le suc' à 'crême, la salade de macaronis...
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Dans les temps des Fêtes, j'allais voir des films au Cinéma de Paris, sur la rue St-Maurice, à Trois-Rivières.
Je me souviens d'y avoir vu Lucky Luke à Daisy Town et Astérix et Cléopâtre.
Puis Star Wars...
Je sortais du cinéma plein de couleurs et de flashes. Je m'achetais avec la monnaie qu'il me restait une barre de caramel Toffee ou une barre de chocolat Mr Big, plus un Pif Gadget, Les aventures de Rahan ou le dernier épisode de L'incroyable Hulk. Je me prenais aussi un Nesbitt à l'orange pour me rincer le gosier.
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Le soir, c'était la partie de hockey quotidienne à la patinoire du parc des Pins. Chaque équipe comptait soixante-trois joueurs. On snappait n'importe quoi, n'importe où, n'importe comment. On se châmaillait. On se donnait des coups de bâton de hockey. Ce qui fait qu'il me manque un bout d'oreille. Je l'ai laissé sur la patinoire du parc des Pins il y a vingt-cinq ans de cela.
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Mes parents se levaient à neuf heures deux fois par année: le 25 décembre et le 1er janvier. Le reste du temps ils se levaient vers cinq ou six heures du matin.
Pendant le réveillon, ma mère disait de prendre des restants du buffet de la veille dans le frigidaire pour déjeuner le lendemain matin. Quelle joie c'était que de nous lancer sans restrictions dans les sandwiches roulées et les beignes tout en jouant une partie de baseball sur notre console Intellivision reçue en cadeau.
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À neuf heures et cinq, si nos parents n'étaient pas encore réveillés, on remettait le disque En r'venant de Rigaud de Lucien Boyer. Ou bien on jouait aux étoiles de la lutte en se crissant de vraies mornifles.
-C'est Noël tabarnak! Vous pourriez pas arrêter d'crier comme des Sauvages? tonnait mon père.
-Mais Pa... On est des Sauvages!
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Excusez-là!
J'ai juste le goût de répondre d'une manière télégraphique, sans m'étendre davantage, sauf pour les chansons à répondre.
RépondreEffacerC'est comme ça.
Tiens, les chansons à répondre, je les entendais du côté de chez mon père. Ils avaient un plaisir évident à les chanter. Nous, les enfants, on trouvait ça ben ordinaire. On savait pas que c'était l'âme d'un peuple qu'on entendait.
Je me souviens d'une anecdote qui a eu lieu chez le voisin. Le père, un bon yiable élevé à la campagne, avait sorti son violon. Après quelques mesures, ses enfants lui ont dit que ce n'est plus la peine, que c'est un peu "niaiseux" que du violon dans le temps des Fêtes.
C'est comme ça qu'on perd nos points de repère.
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Chez nous, question musique, c'était pas génial. Un 68 tour de Fernand Gignac. Je me souviens encore de la pochette... That's it!
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Ben oui, le cinéma de Paris rue St-Maurice. J'y ai fait la queue souvent et longtemps. Te rappelles-tu d'Alaska safari? La ligne d'attente s'étirait presque jusqu'au viaduc de la gare.
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Bravo pour ces souvenirs du temps des Fêtes, Gaétan!
Ah que je les aime, les récits de tes origines.
RépondreEffacerEn digérant la tourtière, les deux pieds su'l bord du combustion lente.
(10:46)
RépondreEffacerHum. Du suc' à 'crême, ça c'est bon. Mais trop, c'est comme pas assez.