mercredi 23 juillet 2008

MON PREMIER COURS AVEC ALEXIS KLIMOV


On a dévoilé hier un vitrail en hommage au poète et philosophe Alexis Klimov. C'est un hommage mérité. De même que celui rendu à Gilles Boulet. Ces deux hommes ont fait beaucoup pour donner confiance aux intellectuels de la Mauricie, pour les libérer en quelque sorte du poids de l'habitude et du fardeau de la médiocrité.

Je n'ai pas connu Gilles Boulet. Je l'ai rencontré une ou deux fois, sans vraiment lui parler.

Mais j'ai connu Alexis Klimov.

Je l'ai même connu d'assez près puisqu'il fût mon professeur et directeur de thèse au cours de mes études en philosophie à l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Il fût aussi mon partenaire de boisson le lundi soir, après les cercles de philosophie, où nous nous abreuvions de vin d'honneur tout en nous moquant des imbéciles ou bien en nous réjouissant d'un type bien qui avait sauvé l'espèce humaine d'un beau geste, d'une belle phrase.

Je ne vous raconterai pas la biographie exhaustive de Klimov. D'autres l'ont fait mieux que moi.

Cependant, je brûle de vous raconter la première fois que je l'ai vu.

MON PREMIER COURS AVEC ALEXIS KLIMOV

C'était à l'automne 1989, après les événements de la place Tien An Men, à l'approche de la chute du mur de Berlin.

Nous sommes trente étudiants entassés dans une salle sans fenêtres du pavillon Ringuet à l'UQTR.

À mes côtés, un type qui a collé la faucille et le marteau sur son coffre à crayons, un autre qui porte des pantalons bouffants lui allant aux chevilles, un qui porte des lunettes en fonds de bouteilles, un vieillard de soixante-quelques piges, quelques vieilles, des types comme tout le monde, des matantes qui retournent à l'université, un avocat, un dentiste, un concierge, un étudiant à vie, etc.

Nous attendons.

Il est neuf heures et cinq.

Si le prof n'est pas arrivé à neuf heures dix, c'est certain, tout le monde s'en va boire à l'Utrek, le bar des étudiants de l'UQTR.

Mais le voilà qui arrive. Un ours aux cheveux noirs avec des favoris blancs. Une pile de livres sous chaque bras, un paquet de serviettes de tables dans la main, il entre en trombe dans la salle de classe, dépose ses livres, ses serviettes de table, s'éponge le front un peu et, voilà, il est fin prêt.

-Bonjour mesdames, messieurs. Ce qu'il y a de plus essentiel dans la vie, n'est-ce pas l'expérience du terrible, je veux dire cette faculté de pressentir cette part de mal qui existe en chacun de nous et que certains ignorent pour le plus grand mal de tous? «L’homme n’est ni ange ni bête , et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête.» Vous l'avez sans doute reconnu. C'est de Blaise Pascal, Pascal qui disait aussi «Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie.»

Et le monsieur est parti! Il nous tient en haleine pendant trois heures, sans pause, sans que nous ne disions quoi que ce soit tellement il est en verve. C'est le meilleur cours que je n'ai jamais eu de toute ma vie. Enfin! Un vrai intellectuel! Pas une foutue imitation!

Jamais il ne s'est présenté. À la fin de son long exposé oral sur le bien et le mal, sur les tièdes qui sont vomis tant par le ciel que par l'enfer, il écrit son nom au tableau avec son numéro de téléphone.

-Voilà où vous pourrez me rejoindre, ajoute-t-il.

-Est-ce qu'on va avoir un syllabus? lui demande une petite rouquine à dents longues.

-Nous verrons cela plus tard madame... Sur ce je vous souhaite à tous une bonne journée!

Spontanément, nous l'applaudissons. Applaudir un prof? Je n'avais jamais vu ça!

Dans une petite ville comme Trois-Rivières, où les intellectuels étouffent, Alexis Klimov était comme une bouffée d'air frais.

Nous n'avons jamais reçu de syllabus de toute la session scolaire.

Je ne l'en remercierai jamais assez.

Son dédain de toute méthode, son mépris des syllabus et formulaires conçus par des fonctionnaires stupides, tout ça m'a naturellement conduit à suivre tous les cours de Klimov pendant mon baccalauréat et mes études à la maîtrise.

Il mérite son vitrail, croyez-moi!

3 commentaires:

  1. Cher Gaétan,

    Ce matin, tu rends un bel hommage à celui qui fut et restera mon Maître.

    Je me laisse bercer depuis quelques minutes par ce bel extrait de Borodin.

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  2. Alors là, ce coup-ci, je t'envie... Sauf que, je ne t'en tiendrai pas rancune ;-) avec l'hommage que tu lui rends, à ton ancien prof, tu me le fais découvrir du même coup (le nom ne me dit que vaguement quelque chose, et je trouve ça trop con de ne pas le connaître déjà - on a bien dû parler de lui dans les médias avant aujourd'hui, non ? je dois être passée à côté, c'est vraiment nul, on manque tellement trop d'êtres comme lui... mais je compte me rattraper avec ses livres, la bibliograhie sur Wiki m'est très alléchante). Merci pour lui.

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  3. Je gage que tu n'as pas vu qu'il y avait un site web qui lui était dédié ?

    http://web.mac.com/sklimov/AKlimov/Welcome.html

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