jeudi 3 juillet 2008

Dans les rues de Québec


La première fois que j'ai visité Québec j'ai compris pourquoi les Québécoises avaient des gros mollets. On arrête jamais de monter ou de descendre des côtes à Québec, surtout dans le Vieux. Les maisons d'un certain âge aux portes trop étroites pour mes épaules se sont agglutinés là, parmi les côtes, au risque de dépenser des fortunes en gros sel tout l'hiver. C'est beau parce que tout y est d'une certaine façon asymétrique. La laideur de nos villes contemporaines tient justement de cette stupide recherche de symétrie. Promenez-vous à Brossard, Ste-Foy ou Trois-Rivières-Ouest. Que voyez-vous? De la symétrie. Et c'est laid. Ça donne envie de prendre un détour plutôt que de passer par là.

À Québec, tout est asymétrique. Et c'est beau.

On prétend que c'est la plus belle des grandes villes du Canada. Seules Victoria ou Halifax pourraient rivaliser. Victoria est belle, d'accord, mais il manque quelque chose. Il manque Québec. Pour Halifax, je n'ai rien à dire. Je n'y suis jamais allé. Donc, c'est toujours un à zéro pour Québec, jusqu'à preuve du contraire.

La première fois que je suis allé à Québec c'était avec mes parents. Je me souviens qu'on crevait de chaleur et que ça coûtait cher dans les restos situés devant le Château Frontenac. On revenait vite à Trois-Rivières où l'on se tapait un repas pour deux dollars au casse-croûte Le Grillon, sur Laviolette. Québec, à prime abord, c'était donc une ville trop riche pour le cul-terreux de Trois-Rivières que j'étais.

La deuxième fois, j'étais avec un groupe d'étudiants, guidé par notre professeur d'histoire surnommé «Flèche». On le surnommait Flèche parce que, paralysé d'un côté, certains étudiants parmi les plus détestables colportaient la rumeur qu'il avait reçu une flèche dans le bras au cours d'une bataille contre les Iroquois... Je le surnomme affectueusement Flèche, aujourd'hui encore, par respect pour lui plus que par mesquinerie, même si cela peut vous paraître étrange. Flèche me semble un nom bien plus évocateur pour un prof d'histoire, vous ne trouvez pas?

Flèche nous a fait faire le tour de Québec en nous racontant des tas d'anecdotes à propos de chaque caillou que nous croisions sur notre chemin. Flèche était en verve ce jour-là. On l'aurait cru guide touristique au Paradis terrestre. Du coup, même son handicap s'amenuisait. Flèche montait et descendait les côtes sans apparence d'efforts. Il était rapide comme... une flèche!

-Ici, vous voyez l'ancienne demeure de Jacques Dupont-Gravé-De-La-Jarretière, tricheur aux cartes professionnel, qui a été pendu pour avoir insulté Dieu en 1683.

Nous avons tout vu cette journée-là, les fortifications, le musée de cire, la reconstitution de la bataille des plaines, le funiculaire, les églises, les chapelles, le magasin de farces et attrapes, la Fourmi Atomique, tout.

Nous avons même vu René Lévesque. C'était en 1984, au point le plus bas de René «King Lear» Lévesque.

Flèche avait arrangé une visite du Parlement. Nous fûmes d'abord reçu par un certain Yvon Picotte, député libéral, qui nous initia aux règles parlementaires: le chef, le whip, le leader, le président, les petits pages qui tiennent des sceptres, des faisceaux ou des verres d'eau, etc.

C'était ennuyant à mourir. Nous voulions voir un politicien d'envergure, le Premier ministre, pas Yvon Picotte. Nous n'étions tout de même pas montés à Québec pour voir un gars de Louiseville!

Quand le gars de Louiseville en eût assez de nous voir bayer aux corneilles, Flèche nous emmena du côté de ce qui nous semblait les coulisses du Parlement. C'est là que l'on vit René Lévesque. Il était petit, un peu rabougri, le front dégarni, la mèche un peu folle au vent et la cigarette au bec. Il avait l'air d'un client régulier d'un Dunkin' Donuts, ce qui le rendait tout de suite sympathique.

C'était probablement la pire période de sa vie. Les ultranationalistes le chahutaient et quittaient le Parti. Lévesque capotait. Seul mon ami Frank osa lui poser une question. Ma mémoire flanche quant à la question. Était-ce une vraie question ou bien une bonne blague dont il avait le secret?

-Monsieur Lévesque... Hee... Aimez-vous ça être Premier ministre du Québec?

-Hum... répondit Lévesque tout en tirant une poffe de cigarette. Hum...

-Pourquoi que ça s'chicane au Parlement?

-Hum... rajouta Lévesque. Vous savez, c'est un peu broche à foin tout ça...

Fin de la citation. Elle pourra être rajoutée aux autobiographies non-expurgées de Ti-Poil.

Vous vous doutez bien que Lévesque s'appelait Ti-Poil pour nous, étudiants, comme le prof d'histoire s'appelait Flèche. Ma génération, dite la génération X, se foutait autant de l'autorité que de l'avenir. Sex Pistols remplaçait progressivement Paul Piché. Que voulez-vous!

La troisième fois que je suis allé à Québec, c'était pour y rester.

J'y ai passé deux ans, de 1987 à 1989. J'y suis d'abord allé pour étudier le droit à l'Université Laval. Comme les livres étaient dispendieux, je changeais des couches au Centre hospitalier de l'Université Laval, où j'occupais les fonctions de préposé aux bénéficiaires. J'étais marxiste révolutionnaire dans mes temps libres.

J'y suis revenu un peu plus tard en 1995, juste quelques semaines avant de repartir à Vancouver.

Puis j'y revins de 1999 à 2000 où j'en profitai pour rattraper le temps perdu et mieux connaître Québec. J'ai fréquenté tous les bars coupe-gorge de la Basse-Ville, dans cette période, pour faire du tourisme à peu de frais. J'animais mon émission, Simplement, sur les ondes de Radio Basse-Ville. Pour alimenter mon émission en billets radiophoniques, j'allais autant sur les Plaines d'Abraham qu'à la bibliothèque Gabrielle-Roy. J'allais aussi à la taverne Jos Dion et au restaurant Chez Janine. Et croyez-moi, j'ai préféré ce côté-là de Québec à celui que nous racontait Flèche...

Au fait, c'est le 400e anniversaire de Québec aujourd'hui.

So what?

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