dimanche 6 juillet 2008

LE CASQUE DE BAIN FLEURI


Nous sommes en 1978, quelque part entre Montréal et Québec, bref à Trois-Rivières.

Il fait chaud cette journée-là.

Nous étouffons dans notre petit logement de la rue Cloutier, dans Notre-Dame-des-Sept-Allégresses, quartier-dortoir de la compagnie de textile Wabasso.

Le temps chaud favorise l'éclosion des chicanes conjugales dans le quartier.

-Mon hostie d'chien!

-Ma tabarnak de folle!

On en entend des vertes et des pas mûres. Les portes claquent. La police vient faire son tour. La folle lance sa bouteille de bière. Le chien essaie de frapper la folle. La police arrête tout le monde pendant que les voisins d'en face se disputent pour une histoire de paie dépensée à la taverne.

C'est là que mon père décida de nous emmener nous baigner, moi et mon frère benjamin.

-Prenez vos béciks les gars, on s'en va se baigner à la piscine du Parc Pie XII.

Parfait. On enfourche donc nos bicyclettes pour fuir un moment notre bas-quartier.

On prend Cloutier, Laviolette, St-Maurice, Champflour puis Bellefeuille jusqu'au parc. Le chauffeur de taxi le plus consciencieux prendrait le même chemin. C'est le plus court.

Arrivé à la piscine, il y a un hic. Le port du casque de bain est obligatoire. Nous ne le savions pas.
Ça met mon père en tabarnak.

-Voyons donc! Un casque de bain maudit christ d'étole de tabarnak! Un casque de bain!

-Qu'est-ce qu'on fait d'bord ? que je lui demande.

-Je l'sais-tu maudit christ qu'est-ce qu'on fait! hurle mon père. Ça prend un tabarnak de casque de bain! C'est qui qui va aller les chercher à ' maison ces hosties de casques de bain du calice? C'est moé! Pédale le fou... Maudit christ de tabarnak!

Le père est dans tous ses états. Il retourne à la maison. Bellefeuille, Champflour, St-Maurice, Laviolette puis Cloutier. Il doit suer un peu puisqu'il fait chaud en saint-chrême. Une température à faire cuire un oeuf sur un hood de char.

Il accroche trois casques de bain à la maison, remonte sur son vélo et prend Cloutier, Laviolette, St-Maurice, etc.

Pendant ce temps-là, moi et mon frère jouons à nous crisser des bines sur l'épaule.

Mon père arrive finalement au parc et nous voit nous crisser des bines.

-Vous êtes encore en train d'vous crisser des bines calice de tabarnak! C'est pas assez qu'j'aille chercher les hosties de casques de bain qu'i' faut qu'en plus vous vous battiez! C'est beau les Bouchard st-calice de tabarnak!

-On faisait juste s'amuser, dit mon frère benjamin.

-Quand est-ce qu'on mange? que je m'empresse d'ajouter.

-Ok! Ok! dit le père sur un ton de défaite. Prenez-vous chacun un casque de bain on va aller se baigner.

Il y avait bel et bien trois casques. Le hic c'est que l'un d'entre eux était vraiment horrible, un casque avec de grosses fleurs roses en caoutchouc. Bref, le casque de bain de ma mère, ou de ma grand-mère je ne sais plus trop. Pas très joli, le casque. Il tombe d'abord entre les mains de mon frère. Je pense que mon père s'est rendu compte de l'erreur. Il espère que ça passe comme du beurre dans la poêle avec mon plus jeune frère.

-J'en veux pas de ce casque-là! Y'est ben qu'trop lette!

Il est vraiment laid ce casque de bain, croyez-moi.

-Échange- avec ton frère d'abord...

-Nooooon! j'veux pas mettre ce calice de casque de bain lette! que je me mets à crier.

-Arrête de sacrer, sacreux! Pis passe-moé l'casque de bain tabarnak! J'vais l'mettre hostie! Vous pensez rien qu'à votre apparence!!!

Nous faisons une entrée remarquée à la piscine du parc Pie XII. Moi et mon frère portons des casques de bain Speedo et mon père, plutôt que de retourner à la maison, porte le casque de bain fleuri. Sa barbe de deux jours jure un peu avec le rose du casque de bain. Il n'en marche pas moins droit comme un i et malheur à celui qui oserait rire de lui. Il sauterait les plombs. Je le connais.

Ouais. n'est pas barré.

Il est maintenant sur la plongeoire.

Et le voilà qui fait une bombe dans la piscine. Nous le suivons, comme des canetons, et faisons aussi une bombe. Plouf! On est enfin dans l'eau.

Du coup, il fait plus frais. On en oublie presque le casque de bain fleuri de mon père.

Au fait, le casque de bain fleuri est sorti de la piscine.

Mon père grille une bonne cigarette près de la clôture. L'exercice, ça donne envie de fumer.

Des filles de notre âge, dans la piscine, pointent du doigt vers le costume de bain de mon père.

-R'gardez le gros monsieur avec un casque de bain fleuri! murmurent-elles près de nous. Ses couilles dépassent de son costume de bain!

C'est vrai. Les couilles de Pa dépassent. Ça complète le tableau.

Pourtant, je n'ai pas honte de mon père.

Nous connaissons sa tendresse sous ses airs bourrus, avec son casque de bain fleuri et ses couilles qui dépassent d'un slip de bain à rayures brunes et jaunes beaucoup trop large.

1 commentaire:

  1. Les sacres commençaient à se faire rares, que je me disais.

    Tes histoires sont souvent amusantes, avec les déroutes finales.

    À part ça, ton récit illustre bien pourquoi les riches sacrent moins. Une occasion de plus de sacrer ?

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