mardi 29 juillet 2008

Lettre à un jeune écrivain prometteur


J'ai reçu récemment une lettre pour le moins étrange provenant d'un illettré qui souhaite devenir écrivain. Permettez-moi de vous la présenter intégralement:



Salue!


J'é 18 an. Je lit thon blog et je ri en côlisse.


Je suie moi aussi écrivin et j'écrient en ce moman un roment sur les sammorails. J'espair gagn; ma vi avec l'écritur?.*/"


Quel consails me donnera-tu pour être écrivin, ou bainn dont best-sellers et vive de ma plum;?


Marci et; veux accpted mé salues distingays.


Antoine R.

Écrivin; engager pasioner d'inforrmatic

Monréal


Sur le coup, cela m'a bien sûr jeté en bas de ma chaise tellement c'était mal écrit. Ensuite, après mûre réflexion, j'ai décidé de lui répondre, histoire de ne pas décourager un jeune auteur plein de talent. Voici ce que je lui ai répondu sans qu'il n'ait à débourser un sou de sa poche.



Lettre à un jeune écrivain prometteur


« Cherchez en vous-mêmes. Explorez la raison qui vous commande d'écrire;

examinez si elle plonge ses racines au plus profond de votre cœur;

faites-vous cet aveu : devriez-vous mourir s'il vous était interdit d'écrire ? »

Rainer Maria Rilke, Lettre à un jeune poète

Cher Antoine,


Ta syntaxe est super mais ton orthographe est nulle. Tellement nulle que cela relève presque du génie.


Pour le moment, tu pourrais vivre de ta plume seulement si tu te la plantais dans le cul dans un contexte bien précis, dans une parade de la fierté ou bien dans un quelconque spectacle de variétés.


À moins que tu ne t'efforces à réduire tes fautes d'orthographe pour les ramener à un niveau plus acceptable, à celui d'un professeur de Cégep par exemple.


Il est possible d'enseigner au Cégep sans savoir écrire, ce qui n'est pas invraisemblable compte tenu de cette époque merdique que nous traversons où, à l'instar de Boèce, le sage ne saurait trouver de consolation que dans la philosophie, voire dans L'heure des quilles à TQS.


J'ai connu assez de professeurs incompétents pour que le rêve d'enseigner au Cégep te soit nettement plus accessible que celui de devenir écrivain, engagé ou pas. Même que tu pourrais facilement devenir l'un et l'autre si tu suis bien mes conseils.


Lorsque l'on enseigne au Cégep toutes les portes peuvent s'ouvrir pour un opportuniste illettré qui se ferait passer pour un écrivain. Il ne suffit que d'avoir les bons contacts et de ne pas porter ombrage à ceux qui veulent qu'on leur baise les pieds pour avoir droit à une publication. Être dénué de talent et méconnaître l'usage du français standard: c'est tout ce qu'ils demandent pour te publier.


Donc, pour devenir écrivain, deviens d'abord professeur de Cégep et tu verras, cela se fera tout seul ensuite. Il ne te suffira que de baiser les pieds des personnes susceptibles de te publier. Tu n'auras qu'à te mettre de l'essence d'eucalyptus sous le nez et, bon sang, tu embrasserais un cadavre que tu ne sentirais rien. C'est un vieux truc d'ambulancier. Ils en ramassent, crois-moi, des cadavres ou bien des éditeurs maniaco-dépressifs qui souhaitent se farcir des professeurs de Cégep.


Fais ton chemin parmi ces ordures en te gardant bien de critiquer leur politique rédactionnelle, même si tout le monde sait qu'elle ne repose que sur des caprices de demis-artistes qui souhaitent se venger de l'art en publiant de la crotte existentialiste ou structuraliste.


On trouvera bien quelqu'un pour corriger tes fautes, voire pour écrire ton livre à ta place s'il le faut. Sois serviable et gentil, lèche les pieds, la bite, la pelote, ce que tu veux, mais lèche. Fais le beau ou le pas beau. Tends la patte. Dis merci.


Évidemment, tu ne deviendras pas best-sellers de cette façon. Tes livres seront bien sûr au programme des lectures obligatoires. Mais tu ne recevras que trois dollars et quart pour tout ce travail avec deux ou trois invitations pour le Salon du livre de Liège ou des îles Mouk Mouk. Malheureusement, cela ne fera de toi, au mieux, qu'un pique-assiette de second ordre. Vois-tu, les pique-assiette de premier ordre n'ont pas besoin de tels artifices.

Pour le best-sellers, tu devras donc t'y prendre autrement tout compte fait.


Je te conseille un thriller, tiens, avec un albinos qui voudrait sodomiser le pape ou son fiancé.


Ou bien fais-toi mettre en prison pour meurtre et raconte ton expérience dans un roman qui pourrait s'intituler J'ai tué.


Succès assuré : le monde aime les gens qui tuent. Tous les tueurs figurent dans le dictionnaire des noms propres : César, Napoléon, Hitler, Raskolnikov, etc. Pourquoi pas toi, hein?


Ne te lance pas dans un roman sur un sujet que tu ne maîtrises pas.


Écrire un récit sur le Japon du temps des samouraïs serait nettement au-dessus de tes forces si je me fie à tes fautes de français toutes plus originales les unes que les autres. C'est à se demander si nous n'étions pas mieux d'écrire au son tant qu'à écrire roman comme tu l'écris: roment. Tu confonds avec froment mon pote. Ou bien avec excrément, je ne sais trop.


Parle plutôt d'un joueur de golf ou bien d'un millionnaire. Laisse-les manger des sushis, les Japonais, et consacre-toi à améliorer ton image: lunettes d'écailles de tortue, cheveux peignés sur le côté, foulard palestinien, tee-shirt de Che Guevara et carte de membre du Parti Québécois. Alors là, ils vont tous flancher, je te jure.


Concentre-toi sur ce que tu connais, en l'occurrence pas grand' chose, pour trouver ton souffle d'écrivain.


Ne te laisse pas influencer par Victor Hugo ou Fedor Dostoïevski. D'abord, ils ne t'inviteront jamais à dîner. Ensuite, ils sont morts depuis longtemps. Enfin, ils ne sont pas Québécois.


Dis que tu es influencé par l'œuvre d'un auteur québécois bien coté dans le magazine Lire, mettons Lison Thibodeau ou Gervais Langevin. Dis que c'est bon même si tu ne te rends pas plus loin que le premier paragraphe. Anyway, l'important ce n'est pas d'être un écrivain mais de passer pour un écrivain.


Tu verras, toutes les portes vont s'ouvrir pour toi. Thibodeau et Langevin se sont bien placés les pieds, crois-moi. Ils sont extrêmement vaniteux et quand on leur flatte l'ego ils font des pieds et des mains pour publier le renard qui leur fait lâcher le bout de fromage puant qu'ils tiennent dans leurs becs de goélands coprophages.


Exerce-toi à décrire ta chambre, ton salon, ta laveuse, ta fiancée, ton chien, ta chaise ou ton député de comté. Pour le député de comté, tu peux aussi lui demander du fric pour aller en Belgique, en Suisse ou en France, pour te ressourcer, pour trouver de l'inspiration et vendre une ou deux copies de «J'ai tué».


Pour améliorer ta langue française, je peux seulement te dire comment je m'y suis pris moi-même. J'ai lu deux auteurs français du Moyen-Âge, trois de la Renaissance, quatre du Siècle des Lumières et aucun du vingtième siècle.


Cela m'a permis de comprendre que l'orthographe n'est pas une loi immuable, entre autres, ce qui te laisse encore une chance de percer dans la littérature française d'autant plus que tu écris « je » exactement comme cela s'est toujours écrit à travers les âges.


Tu connais presque tes classiques.


Si tu n'étais pas si paresseux, cela ferait longtemps que tu l'aurais écrit, ton best-sellers.


Prends soin de toi Antoine et méfie-toi de tous mes conseils.


Tu es un écrivain bien plus prometteur qu'il n'y paraît.


Salutations,


Gaétan B.

PS: Un don de cinquante sous serait apprécié pour tout ce temps que j'ai pris pour t'écrire. Tu peux me l'envoyer par Paypal. Récris-moi et je te dirai comment faire.
Ciao!

3 commentaires:

  1. tout simplement mort de rire : )
    Belle lettre et tellement vrai !

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  2. Je ne comprends pas très bien votre intention : ridiculiser ce garçon, ou vous mettre en valeur ? Un peu des deux ?

    Je pense à vrai dire qu'il se moquait de vous en vous envoyant une pareille lettre. Et si ce n'est pas le cas, pourquoi vous vanter de votre réponse ô combien incisive ?... Je trouve cela assez triste de chercher à se montrer plus fort, de chercher à dire à la terre entière "regardez comme mon esprit est foudroyant, drôle, talentueux !".

    J'ai personnellement eu la flemme de lire votre lettre jusqu'au bout.

    Bonne journée

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  3. Cher FS... Il n'y a rien de vrai dans ce que j'ai écrit. C'est purement et simplement de la littérature... Peut-être que je n'ai pas été assez clair à ce sujet. Je ne parlerais jamais à quelqu'un sur ce ton condescendant dans la vraie vie... C'est une blague, une farce, enfin une galéjade... Désolé pour votre flemme et au plaisir de vous faire lire des trucs moins déplaisants sur mon blogue nul à chier.

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