jeudi 24 juillet 2008

GONZO BÉCHARD, PREMIER DE CLASSE


Gonzo Béchard était toujours le plus grand de la rangée à l'école primaire St-Jean-Bosco, saint patron des enfants pauvres. Il dépassait toute la classe d'une tête. Et plutôt que de baisser la tête, Gonzo avait décidé de la relever toujours plus haute, d'autant plus que son prénom était ridicule. Gonzo! C'est à se demander si ses parents savaient que c'était un prénom des années folles, à l'époque où les filles s'appelaient Florida et les garçons Gonzo, comme dans Gonzo Gariépy ou Gonzo Béchard.

Donc, Gonzo marchait la tête droite. Et il dépassait tout le monde d'une tête même au plan scolaire. C'était un premier de classe, Gonzo, celui qui était toujours choisi pour lire un texte en classe lors de la visite de la directrice ou du concierge. Il avait un joli brin de voix et, de plus, il n'y avait que lui et Hélène St-Maurice qui savaient lire. Les autres, c'est-à-dire nous, eh bien on faisait dur en tabarnak.

Gonzo lisait bien à voix haute, mais il lisait encore plus sans voix, superbement concentré, à la bibliothèque de l'école ou bien à la bibliothèque publique. Comme il lisait tout le temps, il pétait des scores en classe. Ses bulletins étaient impeccables: un cas pour recevoir un jour une médaille du Gouverneur général du Canada.

Et savez-vous pourquoi Gonzo lisait autant? C'est bien simple, Gonzo n'avait pas le choix. Tous ses profs le condamnaient à purger du temps à la bibliothèque compte tenu de son mauvais comportement en classe. Dès que Gonzo s'ennuyait, parce que ça faisait six mois qu'il avait compris une règle de grammaire que l'institutrice s'acharnait à transmettre à notre bande de mollassons, eh bien il se mettait à faire des farces ou bien à caricaturer son prof. Il se faisait toujours prendre parce qu'il riait fort de ses propres blagues.

-Gonzo! À la bibliothèque!

Encore une fois, Gonzo devait aller à la bibliothèque pour s'éduquer tandis que nous n'apprenions rien. C'était la condamnation qu'il souhaitait. Il prenait encore plus d'avance dans la matière et revenait en classe pour faire chier son prof avec ses connaissances fraîchement acquises. C'est que Gonzo avait pour idole le rat de bibliothèque dans Batman. Il savait que c'était faisable, lire à la vitesse de l'éclair. Il ne suffisait que d'emprunter un livre, tiens: Lire à la vitesse de l'éclair, cours de lecture rapide. Tout est à la bibliothèque, tout. Et lisant vite comme l'éclair, Gonzo se mit à lire les manuels des professeurs et tous les trucs les plus soporifiques, dont le dictionnaire Larousse, dans lequel il soulignait les mots qu'il ne comprenait pas pour les réviser la semaine suivante.

Gonzo, c'était comme le p'tit Christ qui faisait chier les docteurs du temple.

-Alors, demain, les p'tits z'amis, nous allons parler des continents...

-Allons-nous aussi parler de la théorie de la dérive des continents du physicien-météorologue Alfred Wegener, madame? pouvait répliquer Gonzo.

-Où c'é' qu'tu prends ça Gonzo tabarnak? entonnions-nous tous en choeur.

-Gonzo! Ça suffit! Va-t'en à la bibliothèque! s'offusquait l'institutrice.

Et Gonzo retournait à la bibliothèque pour se claquer encore plus de livres.

Lorsqu'il revenait en classe, les cours lui semblaient toujours plus lents, plus lourds, plus monotones. Il lisait, il dessinait ou il riait. Et il riait comme un fou, tout seul ou en groupe, avec ce stupide filet de salive aux commissures de ses lèvres, signe d'un contentement pour le moins honteux en un monde si triste pour tout un chacun.

Quand il ne lisait pas un livre, Gonzo dessinait en classe. Et il faisait circuler ses conneries parmi nous. Il dessinait, entre autres, des filles avec des gros seins qui le rendaient populaire auprès de nous parce que, déjà, il savait rendre ça juteux. Ou bien il dessinait un de ses profs pendu après un arbre avec un Iroquois alimentant un feu sous la plante de ses pieds.

Je ne sais pas ce qu'est devenu Gonzo aujourd'hui, mais bon sang qu'il a dû s'emmerder quand j'y repense!

En fait, je sais bien ce qu'il est devenu, mais ça n'ajoute rien à mon récit.

Gonzo, vous l'aurez deviné, c'était un peu moi, comme Madame Bovary c'était un peu Flaubert. Gonzo me va mieux que Madame Bovary, cela dit.

Je ne voulais pas passer pour un hostie de prétentieux.

J'ai sublimé mon parcours scolaire par le biais d'un artifice littéraire. Gaétan Bouchard est devenu Gonzo Béchard. N'est-ce pas que je sais comment m'y prendre, hein?

Le métier d'écrivain me rentre dans le corps. J'écris avec les deux doigts dans le nez. Bon sang que c'est plaisant d'avoir tant de talent pour écrire en si peu de temps. (À peine trente minutes, chronométrées!)

NOTE DU VIETNAMIEN


NDV (Note du vietnamien, un acronyme qui ne signifie rien pour le moment puisque je ne suis pas Vietnamien.)

NDLR (Note de la rédaction?) NDLA (Note de l'auteur, tiens.)

J'avais écrit tout ce récit dans ma tête ce matin, tout en me brossant les dents et en parfumant mon corps budspenceromorphe. Si j'avais pu le télécharger de ma tête vers la machine, j'aurais épargné un temps fou que j'aurais pu consacrer à chanter sous la pluie ou bien à me familiariser avec la langue vietnamienne.

Xin chào tạm biệt! Au revoir, comme disent les Vietnamiens...

1 commentaire:

  1. Tu m'excuseras de relever ton handicap, mais t'as que deux doigts ?

    C'est bien beau d'écrire à la vitesse de l'éclair, mais t'es pas encore parvenu à tirer plus vite que ton ombre. Oui, oui, ton ombre, celle-là même qui s'est agglutinée en motton entre tes doigts de pieds avec lesquels tu écris (conclusion logique tirée de ce que tu as raconté toi-même : élémentaire, cher Watson).

    Ne me remercie pas, on peut toujours compter sur ma langue de vipère pour dégonfler les chevilles enflées. C'est un service social offert gratisss !

    (À part ça, je sais, le fou est un mâle né, c'est serf.)

    'Pâte à physique et ciel de gazelle !

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