Il avait été très gros jadis. Il était désormais plus mince et plus souple.
-J'ai déjà pesé deux cent cinquante livres... avait-il mentionné.
Là, sous les draps de ce lit d'hôpital, l'homme de septante années ne devait pas faire plus de la moitié de son poids d'antan. Il était mince, décharné et, malheureusement, démembré. Et c'était sans compter ces multiples cancers qui lui avaient ravagé la prostate, le pénis, l'anus, la gorge, l'oreille interne droite, la peau et j'en passe. Il nous en passait des frissons dans le corps à seulement lire son dossier médical...
Bref, cet homme se trouvait dans une situation qu'aucun être humain ne se souhaiterait.
S'en plaignait-il? Pas vraiment. Bien que nous ne fussions pas dans sa tête, on supposait y trouver de la bonne humeur. Était-ce le syndrome du clown triste? Non. Il ne faisait pas le clown. Il était seulement toujours de bonne humeur.
Le personnel médical allait le voir pour se reposer. Ce monsieur-là était calme, facile pour ses soins, autonome dans des actions que personne n'aurait cru le voir faire. Il valsait de sa chaise roulante à son lit, de son lit à sa chaise d'aisance, comme s'il était feu le lutteur Édouard Carpentier voltigeant sur les câbles du ring.
-Vous êtes toujours de bonne humeur vous... qu'on lui disait en plus de lui dire «ça s'ra pas long», comme à tous les autres patients.
-Ah! Moé j'm'en fais pas. I' fait beau chu content. I' fait pas beau chu content pareil. Pourquoi c'que c'est qu'on s'en f'rait pour les choses qu'on peut pas changer? philosophait-il.
-Vous avez bin raison...
-E' l'sais pas si j'ai raison mais c'est plus facile vivre de même que de toujours s'en faire pour des hosties de niaiseries qu'tu peux rien faire contre elles... Un m'ment d'nné, tu nages avec le courant au lieu de t'épuiser. Pis c'est t'es chanceux, bin tu vas flotter encore un boutte... Moé i' m'manque des bouttes pis j'flotte encore... Pis j'ai la chance de vous rencontrer, vous, que j'connaissais pas avant d'venir icitte. Une autre belle personne de plus dans l'histoire de ma vie. Chu gâté! J'aurais pu encore plus mal tomber... Vous trouvez pas? Ha! Ha!
Quel monsieur! Poli, vouvoyant et gentil.
La télé n'était jamais ouverte dans sa chambre. Il n'en voulait pas.
-J'écoute la radio. Ej' r'garde dehors. Ej'lis. Ej'mange. Pis chu bin traité. Ej'sais pas combien j'ai eu de préposées, d'infirmières pis d'autres spécialisses après moé! Chu satisfait. Pis c'est pas moé qui vas vous achaler!
Ça n'a pas duré longtemps.
L'infection progressa.
Puis il en mourut deux jours plus tard.
On ne l'avait connu que trois jours au centre hospitalier régional où il avait été transféré suite à un autre épisode de coma diabétique.
Il aura laissé la trace d'un bon monsieur, pas compliqué, facile à soigner...
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