Cette histoire s'est passé en des temps de misère et de pestilence.
En ces temps-là, comme en tous les temps sombres, les plus futés ne cherchaient qu'à fuir la populace en quête de boucs émissaires à sacrifier. Il ne suffisait que de dépasser d'un seul cheveu ces larbins soumis à leur bol de soupe pour devenir la créature à clouer au pilori. On ne voulait plus des originaux. On voulait des gens à leurs affaires, la tête baissée, toujours prêts à laisser se commettre quelque holocauste sans même chercher à savoir ce qui s'était passé. Comme si tout s'équivalait. Comme si tout était pareil. Manger un cornet de crème glacée ou bien arracher un ongle à froid: pareil!
En ces temps-là, oui, le monde était devenu particulièrement stupide et sans coeur.
La politique avait toujours été plutôt investie par de tièdes opportunistes qui prenaient leur cote comme tous les autres. Pourtant les grenouilles dans l'étang supplièrent Zeus de leur envoyer un roi moins paresseux que ces canards. Alors il leur envoya une grue qui les dévora toutes, comme dans la fable d'Ésope, volée par La Fontaine le paresseux.
Les plus sages avaient eu raison de dire qu'il faut se méfier des excès d'enthousiasme. Parce que tout le monde va finir par y goûter. Et pas nécessairement pour le mieux. Parce que l'humain est bien plus gouverné par ses appétits que par ses idées. À l'instar de Humpty Dumpty en équilibre sur son mur, il vous dira qu'il décide lui-même de la signification des mots parce que c'est lui le boss - un point c'est tout! Tout le monde doit obéir à Humpty Dumpty alors qu'il n'est qu'une grosse coquille vide.
Bref, cette histoire s'est passée en ces temps-là.
C'est comme si elle ne s'était pas vraiment passée.
Parce qu'en ces temps-là, les plus sages se cachaient et se taisaient.
Que vouliez-vous qu'ils fassent?
Se battre, bien sûr.
Mais avez-vous déjà tenté de battre de la merde?
Ça revole partout. Vous en avez plein le visage ensuite.
Le plus sage, vraiment, c'est de ne pas piétiner la merde.
Et aussi de savoir encore faire la différence entre manger un cornet de crème glacée et arracher un ongle à froid. Le reste, ça se travaille à partir de la reconnaissance de ce fait-là.
Voilà.
Et de nos jours, bien sûr, de telles histoires ne se reproduisent plus.
Évidemment.
Les gens savent vivre de nos jours.
Et puis ils sont un peu plus éduqués qu'en ces temps-là.
Ils ne sortent plus leur revolver quand ils entendent Satie.
Ils n'ont pas honte d'aimer, de démontrer de la tendresse, d'être aimables envers autrui.
Comme quoi les larbins et les lâches finissent aussi par passer, comme les eaux sales du printemps.
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