Dans les quartiers pauvres, on trouve toutes sortes de personnes. Dont moi-même.
Moi, je ne sais même pas si je suis représentatif de ma classe sociale. J'ai bien sûr ce ton gouailleur ainsi que ces blasphèmes et autres sacres qui jaillissent à torrents de ma bouche. Je suis une armoire à glace de six pieds deux pouces avec des bras noueux parcourus de veines plus gros que des jambons. Par contre, j'ai fait trop d'études pour ne pas être contaminé par les poncifs et les poses de la bourgeoisie, la grande comme la petite. Je suis un ours diplômé...
Je vous épargnerai bien sûr un long et vibrant réquisitoire social puisque vous finiriez par me dire, avec raison, que je m'en fais pour rien. Il est normal qu'il y ait des gens qui soient tenus pour presque rien et c'est comme ça dans les abattoirs comme dans les quartiers pauvres. Cette leçon entre difficilement dans ma tête mais à force de me répéter de telles vomissures je finirai peut-être par m'y habituer et même y prendre plaisir. Il n'y a rien comme faire souffrir les moins chanceux d'entre nous pour se donner un peu de bonne humeur pour commencer sa journée à en faire souffrir toujours plus.
Donc, je ne sais vraiment pas où j'en étais...
Je devais sans doute avoir à vous raconter quelque chose.
Puis j'ai dérapé. Comme d'habitude.
***
Ah oui! J'y suis.
C'était pour vous parler de deux ou trois gars que j'ai connus.
Cela se passait dans les années '80.
Deux sont morts noyés dans le fleuve Magtogoek, à la hauteur de Champlain, défoncés à je ne sais trop quoi.
Un autre est mort en sautant par-dessus un rempart de l'autoroute 755. Il sautait généralement là où il y avait un terre-plein. Mais il s'est trompé de quelques mètres cette fois-là et a fait une chute dans le vide à la hauteur du viaduc.
Un gars efféminé qui faisait rire de lui a été assassiné dans un sauna à Québec.
Un chic type s'est suicidé en se mettant un sac de plastique sur la tête.
Un autre s'est fait éclater la tête par son voisin qui était un peu marteau.
Et puis il y a Chosebine. Je ne vous dirai pas son nom. On jouait au hockey avec au Parc des Pins. C'était un bon gars. Puis un jour il s'est mis à vendre de la dope. Puis quelques jours ou années plus tard, sa copine se faisait assassiner chez-elle tandis que lui, eh bien, on ne l'a jamais retrouvé. Certains crurent que c'était lui l'assassin. Mais tout le monde sait que c'était un règlement de compte. Sa copine s'est fait tirer et lui repose peut-être dans le fleuve, dans un sac de couchage, comme X, Y ou Z qui ont eu le malheur de cogner trop fort à la porte du dealer de poudre à cinq heures du matin.
Je pourrais aussi vous parler d'Untel et Unetelle: braquage de banque, vol dans les dépanneurs, prostitution, proxénétisme et j'en passe...
Je pourrais vous raconter toutes sortes de violences gratuites survenues devant mes yeux au cours de mon enfance dans un quartier pauvre.
Dans un quartier où il y avait 40% de chômage, de 1981 jusqu'à tout récemment. Toutes les usines ont fermé et, du coup, tout le monde s'est mis à voler. C'est aussi simple que ça.
Mais à quoi bon? Ça n'intéresserait que ceux et celles qui n'ont rien. Et encore! Ils ont besoin de rêver eux aussi.
À vrai dire, je vous raconte n'importe quoi.
Ces tranches de vie coupantes comme le fil d'un rasoir sont faites pour les tribunaux, pas pour les gens ordinaires comme vous et moi.
Comme vous et moi qui lisions des romans tandis que les autres s'arrachaient la tête ou se défonçaient en sniffant de la colle dans le Parc des Pins.
Ce qui est tout à fait raisonnable, somme toute.
Comme il est raisonnable que les pas de chance trouvent un peu d'espoir chez des brutes qui les habillent en noir en leur donnant de grandes tapes dans le dos.
-Personne s'occupait de toé mon gars? Nous autres on va s'occuper de toé... Bienvenue dans la familia!
Jusqu'à ce qu'on le retrouve dans le fleuve, petit soldat mort au front pour une guerre qui n'était pas la sienne.
Les pauvres servent toujours de chair à canon pour tout le monde. C'est pas nouveau.
Eh misère!
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