Réjean était un solitaire qui n'espérait plus rien de l'humanité. Il savait que les larbins avaient gagné la partie quoi qu'il fasse. Jouer au larbin allait à l'encontre de sa capacité à se regarder dans le miroir sans se reprocher d'être une lopette. Alors, il se tenait à l'écart de toute forme d'association, de regroupement ou de parti où ce sont toujours les plus lâches qui triomphent.
Or Réjean écrivait. D'aucuns l'avaient remarqué et crurent bon de l'encourager dans cette voie.
-Tu devrais publier ici et là... Tu devrais envoyer un manuscrit... Tu devrais cogner à telle porte... Tu devrais... Tu devrais... Tu devrais...
Il les écoutait avec un mélange d'impatience et de compassion. Comment vouliez-vous qu'il puisse être contenu dans un moule où les meilleures parties de lui-même dépasseraient et seraient d'ailleurs charcutées pour cette raison?
-J'aime trop écrire pour perdre mon temps avec les maisons d'édition, les concours et tout le tralala... D'abord, publier pour quoi faire? On peut tout partager sur l'Internet et ça ne coûte pas un sou...
-Mais l'estime de tes pairs, des autres écrivains, et puis les subventions... tu vois...
-Je n'en ai rien à foute de ce jeu-là. Je me suis emmerdé chaque fois que j'ai assisté à un lancement de livre... Untel parle de sa chaise pendant trois cents pages... L'autre nous convie à je ne sais trop quelle sonate creuse... J'ai toujours l'impression de lire les confessions d'un poisson mort qui a léché le cul d'une raie...
-Tu y vas un peu fort Réjean! Il y a encore de très bons auteurs! Tu dis tout ça parce que tu es jaloux de leur succès...
-Quel succès? Trois cents copies vendues à des professeurs? Ils ne recevront même pas quatre sous pour leurs efforts... À peine une tape dans le dos... Et puis ils passeront deux ans à lui dire de modifier ceci ou cela dans le manuscrit jusqu'à ce qu'il ne reste que de la merde... Non! Non! Très peu pour moi...
-Pourtant tu devrais participer au concours de la nouvelle de la Société des écrivains de l'Est. Tu pourrais te mériter 500$ tu sais...
-Foutaises...
Revenu chez-lui, Réjean constata que son réfrigérateur était vide parce que la vie lui coûtait trop cher.
Sa conversation avec le type lui revint.
-Mouais, je pourrais gagner 500$ si personne ne participe... Il paraît que tous les textes sont remis aux juges sans qu'ils ne connaissent l'auteur... Peut-être que l'anonymat... Et puis 500$ c'est 500$...
Réjean eut donc la faiblesse d'envoyer une nouvelle au concours de la Société des écrivains de l'Est.
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