Dieu a toujours été un homme très occupé. On n'a qu'à regarder les étoiles un moment pour se rendre compte qu'il a du pain sur la planche, même s'il est plutôt du genre à intervenir le moins possible dans la gestion des succursales de la vie disséminées ça et là dans l'univers.
-J'ai beaucoup trop de territoire à couvrir, disait Dieu. Au début, je me disais qu'une petite création suffirait à me soulager de l'ennui... Mais vous savez ce que c'est. On commence par une planète, puis on ajoute un soleil, une lune et des étoiles pour faire joli. Puis ce n'est jamais assez. Il faut en faire d'autres, encore et encore, comme si l'on ne voyait jamais la fin. Voilà pourquoi je laisse à mes petites créatures la gestion de leurs affaires, sans quoi je deviendrais fou! Je leur donne les grandes lignes en leur envoyant des signes et des devinettes, pour ne pas me faire trop repérer, sans quoi elles n'auraient jamais fini de venir me voir pour se plaindre... Puis je les regarde aller de temps en temps, furtivement, au gré de mes voyages.
Or, la Terre lui avait toujours causé bien des soucis. Il avait toujours su qu'il avait bâclé un peu son travail. C'était dans une semaine où il régnait tout un tohu-bohu autour de lui. Il y avait des courts-circuits partout dans l'univers. Des étoiles explosaient pour rien. Des trous noirs engloutissaient tout. Il n'avait pas pu donner son 100% pour la Terre compte tenu des circonstances.
Lorsqu'il était revenu, il avait constaté que les singes en menaient un peu trop large, surtout les singes nus qui s'étaient mis dans l'idée de faire ce qu'ils voulaient, beau temps mauvais temps, allant jusqu'à tuer d'autres petites créatures du Bon Dieu pour les rôtir sur le feu et s'envelopper dans leur peau pour bientôt occuper toute la planète.
Dieu s'entretint subtilement avec quelques singes, dont Glouscap, Malsum, Gilgamesh, Mathusalem et même Noé. Il y eut même quelques femelles, mais l'histoire n'a pas retenu leurs noms, comme d'habitude. Puis Dieu, qui aimait aussi se faire appeler Déesse, provoqua un déluge sur Terre dans l'espoir de tout recommencer en neuf.
Les siècles passèrent et cela ne s'améliora pas.
Les singes étaient toujours aussi cons, brutaux et malfaisants.
En plus de détruire les autres espèces, ils se tuaient même entre eux.
C'en était trop.
Déesse allait une fois de plus inonder la Terre. Sauf que, cette fois-ci, elle rayerait de la carte toutes les créatures vivantes. Pas question de recommencer avec des arches, des tortues géantes ou le Diable sait quoi encore.
Denis Tremblay, qui ne s'attendait pas à un tel déluge, survécut miraculeusement.
Son petit bateau de pêcheur de homards du Bas-du-Fleuve avait résisté.
C'est vrai que La Baladeuse, comme il appelait sa vieille barque, en avait vu d'autres.
-Sacrament! jura Denis Tremblay après quarante jours et quarante nuit de pluie diluvienne, veux-tu bien m'dire qu'est-cé qui s'passe avec la météo?
Déesse, qui passait par là tout à fait par hasard, fut surprise d'entendre une voix humaine.
-Je croyais vous avoir tous noyés, vous et tout le reste quoi... Comment as-tu pu survivre à mon inondation? lui demanda Déesse.
-Tiens? On dirait qu'i' y'a qué'qu'un qui m'parle... Oui?
-Bonjour Denis. C'est moi, ta Déesse, ton Dieu.
-Mon Dieu? Ma Déesse? Qu'est-cé ça encore ces affaires-là? J'su's en train d'virer fou?
-Pas plus et pas moins fou qu'les autres. Mais j'sais vraiment pas comment tu as fait pour résister à ce déluge...
-La Baladeuse en a vu d'autres! Et puis j'suis marin comme le père du père de mon père l'était... Suis-je vraiment en train d'parler à Grande Esprite moé-là?
-Oui, oui... C'est moi... Et du coup je m'en veux presque de vous avoir noyés... Parce que tu ne m'as pas l'air d'un méchant singe...
-Moé? Ch't'un bon gars. J'ai jamais fait d'tort à personne! Comment j'aurais fait? J'travaille tout l'temps...
-Denis... Vrai comme j'suis là... Denis, tu engendreras d'une vaste descendance... tes enfants recouvriront à nouveau la surface de la Terre et... heu...
-Ouin bin tu serais mieux d'faire apparaître d'la terre à quelque part parce que là j'vois rien pantoute... Pis j'me demande comment j'va's r'peupler la Terre si j'suis tout seul sur mon bateau...
Grande Esprite fit apparaître Manon sur le pont avant de La Baladeuse.
-Salut Denis. J'm'appelle Manon Belhumeur.
-Ah bin salut Manon, lui dit Denis qui n'était pas très joli, mais plutôt poli.
Manon était beaucoup trop belle pour Denis et son visage d'écrevisse. Elle était toute nue et, de plus, elle sentait bon la Mer.
-T'es belle Manon. Tu sais-tu faire la cuisine?
-Si tu penses que j'va's t'faire la cuisine...
-Bon bin, i' m'reste encore du homard si t'en veux. J'en ai faitte congeler. Y'est encore bin bon.
Manon et Denis mangèrent du homard.
Manon avait l'air d'une déesse de la fertilité. Elle n'avait pas encore terminé son homard qu'elle se jeta sur Denis pour satisfaire le voeu de la Très-Haute d'engendrer de nouveaux petits singes pour repeupler la Terre.
-Wowo! Attends un ti-peu... Tire pas trop fort là-dessus! Tu vas l'arracher!
Il y eut plusieurs soirs et plusieurs matins. La Baladeuse accosta sur Terre.
Et depuis ce temps-là, eh bien les descendants de Denis et Manon ont réinventé la pétanque, le potage parmentier et la tondeuse à gazon.
Déesse vit que ce n'était pas parfait mais pas si mal tout de même.
Et elle laissa une fois de plus la Terre à elle-même.
-Ces petits singes... J'ai beau les haïr qu'ils ont toujours un petit quelque chose de comique qui me désennuie... Laissons-les aller encore un peu... Je les détruirai une autre fois... Tant qu'ils ne foutent pas la pagaille ailleurs dans la galaxie...
Dieu se reposa d'être aussi une Déesse. Au bout de sept milliards d'années d'agitation, il en avait grandement besoin.
Il s'allongea sur le bord de la plage, quelque part loin des bruits de l'univers, avec un pina colada d'une main et un ukulélé de l'autre.
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