Marie Gaétane Jeannine René, ma mère (1936-2016) |
J'en vins pourtant à défendre mon prénom que personne n'a jamais su prononcer convenablement: Ga-é-tan plutôt que Guétan... Je signe désormais mes toiles et mes productions graphiques de mon prénom. J'assume ce Gaétan.
Quand j'ai su que ma mère s'appelait Marie Gaétane Jeannine, je vous avouerai que j'ai eu un choc. Un choc qui me rattachait d'autant plus à ma chère mère.
Je n'étais pas ce que l'on appelle un enfant désiré. Je le sais parce que ma mère suivait la méthode Ogino pour le contrôle des naissances, la seule qui soit d'ailleurs autorisée par l'Église catholique romaine. Je suis donc la preuve vivante que cette méthode ne fonctionne pas. Ma mère a dû se tromper dans les jours. Ce qui ne me surprend pas puisqu'elle avait parfois la tête ailleurs... Je devrais sans doute remercier Ogino et l'Église catholique d'être venu au monde, mais je préfère porter tous les remerciements vers mes parents.
Je suis né en mars 1968, alors que mon père était en grève. Il était opérateur de chariot-roulant à l'aluminerie Reynold's du Cap-de-la-Madeleine. Il n'y faisait pas de gros salaires. Les travailleurs de cette usine étaient sous-payés comparativement aux autres métallos d'Amérique du Nord. Ce qui fait que les grèves s'y sont toujours enchaînées l'une après l'autre.
Ma mère et mon père disaient que j'étais né révolutionnaire à cause de la grève. Je veux bien y croire. Comme eux-mêmes l'ont cru pour expliquer mon tempérament hors-norme et revendicateur.
Bien que je n'aie pas été désiré, si l'on peut le dire ainsi, j'aurai tout de même bénéficié de leur amour. Nous n'étions pas riches, à vrai dire, mais je n'ai jamais eu l'impression de manquer quoi que ce soit. Je dirais même que nous étions un peu plus riches que bon nombre de mes camarades dans le quartier. Mes parents ne buvaient pas d'alcool. Tout l'argent était consacré à leur marmaille. De plus, nous avions de l'amour à satiété, même si leurs conseils et directives pouvaient finir par m'énerver.
Ma mère en était à son troisième garçon quand je vins au monde. Un quatrième garçon allait s'ajouter un an plus tard à son grand désarroi. Cela valut à mon père une vasectomie. Autrement, Ogino leur aurait fait faire huit autres garçons...
Comme elle aurait souhaité avoir une fille, elle compensa en me laissant pousser les cheveux que j'avais blonds et bouclés dans ma tendre enfance.
-I' r'semble à un petit Saint-Jean-Baptiste! disait ma mère avec fierté.
Et c'était vrai. J'avais l'air d'un petit Saint-Jean-Baptiste et allait, comme lui, devenir une voix qui crie dans le dessert. Dans le dessert, dis-je bien, puisque j'étais gourmand... Le désert n'a jamais été ma tasse de thé.
Pour joindre les deux bouts, ma mère faisait des ménages et des travaux de couture payés à la pièce.
-Chaque fois que j'fais l'ménage chez le docteur Untel, m'avait-elle dit un jour, il faut que sa maudite femme aille chier dès que j'ai fini de torcher les toilettes! Elle fait exprès! Pis elle a plein de maudits caprices...
Elle en riait, ma mère, bien que j'aie appris à en souffrir pour elle-même. Je ressentais son humiliation et cette injustice sociale qu'elle affrontait pourtant stoïquement.
-Quand on est valet, on n'est pas roi! qu'elle disait, Marie Gaétane Jeannine.
Évidemment, je ne l'entendais pas ainsi.
-Quant on est valet, m'man, on guillotine le roi! que je lui répondais par esprit de révolte et de provocation.
-Maudit révolutionnaire! Ça paraît qu't'es né en soixante-huit pendant la grève! qu'elle me répliquait. T'apprendras que dans 'a vie ça prend des boss!
-Des boss? Pff! Un jour nous instaurerons la République des travailleurs du Québec et tous les boss recevront des coups de pieds au cul! On va faire la révolution m'man! Fini l'esclavage!
-Qu'est-cé qu'j'ai faitte au bon Dieu pour avoir un fils de même! rajoutait-elle sur un haussement d'épaules.
-T'as faitte l'amour avec p'pa, m'man... C'est ça qu't'as faitte!
-Bonyousse d'la vie! finissait-elle par ricaner.
Et ce rire, franc et naïf, bon Dieu que je m'en ennuie.
Les années passèrent.
Ma mère devint préposé aux bénéficiaires au Foyer Joseph-Denys. Mon père n'était plus en grève. L'argent rentrait un peu plus qu'à l'accoutumé dans le foyer familial.
Mes parents renouvelèrent leurs appareils électro-ménagers et s'achetèrent des meubles indestructibles en chêne massif pour nos gros culs. Des meubles que nous avons encore, moi et mon frère Serge.
Elle poussa la coquetterie jusqu'à tapisser notre modeste logement de motifs vaguement dix-huitième siècle. Ainsi, notre relatif taudis recouvert de papier-brique aux planchers tout croches avait presque l'air de quelque chose dont elle n'avait plus honte.
Pour tout dire, je m'en foutais pas mal. Cependant, je vous avouerai que j'aurai aimé que mes parents eussent une automobile, comme les parents de mes amis, pour que je puisse moi aussi emmener des filles au ciné-parc. Et comme je ne pouvais pas vraiment emmener des filles à la maison, pour une raison qui m'échappe, eh bien je me sentais condamné à la monomanie.
-Vous emmènerez pas des bébites à la maison! philosophait ma mère. Si vous êtes pas capables de vous payer un hôtel vous êtes mieux de pas l'faire!
Et comme je n'étais pas capable de payer un hôtel, justement, je ne le faisais pas...
Évidemment, cela n'allait pas toujours se passer ainsi. Je finis par me déniaiser. J'eus bientôt mon propre logement. Et je m'y suis donné à coeur joie pour rattraper le temps perdu.
-Les jeunes! Les jeunes! I' pensent rien qu'au sec! disait ma mère qui était dyslexique.
-Au sec? Pas du tout m'man! On pense surtout à l'humide! Arf! Arf! Arf! répliquions-nous, moi et mon jeune frère encore plus insolent que je ne l'étais.
-Attention de pas attraper des bébites! Pis surtout ramenez-moé pas ça icitte viârge!
On ne rapporta pas de bébites. Ni de morpions. Du moins, pas à ma connaissance.
Les petits oiseaux quittèrent définitivement le nid pour mener leur vie.
Mon père prit sa retraite en 1995 et mourut un an plus tard d'un cancer colorectal.
Ma mère tomba toute seule et sans revenus. Elle ne travaillait plus suite à une thrombose doublée d'une hystérectomie.
La Reynold's avait une fois de plus fourrer mon père. Il avait pris sa retraite à 62 ans, après 35 ans de service, en signant une clause qui disait qu'il aurait droit à sa pleine retraite... mais que la veuve n'aurait rien s'il mourrait avant 65 ans. De brillants actuaires avaient dû calculer combien leur rapporterait cette petite clause anodine. Et mon père s'était probablement dit qu'il vivrait comme son propre père jusqu'à 98 ans...
Elle tomba donc sur l'aide sociale.
Ce fût la honte. Elle avait travaillé toute sa vie, avait toujours été honnête, avait élevé quatre enfants... Mais que voulez-vous? Quand on est valet, on n'est pas roi...
Elle passa quelques années toute seule à regarder les quatre murs. Puis elle rencontra un nouveau compagnon avec qui elle fit un bout de route jusqu'à ce qu'elle le quitte de sa propre volonté.
Elle termina ses jours dans une résidence pour personnes âgées autonomes après avoir survécu quelques mois à un cancer des parties intimes dont elle avait honte.
-J'ai pourtant jamais péché! qu'elle disait. J'ai mené une bonne vie!
-M'man, la maladie ça ne choisit pas son monde... qu'on lui répétait.
Elle nous a quittés à la fin août de l'an dernier. Elle est morte d'un arrêt cardiaque. Une fin heureuse, selon moi, puisqu'elle commençait à avoir des problèmes de mémoire qui l'aurait conduite vers un centre d'accueil où elle ne souhaitait pas terminer ses jours.
Les dernières années que j'ai passées auprès d'elle furent sans doute les plus belles. Ma relation avec elle était devenue plus spontanée, plus sereine et je dirais même plus philosophique.
Elle n'était pas bien savante. Elle ne connaissait pas grand' chose. C'est du moins ce qu'elle disait. Et moi j'y voyais quelque chose que tous les savants du monde n'auraient pas pu me donner. J'y voyais de l'amour, de la sincérité et de l'humilité. J'y voyais de la sagesse. J'y voyais ma mère.
Je m'ennuie d'elle, bien entendu.
Ce sera la fête des mères en fin de semaine. Elle ne sera pas là pour que je puisse la fêter. Je n'entendrai pas son rire légendaire. Je ne pourrai pas recevoir ses confidences qui semblaient n'être que pour moi. Ce sera comme un grand vide...
Je pense à Marie Gaétane Jeannine à tous les jours, aussi sereinement que possible.
Le seul cadeau que je puisse lui faire, pour la fête des Mères, c'est d'honorer sa mémoire.
C'est mieux que rien.
-Quand t'as pas d'pain, tu manges d'la galette! comme elle le disait.
Et franchement, je ne sais pas trop ce que cela vient faire ici.
Mais c'est la meilleure finale que je puisse trouver.
Je me souviens encore de son sourire quand je l'ai croisée chez toi lors de ton vernissage. En 2013, je crois.
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