C'était un intellectuel tout ce qu'il y a de plus commun, du genre que l'on fabrique en série dans les institutions académiques et les journaux sérieux. Rien ne lui était plus familier que les réponses toutes faites des gens de culture et de bon goût. S'ils étaient des gens si raffinés, ils ne pouvaient qu'avoir raison. Tous les torts et tous les mensonges ne pouvaient être que la chasse-gardée des crottés, des demi-civilisés ou bien des amateurs de théories du complot. Bref de tous ceux qui ont un compte Facebook et disent n'importe quoi sans jamais lire ce qui se doit.
Ce petit gros avec le visage parfaitement glabre, ce Jérémie Malouin comme il s'appelait, provenait d'un milieu de petites gens qui gagnaient honnêtement leur vie mais ne connaissaient rien de l'oeuvre de Marcel Proust. Jérémie Malouin, tout en les adulant pour épater la galerie, ne manquait jamais de les faire passer pour des ignorants, des petits boutiquiers ridicules qui tenaient un dépanneur de quartier et y vivaient pratiquement sept jours sur sept en y fumant une cigarette par-dessus l'autre.
Malouin aimait faire peuple lorsque c'était nécessaire. Et il rappelait à tout un chacun qu'il avait réussi à sortir de la masse par son génie, sa connaissance des classiques des arts et des lettres, voire par son extraordinaire talent à récolter de bonnes notes. Pour le reste, il ne fréquentait pas les trous du cul et autres minables qui regardent La Voix à la télé. Il reprenait tout un chacun pour un anglicisme, un mot mal prononcé, une référence inadéquate. Malouin se plaisait à humilier les rustres. Il appelait ça parfaire leur éducation... On n'aurait dû que le remercier de chier ainsi sur la tête de tout le monde.
Évidemment, Malouin courrait tous les événements mondains et fréquentait la crème de la société. Cette crème que d'aucuns considèrent comme des mangeux de marde. Avec raison, que je me permets d'ajouter.
Titulaire de deux maîtrises et d'un doctorat d'une école prestigieuse, il ne se laissait jamais prendre par ces propos qui ne correspondaient pas aux bonnes réponses pour réussir sa vie conformément aux diktats des grands décideurs de ce monde. Un monde fondé sur l'iniquité et l'hypocrisie.
Malouin savait rire sans trop s'esclaffer. Il buvait sans perdre la tête. Les propos grivois lui étaient étrangers parce que Madame Desmarchais n'était pas du genre à les apprécier. Et on dira ce qu'on voudra, fréquenter le Domaine Bachard des Desmarchais, c'était quand même quelque chose pour un intellectuel qui aspirait aux plus hautes sphères et fonctions de l'élite.
-Madame Desmarchais, Jasmine comme je l'appelle, est d'une écoute inégalable et soutient les arts avec passion... Que ce soit Les violons du monarque ou bien Les orgues de Nouvelle-France, elle se révèle une grande protectrice des arts, n'est-ce pas... Elle a lu mon dernier manuscrit, La cigogne récalcitrante, ou je commente avec brio l'oeuvre de Xavier de Maistre. Jasmine est adorable! Elle m'a organisé une rencontre avec un éditeur prestigieux qui fait d'ailleurs partie de leur corporation... On dira ce qu'on voudra, Jasmine sait reconnaître le talent. Ce dont je lui suis tout à fait reconnaissant...
Quand on grattait un peu ce vernis de culture sous lequel se dissimulait les Desmarchais, on trouvait toutes sortes de cochonneries scandaleuses. Les Desmarchais plaçaient leur argent dans des paradis fiscaux et profitaient de tous les régimes corrompus du globe pour faire du fric. Ils contribuaient à écraser tous les mouvements sociaux, tous les syndicats, toutes les révoltes légitimes contre la tyrannie qui survenaient dans le monde. Ils s'achetaient des politiciens ici comme là-bas pour que rien ne change jamais, pour qu'ils puissent profiter et abuser toujours plus des pauvres gens. Et ils entretenaient des courtisans qui, à l'instar de Malouin, n'étaient qu'un troupeau de renifleurs de pets.
Malouin se sentait bien parmi ses charognes qui lui permettaient de sortir enfin de la masse et de briller parmi l'élite.
Il se distinguait enfin de cette masse grouillante d'imbéciles qui pleurnichent et de fanatiques qui rouspètent.
Ils étaient, pour lui, semblables à ces vauriens qui lui faisaient la vie dure du temps de la petite école.
Maintenant que Malouin fréquentait le Domaine Bachard des Desmarchais, il n'y avait plus personne pour le traiter de petit gros. Plus personne pour se moquer de ses lectures. Plus personne pour lui reprocher de délaisser son travail au dépanneur pour aller au théâtre ou bien à l'opéra.
Il s'était élevé au lieu de se rabaisser au niveau de la fange.
Il pouvait lui aussi, tel l'aigle, dominer la foule de son regard méprisant et rapace.
lundi 31 octobre 2016
dimanche 30 octobre 2016
Je suis un je beaucoup trop je
Je ne peins et n'écris pas pour tout le monde. Tant mieux si plusieurs y trouvent leur compte. Je ne fais pourtant qu'extérioriser ce qui bouillonne dans mon for intérieur et remonte à la surface. Si j'envoie des messages, c'est bien malgré moi. Si je prends position, c'est bien malgré ma tête. Tout se passe ailleurs que dans ma tête. Peut-être que ça passe dans mes pieds. Ou dans mon cul. Je n'en sais rien. Ça sort parce que ça doit sortir.
Et c'est ainsi depuis des lustres. Je suis intarissable parce que ça n'arrête jamais en moi.
Avant que de me mettre à peindre ou écrire, des tas d'impressions viennent me chatouiller l'esprit.
Avant-hier j'écrivais une nouvelle intitulée Soixante milles livres. Cette nouvelle s'est écrite pendant mon rêve. Je me suis réveillé avec Soixante milles livres en tête. Et je l'ai téléchargée vers mon portable, tout simplement.
Parfois, pour ne pas dire souvent, le titre précède le contenu. Je deviens obsédé par une expression sur laquelle vient se greffer une histoire ou bien un point de vue. Je n'ai encore rien fait avec Les rebondissements d'un ressuscité, La galette de Sarah Zin, Le pipeau de vache... Si vous fréquentez ce blogue avec assiduité, pour une raison qui m'échappe, eh bien vous finirez par connaître les histoires qui se trament derrière ces titres qui m'obsèdent.
Je pourrais chroniquer en m'abandonnant à l'air du temps si je ne brodais que du vent. Je n'aurais qu'à répondre aux obsessions des commentateurs de fortune des médias sociaux. Cela me semble plus souvent qu'autrement sans intérêt. Il m'arrive malheureusement d'avoir cette faiblesse de le faire. Ce sont généralement mes textes les plus lus et, curieusement, ce ne sont pas mes préférés. N'allez pas croire que je cherche à m'isoler ou bien que j'adopte la pose de l'artiste maudit. J'essaie seulement d'être honnête avec moi-même, avec ce que je suis et ce que je ressens.
Mon lectorat a pris de l'ampleur au fil des ans. Je bénéficie désormais d'un lot de lecteurs appréciables. J'ai décuplé mon lectorat depuis mai 2016. Vous êtes bien gentils de vous intéresser à ce que je publie ici. Néanmoins, je vous prie de croire que je n'écris pas pour vous, aussi gentil que vous puissiez l'être. J'écris pour moi-même. Pour me débarrasser de ce qui pèse sur mon inconscience.
Je ne sais pas prier. Je ne sais qu'écrire et dessiner des gros nez. C'est ma façon de me retrouver, de me connaître moi-même.
Évidemment, le moi est haïssable. Pas besoin d'avoir lu Pascal pour s'en rendre compte. Je relis ce que je viens d'écrire ici et m'en veux de m'étaler à la première personne du singulier. Cela ne vaut pas une bonne histoire comme celle qui peut parfois glisser d'entre mes doigts qui pianote sur ce clavier.
Je me déteste lorsque j'écris au je.
Je ne le fais jamais sans appréhensions.
La personne la plus intéressante au monde, ce n'est pas moi.
Vous êtes bien plus drôles lorsque je vous observe.
On ne saurait se caricaturer soi-même.
Il y manque toujours une dose d'ironie et d'authenticité.
Voilà pourquoi je ferais mieux de renoncer à ce billet écrit au je.
Si j'étais moins narcissique, je le supprimerais illico.
Mais non! Il faut que ce bougre d'abruti que je suis y trouve une ou deux qualités.
Je dis tout de même quelque chose, non?
Je ne parle pas des vraies affaires, comme ceci ou cela, mais j'ai tout de même rempli mon billet.
Allez hop! Je clique sur la touche publier et advienne que pourrira!
Musique.
Et c'est ainsi depuis des lustres. Je suis intarissable parce que ça n'arrête jamais en moi.
Avant que de me mettre à peindre ou écrire, des tas d'impressions viennent me chatouiller l'esprit.
Avant-hier j'écrivais une nouvelle intitulée Soixante milles livres. Cette nouvelle s'est écrite pendant mon rêve. Je me suis réveillé avec Soixante milles livres en tête. Et je l'ai téléchargée vers mon portable, tout simplement.
Parfois, pour ne pas dire souvent, le titre précède le contenu. Je deviens obsédé par une expression sur laquelle vient se greffer une histoire ou bien un point de vue. Je n'ai encore rien fait avec Les rebondissements d'un ressuscité, La galette de Sarah Zin, Le pipeau de vache... Si vous fréquentez ce blogue avec assiduité, pour une raison qui m'échappe, eh bien vous finirez par connaître les histoires qui se trament derrière ces titres qui m'obsèdent.
Je pourrais chroniquer en m'abandonnant à l'air du temps si je ne brodais que du vent. Je n'aurais qu'à répondre aux obsessions des commentateurs de fortune des médias sociaux. Cela me semble plus souvent qu'autrement sans intérêt. Il m'arrive malheureusement d'avoir cette faiblesse de le faire. Ce sont généralement mes textes les plus lus et, curieusement, ce ne sont pas mes préférés. N'allez pas croire que je cherche à m'isoler ou bien que j'adopte la pose de l'artiste maudit. J'essaie seulement d'être honnête avec moi-même, avec ce que je suis et ce que je ressens.
Mon lectorat a pris de l'ampleur au fil des ans. Je bénéficie désormais d'un lot de lecteurs appréciables. J'ai décuplé mon lectorat depuis mai 2016. Vous êtes bien gentils de vous intéresser à ce que je publie ici. Néanmoins, je vous prie de croire que je n'écris pas pour vous, aussi gentil que vous puissiez l'être. J'écris pour moi-même. Pour me débarrasser de ce qui pèse sur mon inconscience.
Je ne sais pas prier. Je ne sais qu'écrire et dessiner des gros nez. C'est ma façon de me retrouver, de me connaître moi-même.
Évidemment, le moi est haïssable. Pas besoin d'avoir lu Pascal pour s'en rendre compte. Je relis ce que je viens d'écrire ici et m'en veux de m'étaler à la première personne du singulier. Cela ne vaut pas une bonne histoire comme celle qui peut parfois glisser d'entre mes doigts qui pianote sur ce clavier.
Je me déteste lorsque j'écris au je.
Je ne le fais jamais sans appréhensions.
La personne la plus intéressante au monde, ce n'est pas moi.
Vous êtes bien plus drôles lorsque je vous observe.
On ne saurait se caricaturer soi-même.
Il y manque toujours une dose d'ironie et d'authenticité.
Voilà pourquoi je ferais mieux de renoncer à ce billet écrit au je.
Si j'étais moins narcissique, je le supprimerais illico.
Mais non! Il faut que ce bougre d'abruti que je suis y trouve une ou deux qualités.
Je dis tout de même quelque chose, non?
Je ne parle pas des vraies affaires, comme ceci ou cela, mais j'ai tout de même rempli mon billet.
Allez hop! Je clique sur la touche publier et advienne que pourrira!
Musique.
samedi 29 octobre 2016
La mort viendra bien assez vite
Marcelline fume trois paquets par jour minimum. Après avoir fumé une cigarette, elle pulvérise un peu de parfum qui lui coûte la peau des fesses pour se conférer l'illusion qu'elle se départit de sa mauvaise odeur de tabac. Ça ne fonctionne pas du tout. Et même qu'elle pue encore plus. Elle finit par sentir la moufette roulée dans un cendrier.
Marcelline est à sa retraite et passe le plus clair de son temps à papoter à propos de tout et de rien avec ses amies fumeuses.
Elle est petite, plutôt maigre et ridée comme un vieux trognon de pomme. Sa voix est sépulcrale. On croirait qu'elle est revenue d'entre les morts. Elle fume depuis qu'elle a douze ans et ses cordes vocales sont irrémédiablement foutues. Elle combat un cancer du poumon, Marcelline, et elle n'arrête pas de fumer pour autant.
-Que j'meure de ci ou d'ça, on va tous mourir un jour! philosophe-t-elle en s'en allumant un autre à même son mégot encore brûlant.
Ses doigts sont jaunes. Elle les trempe pourtant dans toutes sortes de produits pour se conférer l'illusion qu'elle s'enlève une couche de nicotine. Ça ne fonctionne pas du tout, mais Marcelline est comme ça. Elle fume avec un petit complexe qui est probablement imposé par la société environnante qui mène une chasse aux sorcières contre les fumeurs.
-Qui c'est que j'dérange en fumant? Qu'est-cé qu'i' disent pour la boucane des autos pis des shops? Rien! Moé, j'dérange personne. Pis en fumant, j'paye assez d'taxes que j'finis par coûter rien à personne...À part de ça, on fumait n'importe où pis n'importe quand quand j'étais jeune... Dans les hôpitaux, dans les autobus, au restaurant... Pis l'monde gagnait des meilleurs salaires qu'aujourd'hui! Arrête de fumer Marcelline qu'i' m'disent toutte! Bin qu'i' mangent d'la marde j'arrêterai pas! J'leu' dis-tu d'arrêter de respirer moé?
Marcelline fume des John Player's Special. Parce qu'elles sont plus fortes. Elle aime aussi le café fort. Et elle ne dit pas non pour une shot de whiskey de temps en temps. Pas trop souvent parce qu'elle chie du sang. Elle a le trou du cul en chou-fleur, Marcelline, et peine à s'asseoir dessus.
Son passe-temps préféré, ce n'est pas le bingo. Le bingo, c'est pour les vieilles folles. Elle préfère plutôt aller au cinéma. Elle aime les beaux acteurs.
-Lui j'y ferais pas mal el' tabarnak! Y'est toutte musclé pis y'a des yeux à t'donner l'envie d'lâcher ta cigarette pour y'i coller un french! J'y ferai voir qu'A sait comment s'y prendre matante Marcelline! Arf! Arf! Arf! Viens icitte mon beau matante va t'montrer qu'A l'a du swing dans l'poignet! Arf! Arf! Arf!
Évidemment, elle ne dit pas ça devant tout le monde. Elle sait se tenir, Marcelline. Sauf devant Simone et Marguerite. Simone qui fume par le trou de sa trachéotomie. Et Marguerite qui a fait une thrombose à force de trop manger de chocolat Laura Secord. Bref, elle tient des propos coquins uniquement avec ses deux amies éclopées qui la trouvent bien comique, la Marcelline. Ça leur rappelle qu'elles ont été belles et jeunes, elles aussi. Ça leur permet d'oublier que maintenant elles sont moches et sentent mauvais sur leur perron qui leur tient lieu de bateau pirate.
Ses trois-là passent le plus clair de leur journée sur le balcon de leur résidence commune. Le propriétaire a mis une vieille boîte de café en métal à leur disposition pour qu'elles la remplissent de mégots. Il la change lorsqu'elle est aux trois quarts.
-Pour moé el proprio y'est su' l'point d'changer notre canne de café... Est pas mal aux trois quarts, a remarqué Marcelline.
-Ouin, pour moé y'est su' l'bord d'la changer, répète Marguerite.
Quant à Simone, elle ne dit rien. Avec sa trachéotomie, elle préfère se tenir silencieuse. Elle n'aime pas que l'on entende sa voix de Darth Vader.
-Eurrrrr rrrrheeee rrrrr...
Les jours se suivent et se ressemblent toujours pour ces trois-là.
Et elles ne s'en plaignent pas.
En autant qu'on les laisse fumer en paix.
La mort viendra bien assez vite.
vendredi 28 octobre 2016
Ce crétin d'Émile
Émile n'était pas Nelligan. Il ne portait pas de gants blancs pour vous dire le fond de sa pensée. À vrai dire, il ne parlait jamais et portait de vieux bas en guise de mitaines. C'était un grand escogriffe dans la trentaine qui riait mal, comme un vieux chien qui tousse. Il n'avait pas inventé le bouton à quatre trous, Émile. Et même qu'il remplaçait les boutons par des épingles de sûreté quand d'aventure il en perdait un après sa chemise. C'était pareil pour sa ceinture. Son ceinturon s'était brisé et désormais Émile faisait tenir ses pantalons autour de sa taille en se servant d'un vieux bout de corde à linge en guise de ceinture.
-Faudrait bien que j'm'en achète! se répétait-il en lui-même sans pour autant changer quoi que ce soit.
Émile n'avait pas plus de gratte-neige. Il se servait d'une vieille carte de crédit pour enlever la glace dans le pare-brise de sa non moins vieille Chevrolet.
Il fumait beaucoup, Émile. Surtout du pot. Beaucoup de pot. Et comme ça lui coûtait cher de consommer autant, il était toujours cassé.
Il n'avait pas d'argent pour des mitaines, pas d'argent pour un gratte-neige et encore moins pour une pelle. Il enlevait la neige autour de son véhicule avec ses bottes. Du coup, ses bottes prenaient l'eau et ses vieux bas finissaient par sentir le fromage.
Émile faisait souvent déborder l'eau du bain dans son appartement, au grand dam de son voisin du dessous pour lui rappeler qu'il avait encore commis un dégât d'eau.
Il fumait trop de pot et s'endormait dans son bain en oubliant de fermer les robinets.
Émile avait par contre une bonne recette pour son rôti de lard.
-J'me su's faitte un bon rôti d'lard man, qu'il disait à son voisin du dessous qui le regardait d'un air mauvais. J'ai pris une enveloppe de soupe Lipton pis j'ai enlevé toutes les p'tites nouilles pour garder les p'tites épices... J'ai mis les p'tites épices sur mon rôti pis j'ai jeté les p'tites nouilles... C'tait bon man. Oua.
Émile était vraiment un crétin voyez-vous.
jeudi 27 octobre 2016
Soixante milles livres
Le soleil n'était pas encore levé. La seule lumière que nous puissions voir dans le coin était celle qui provenait du restaurant Chez Laurent. Il était situé à la croisée de deux rangs, quelque part dans l'arrière-pays. Il valait la peine de s'y arrêter pour déjeuner, ne serait-ce que pour y boire un café à l'eau de vaisselle. On sait bien que l'on ne va pas dans ces restaurants de fond de campagne pour savourer un bon café. La civilisation du bon café ne se rend jamais jusque là. Par contre, les tranches de bacon y sont souvent épaisses, comme si elles venaient tout juste d'être découpées sur le cochon d'une ferme environnante.
La radio jouait en permanence au restaurant Chez Laurent. C'était toujours la même station. La seule qui couvrait parfois l'actualité du village. Celle qui diffusait de la musique country francophone la fin de semaine. Cela conférait aux lieux un cachet rétro. D'autant plus que les animateurs de cette station ont coutume de rouler leurs r en plus de parler un français plus approximatif que pittoresque. Ce qui laisse entendre qu'on ne devrait jamais confier ces boulots aux membres de la famille.
La serveuse, Rita, avait toujours l'air épuisée. Les traits de son visage s'étaient affaissés au fil des années. Des rides fort creuses témoignaient qu'elle allait trop souvent dans le Sud l'hiver pour abuser du soleil. À moins que ce ne soit le salon de bronzage de la grande ville qui lui ait abîmé la figure. Pour tout dire, Rita avait le teint orange et les yeux cernés. De plus, elle puait la cigarette et le parfum à la vanille bon marché. Par contre, elle faisait un métier de cul et on ne pouvait pas trop lui en vouloir de fumer deux paquets de cigarettes de contrebande par jour. Et encore moins d'en vendre sur le marché noir pour arriver à joindre les deux bouts. Quant à son parfum à la vanille, eh bien je vous avouerai que c'est celui que je déteste le plus chez une femme. Ça n'enlève rien à Rita. Ça en dit plus long sur les formes que prennent mon intolérance.
-Kof! kof! toussota Rita. Qu'est-cé j'vous sers à matin? On commence par hin bon café?
-Oui... Et puis on va regarder le menu... Merci...
-Pas d'problème! Je r'viens vous r'voir tantôt quand vous aurez choési mes p'tits choux...
Tout le monde s'appelait mes p'tits choux pour Rita. Dont les deux bonhommes dans la cinquantaine qui étaient assis devant moi. Deux types corpulents qui portaient des manteaux marqués du logo d'une quelconque compagnie. Le moins chevelu des deux était dans tous ses états et s'enflammait pour soixante milles livres d'on ne sait trop quoi. L'autre type n'était pas nécessairement plus chevelu mais prenait soin de le dissimuler sous sa casquette élimée de camionneur.
-Soixante milles livres tabarnak! tonnait le chauve. Soixante hosties de milles livres! Sont fous calice!
-Hum... répliquait l'autre en avalant sa fourchettée d'oeufs brouillés.
-D'habitude c'est trente milles... Des fois j'ai vu trente-cin' milles. Mais soixante milles livres! Saint-chrême de saint-ciboire de pompier sale! J'ai jamais vu ça!
-I' veulent mettr' les gars à boutte... philosopha le porte-casquette tout en essuyant du revers de la main sa lippe luisante de matières grasses.
-Soixante milles livres, c'est comme me demander de sucer el' pape sacrament! J'ai-tu une face à sucer l'pape moé?
-En tous 'es cas, c'est pas moé qui l'sucerait el' vieux calice!
-Manière de parler... Mais soixante milles livres! Pas trente! Ni trente-cinq! Soixante milles livres!
-Y'as-tu dit à Raymond? demanda le calotté en se curant les dents avec son auriculaire.
-T'sais bin qu'oui! J'y ai dit: Raymond, ça 'a pas d'crisse d'allure!!! Soixante milles livres!!!
-Pis qu'est-cé qu'i' a répondu?
-Y'a dit biznisse iz biznisse... Bin beau la biznisse mais si j'te dis de t'crisser 'a face dans l'cul d'un singe tu vas-tu l'faire?
-C'est quoi l'rapport avec el' singe?
-Le rapport? C'est soixante milles livres tabarnak!
Leur discussion se poursuivit jusqu'à ce que j'aie terminé mon déjeuner. Rita nous a laissé la facture. Je l'ai payée au comptoir sans oublier de lui laisser un bon pourboire afin qu'elle puisse attraper un cancer de la peau sur les plages de Cuba ou de la République Dominicaine.
Je n'en ai jamais su plus à propos de ces soixante milles livres qui m'obsèdent encore comme toute question qui n'a pas trouvé sa réponse.
Je n'ai encore rien trouvé sinon qu'on ne peut pas exiger soixante milles livres de deux honnêtes travailleurs qui gagnent leur bacon à la sueur de leur front.
Le soleil s'est finalement levé. L'éclairage du restaurant Chez Laurent ne détonait plus dans le paysage. C'était plutôt le paysage qui détonait au soleil avec les champs, les vaches et les cochons.
La radio jouait en permanence au restaurant Chez Laurent. C'était toujours la même station. La seule qui couvrait parfois l'actualité du village. Celle qui diffusait de la musique country francophone la fin de semaine. Cela conférait aux lieux un cachet rétro. D'autant plus que les animateurs de cette station ont coutume de rouler leurs r en plus de parler un français plus approximatif que pittoresque. Ce qui laisse entendre qu'on ne devrait jamais confier ces boulots aux membres de la famille.
La serveuse, Rita, avait toujours l'air épuisée. Les traits de son visage s'étaient affaissés au fil des années. Des rides fort creuses témoignaient qu'elle allait trop souvent dans le Sud l'hiver pour abuser du soleil. À moins que ce ne soit le salon de bronzage de la grande ville qui lui ait abîmé la figure. Pour tout dire, Rita avait le teint orange et les yeux cernés. De plus, elle puait la cigarette et le parfum à la vanille bon marché. Par contre, elle faisait un métier de cul et on ne pouvait pas trop lui en vouloir de fumer deux paquets de cigarettes de contrebande par jour. Et encore moins d'en vendre sur le marché noir pour arriver à joindre les deux bouts. Quant à son parfum à la vanille, eh bien je vous avouerai que c'est celui que je déteste le plus chez une femme. Ça n'enlève rien à Rita. Ça en dit plus long sur les formes que prennent mon intolérance.
-Kof! kof! toussota Rita. Qu'est-cé j'vous sers à matin? On commence par hin bon café?
-Oui... Et puis on va regarder le menu... Merci...
-Pas d'problème! Je r'viens vous r'voir tantôt quand vous aurez choési mes p'tits choux...
Tout le monde s'appelait mes p'tits choux pour Rita. Dont les deux bonhommes dans la cinquantaine qui étaient assis devant moi. Deux types corpulents qui portaient des manteaux marqués du logo d'une quelconque compagnie. Le moins chevelu des deux était dans tous ses états et s'enflammait pour soixante milles livres d'on ne sait trop quoi. L'autre type n'était pas nécessairement plus chevelu mais prenait soin de le dissimuler sous sa casquette élimée de camionneur.
-Soixante milles livres tabarnak! tonnait le chauve. Soixante hosties de milles livres! Sont fous calice!
-Hum... répliquait l'autre en avalant sa fourchettée d'oeufs brouillés.
-D'habitude c'est trente milles... Des fois j'ai vu trente-cin' milles. Mais soixante milles livres! Saint-chrême de saint-ciboire de pompier sale! J'ai jamais vu ça!
-I' veulent mettr' les gars à boutte... philosopha le porte-casquette tout en essuyant du revers de la main sa lippe luisante de matières grasses.
-Soixante milles livres, c'est comme me demander de sucer el' pape sacrament! J'ai-tu une face à sucer l'pape moé?
-En tous 'es cas, c'est pas moé qui l'sucerait el' vieux calice!
-Manière de parler... Mais soixante milles livres! Pas trente! Ni trente-cinq! Soixante milles livres!
-Y'as-tu dit à Raymond? demanda le calotté en se curant les dents avec son auriculaire.
-T'sais bin qu'oui! J'y ai dit: Raymond, ça 'a pas d'crisse d'allure!!! Soixante milles livres!!!
-Pis qu'est-cé qu'i' a répondu?
-Y'a dit biznisse iz biznisse... Bin beau la biznisse mais si j'te dis de t'crisser 'a face dans l'cul d'un singe tu vas-tu l'faire?
-C'est quoi l'rapport avec el' singe?
-Le rapport? C'est soixante milles livres tabarnak!
Leur discussion se poursuivit jusqu'à ce que j'aie terminé mon déjeuner. Rita nous a laissé la facture. Je l'ai payée au comptoir sans oublier de lui laisser un bon pourboire afin qu'elle puisse attraper un cancer de la peau sur les plages de Cuba ou de la République Dominicaine.
Je n'en ai jamais su plus à propos de ces soixante milles livres qui m'obsèdent encore comme toute question qui n'a pas trouvé sa réponse.
Je n'ai encore rien trouvé sinon qu'on ne peut pas exiger soixante milles livres de deux honnêtes travailleurs qui gagnent leur bacon à la sueur de leur front.
Le soleil s'est finalement levé. L'éclairage du restaurant Chez Laurent ne détonait plus dans le paysage. C'était plutôt le paysage qui détonait au soleil avec les champs, les vaches et les cochons.
mercredi 26 octobre 2016
Le féminisme de mon père
Feu mon père est né en 1933, c'est-à-dire avant la guerre. Il n'était donc pas un baby-boomer. Je me demande même s'il y a une expression pour désigner les membres de cette génération qui a vu le jour pendant la Crise économique des années trente. On avait sans doute d'autres chats à fouetter. Les sociologues ne s'y sont pas vraiment intéressés.
C'était pourtant un féministe avant la lettre. Un féministe sans le savoir. À vrai dire, il n'a jamais été du genre à porter une étiquette.
Il provenait d'une famille nombreuse qui vivait dans la pauvreté. Il me racontait que leur maison n'avait ni électricité ni isolation. La tête des clous gelait l'hiver. Les enfants allaient à l'école à tour de rôle parce qu'il n'y avait pas assez de bottes de caoutchouc pour tout le monde. Ils se nourrissaient essentiellement de navets, de morue et de beurrées de mélasse. En d'autres termes, on pourrait dire qu'ils mangeaient de la misère. Comme tout le monde à cette époque j'imagine.
Ma grand-mère en arrachait pour nourrir les seize enfants à sa charge. Mon grand-père revenait souvent saoul à la maison et sautait sur la grand-mère pour faire ce devoir sanctifié par l'Église. La grand-mère allait se confesser au curé de la paroisse pour se faire dire que c'était un péché d'empêcher la famille. Du coup, elle dormait dans le fauteuil pour laisser son mari s'effondrer tout fin seul et saoul mort dans leur lit conjugal.
Mon père devint bien malgré lui le protecteur de sa mère. Il prit bientôt exemple sur son beau-père, le père de ma mère pour être précis, qui avait un peu plus de classe. Un homme, pour mon père, était quelqu'un qui respectait les femmes et ne leur faisait aucun mal.
Toute sa vie durant, mon père m'a enseigné qu'il fallait respecter les femmes.
-Une femme... faut respecter ça! On ne fesse jamais sur une femme! On ne crie pas après les femmes! On doit se comporter en gentleman tabarnak!
Le tabarnak était essentiel pour que la leçon suive naturellement son chemin.
Ma grand-mère maternelle ne voulait pas que ma mère marie un Bouchard. Comme les rumeurs circulent vite, elle avait entendu dire que les Bouchard étaient des batteurs de femmes. Elle craignait que ma mère marie l'un de ceux-là.
Elle se trompa. Mon père fut non seulement le plus doux des époux, mais il fut aussi un bon gendre pour ma grand-mère. Il prit soin d'elle autant que faire se peut jusqu'à sa mort.
Jamais mon père n'aura frappé ma mère. Jamais il ne lui aura crié après. Il avait bien sûr ses sautes d'humeur mais rien ne lui était plus douloureux que d'avoir à subir ensuite la réprobation de ma mère.
Le soir venu, mon père n'avait qu'une envie: être étendu aux côtés de ma mère. C'était sa récompense.
-Viens t'coucher Ninine... Hein... Viens don' t'coucher Ninine...
Combien de fois l'aurais-je entendu!
Jamais mon père n'a empêché ma mère de sortir ou de faire quoi que ce soit.
-Sors, ça va t'faire du bien... T'es pas obligée d'ronger les quatre murs... R'pose-toé des enfants, j'va's m'en occuper! qu'il disait le plus sérieusement du monde.
Et le bon homme s'occupait de nous. Il nous faisait des frites ou des hot-dogs parce qu'il n'était pas très fort pour cuisiner. Mais il prenait tout de même soin de ses quatre garçons en nous laissant jouer au hockey dans la maison...
Les années passèrent et je voyais encore mes parents se promener main dans la main.
J'avais la chance de grandir dans une famille où les parents s'aimaient tendrement. Ce qui était plutôt l'exception que la règle dans mon milieu. Je finissais par croire que mes parents n'étaient pas normaux.
Mon père n'était pas parfait. Ma mère non plus. Ils nous enseignèrent néanmoins la bonté, la douceur et la tendresse. À mon grand dam parfois. J'aurai longtemps cru que j'étais un peu trop fleur bleue pour mon époque. Je croyais un peu trop en l'amour. J'idéalisais la femme à un point qui pouvait même handicaper mes approches avec l'autre sexe. Je tenais au respect absolu de la femme. Je n'allais pas tirer sur la fleur pour qu'elle pousse plus vite. J'écrivais mille poèmes avant que de donner un baiser. Bref, j'étais nul à chier en amour. Une vraie guimauve...
Les années passèrent. Mes techniques de séduction s'améliorèrent. Néanmoins, le respect de la femme demeura une valeur essentielle pour guider mes actions. Respect qui est toujours passé par la notion de consentement et n'a jamais flirté avec la notion de viol, de violence ou de perversion.
Je n'ai peut-être aucun mérite à cela. Je suis ce que l'on appelle un "lover". Comme mon père l'était. Au risque de passer pour je ne sais quoi.
J'ai été marqué par Les libérateurs de l'amour de Sarane Alexandrian. Dans cet essai sur la littérature érotique, l'auteur en vient à dire que l'amour est fait pour rêver et non pas pour faire des cauchemars.
À chacun son trip, j'imagine, mais je n'ai plus honte de rêver.
Je ne me sens plus naïf ou mièvre d'être tout simplement amoureux.
Je vis en couple depuis quinze ans. Le soir, comme mon père, je réclame la présence de ma blonde dans le lit. Le respect que je lui porte n'a rien de stratégique, rien de théorique. Cela vient du fond du coeur. Ce coeur que je m'en voudrais de ne pas écouter.
Je dois être un bon gars. On dit parfois que les femmes préfèrent les mauvais gars. Peut-être pour se donner des raisons et justifier de mauvaises attitudes. Je n'en sais rien.
Encore que je ne sois pas tout à fait un gentil toutou. Je renie les dieux et brandis le poing contre les injustices. Je me suis même déjà battu. Avec des hommes, évidemment. Jamais avec des femmes. Nul n'est parfait. Surtout pas moi.
J'ai naturellement adopté le féminisme de mon père. Un féminisme sans doute un peu chevaleresque et un brin protecteur. Un féminisme prêt à se battre pour une femme envers qui l'on manque de respect. Un féminisme qui, aux yeux de certains, pourrait passer pour du paternalisme.
Ceux et celles qui voudraient me le reprocher peuvent bien aller se faire voir ailleurs. Je m'en moque.
C'était pourtant un féministe avant la lettre. Un féministe sans le savoir. À vrai dire, il n'a jamais été du genre à porter une étiquette.
Il provenait d'une famille nombreuse qui vivait dans la pauvreté. Il me racontait que leur maison n'avait ni électricité ni isolation. La tête des clous gelait l'hiver. Les enfants allaient à l'école à tour de rôle parce qu'il n'y avait pas assez de bottes de caoutchouc pour tout le monde. Ils se nourrissaient essentiellement de navets, de morue et de beurrées de mélasse. En d'autres termes, on pourrait dire qu'ils mangeaient de la misère. Comme tout le monde à cette époque j'imagine.
Ma grand-mère en arrachait pour nourrir les seize enfants à sa charge. Mon grand-père revenait souvent saoul à la maison et sautait sur la grand-mère pour faire ce devoir sanctifié par l'Église. La grand-mère allait se confesser au curé de la paroisse pour se faire dire que c'était un péché d'empêcher la famille. Du coup, elle dormait dans le fauteuil pour laisser son mari s'effondrer tout fin seul et saoul mort dans leur lit conjugal.
Mon père devint bien malgré lui le protecteur de sa mère. Il prit bientôt exemple sur son beau-père, le père de ma mère pour être précis, qui avait un peu plus de classe. Un homme, pour mon père, était quelqu'un qui respectait les femmes et ne leur faisait aucun mal.
Toute sa vie durant, mon père m'a enseigné qu'il fallait respecter les femmes.
-Une femme... faut respecter ça! On ne fesse jamais sur une femme! On ne crie pas après les femmes! On doit se comporter en gentleman tabarnak!
Le tabarnak était essentiel pour que la leçon suive naturellement son chemin.
Ma grand-mère maternelle ne voulait pas que ma mère marie un Bouchard. Comme les rumeurs circulent vite, elle avait entendu dire que les Bouchard étaient des batteurs de femmes. Elle craignait que ma mère marie l'un de ceux-là.
Elle se trompa. Mon père fut non seulement le plus doux des époux, mais il fut aussi un bon gendre pour ma grand-mère. Il prit soin d'elle autant que faire se peut jusqu'à sa mort.
Jamais mon père n'aura frappé ma mère. Jamais il ne lui aura crié après. Il avait bien sûr ses sautes d'humeur mais rien ne lui était plus douloureux que d'avoir à subir ensuite la réprobation de ma mère.
Le soir venu, mon père n'avait qu'une envie: être étendu aux côtés de ma mère. C'était sa récompense.
-Viens t'coucher Ninine... Hein... Viens don' t'coucher Ninine...
Combien de fois l'aurais-je entendu!
Jamais mon père n'a empêché ma mère de sortir ou de faire quoi que ce soit.
-Sors, ça va t'faire du bien... T'es pas obligée d'ronger les quatre murs... R'pose-toé des enfants, j'va's m'en occuper! qu'il disait le plus sérieusement du monde.
Et le bon homme s'occupait de nous. Il nous faisait des frites ou des hot-dogs parce qu'il n'était pas très fort pour cuisiner. Mais il prenait tout de même soin de ses quatre garçons en nous laissant jouer au hockey dans la maison...
Les années passèrent et je voyais encore mes parents se promener main dans la main.
J'avais la chance de grandir dans une famille où les parents s'aimaient tendrement. Ce qui était plutôt l'exception que la règle dans mon milieu. Je finissais par croire que mes parents n'étaient pas normaux.
Mon père n'était pas parfait. Ma mère non plus. Ils nous enseignèrent néanmoins la bonté, la douceur et la tendresse. À mon grand dam parfois. J'aurai longtemps cru que j'étais un peu trop fleur bleue pour mon époque. Je croyais un peu trop en l'amour. J'idéalisais la femme à un point qui pouvait même handicaper mes approches avec l'autre sexe. Je tenais au respect absolu de la femme. Je n'allais pas tirer sur la fleur pour qu'elle pousse plus vite. J'écrivais mille poèmes avant que de donner un baiser. Bref, j'étais nul à chier en amour. Une vraie guimauve...
Les années passèrent. Mes techniques de séduction s'améliorèrent. Néanmoins, le respect de la femme demeura une valeur essentielle pour guider mes actions. Respect qui est toujours passé par la notion de consentement et n'a jamais flirté avec la notion de viol, de violence ou de perversion.
Je n'ai peut-être aucun mérite à cela. Je suis ce que l'on appelle un "lover". Comme mon père l'était. Au risque de passer pour je ne sais quoi.
J'ai été marqué par Les libérateurs de l'amour de Sarane Alexandrian. Dans cet essai sur la littérature érotique, l'auteur en vient à dire que l'amour est fait pour rêver et non pas pour faire des cauchemars.
À chacun son trip, j'imagine, mais je n'ai plus honte de rêver.
Je ne me sens plus naïf ou mièvre d'être tout simplement amoureux.
Je vis en couple depuis quinze ans. Le soir, comme mon père, je réclame la présence de ma blonde dans le lit. Le respect que je lui porte n'a rien de stratégique, rien de théorique. Cela vient du fond du coeur. Ce coeur que je m'en voudrais de ne pas écouter.
Je dois être un bon gars. On dit parfois que les femmes préfèrent les mauvais gars. Peut-être pour se donner des raisons et justifier de mauvaises attitudes. Je n'en sais rien.
Encore que je ne sois pas tout à fait un gentil toutou. Je renie les dieux et brandis le poing contre les injustices. Je me suis même déjà battu. Avec des hommes, évidemment. Jamais avec des femmes. Nul n'est parfait. Surtout pas moi.
J'ai naturellement adopté le féminisme de mon père. Un féminisme sans doute un peu chevaleresque et un brin protecteur. Un féminisme prêt à se battre pour une femme envers qui l'on manque de respect. Un féminisme qui, aux yeux de certains, pourrait passer pour du paternalisme.
Ceux et celles qui voudraient me le reprocher peuvent bien aller se faire voir ailleurs. Je m'en moque.
mardi 25 octobre 2016
Les Québécois se foutent de la religion
"Écrasons l'infâme."
Voltaire
"Foutez-nous la paix avec vos histoires de religion!" a déclaré Jean-Luc Mélenchon lors d'une entrevue avec Jean-Jacques Bourdin diffusée le 30 août dernier sur la web télé BFMTV. Mélenchon, candidat du Front de Gauche aux dernières élections présidentielles de la République française, n'y est pas allé avec le dos de la cuillère pour affirmer haut et fort ce que la gauche d'ici, au Québec, ose à peine murmurer. Comme si elle avait honte de ses propres combats contre l'obscurantisme.
Selon Mélenchon, la majorité des Français ne sont pas intéressés par la religion ou bien la pratiquent chez-eux sans emmerder personne. Toutes les religions enseignent de ne pas jouer au Tartufe et de ne pas sombrer dans la bigoterie. Les lois françaises ne sont pas faites pour le peuple de Dieu mais pour le peuple de France.
C'était pour tout dire rafraîchissant d'entendre ça de la bouche d'un homme de gauche.
Cela m'a fait prendre conscience, une fois de plus, que ma France est bien celle de Voltaire et de Charlie Hebdo. Une France décoincée, irrévérencieuse et libre. Une France qui se démarque par la pensée la plus libre du monde.
Il nous est resté un zeste de ce tempérament chez les Québécois d'ascendance française. Une attitude qu'on a tenté d'étouffer suite à la Conquête de 1760. Il ne suffit que de lire L'imprimeur des libertés: Fleury Mesplet de Jean-Paul de Lagrave et Jacques G. Ruelland pour en prendre pleinement conscience. Les premiers Québécois étaient résolument républicains. Ce sont les curés qui, de tout temps, ont pris soin de nous écraser pour mieux nous soumettre à l'Angleterre.
***
Je ne me suis jamais senti autant Québécois qu'à l'époque où je ne vivais pas au Québec. Je me suis vite rendu compte que la religion était en déroute au Québec. J'ai réalisé que mon peuple n'en avait rien à cirer des dogmes et autres absolus institutionnalisés. Les Québécois avaient enfin retrouvé leur chemin vers la liberté et, malgré les aléas de la politique, cette liberté ne pouvait plus être reprise.
Grattez un peu le vernis américain et vous trouverez chez tout Québécois un anticlérical qui s'assume pleinement.
Les Canadiens et les Américains sont nettement plus religieux que nous le sommes. Ils croient en des bêtises qui ne nous atteignent plus. Plutôt que d'écraser l'infâme à la manière voltairienne, ils ont préféré le réformer... Ce qui fait de notre société la plus libre de tout le continent nord-américain. Et je défie n'importe qui de prétendre le contraire.
On m'a déjà dit dans l'Ouest canadien que les Témoins de Jéhovah eux-mêmes n'étaient pas conventionnels au Québec. Ils boivent de l'alcool et font tout le contraire de ce qu'ont leur dit. Je me plais à le croire, même si ce n'est qu'un racontar.
Malheureusement, une frange importante de la gauche québécoise n'a rien trouvé de mieux que d'imiter le rôle jadis tenu par les membres du clergé. Au lieu de nous libérer de la religion, nos apprentis-curés se sont mis à lui conférer un respect qu'elle ne mérite plus. Au lieu de poursuivre le combat contre l'obscurantisme, cette gauche-là s'est mise à organiser des grandes messes, au grand dam de tous ceux et celles qui portent en eux le combat historique mené par le peuple pour se libérer de la tutelle de la religion.
Je crois, au risque de me tromper, que la grande majorité des Québécois n'aiment pas se faire emmerder avec la religion. Ils la considèrent avec un mélange de mépris hautain et de fatalité. La religion ne sert même plus aux mariages et aux funérailles. Toutes les églises tombent en ruines. Il ne reste plus qu'une poignée d'illuminés qui revendiquent le droit d'emmerder la communauté avec leur bigoterie, leurs grigris et leurs pattes de lapin porte-bonheur.
Les gens qui ne sont pas religieux se font rarement entendre pour la simple et bonne raison qu'ils n'ont rien à vendre. La liberté n'est pas une valeur que l'on soumet aux enchères. Elle ne nécessite pas un culte. Bien au contraire!
Ce qui confère aux personnes religieuses une résonance artificielle qui finit par nous faire croire à tort qu'ils ont des millions de zélotes derrière eux alors qu'ils sont plutôt seuls et pitoyables.
À l'instar de Jean-Luc Mélenchon, je pense qu'il est temps que l'on cesse d'emmerder les Québécois avec la religion. Il est temps que les Québécois puissent vivre libres et en paix avec leur conscience, sans subir la pression des bigots et autres adorateurs de licornes enchantées.
La gauche québécoise doit se ressaisir. Elle doit poursuivre son combat contre l'obscurantisme. Elle doit redevenir libre et républicaine.
Que les gens pratiquent le culte qu'ils veulent à la maison.
Cependant, le Québec n'est pas le pays du peuple de Dieu, mais celui des Québécois et des Québécoises.
lundi 24 octobre 2016
La proie qui se prenait pour un prédateur
Je me lève très tôt le matin pour ne pas gâcher ma journée. J'ai déjà été un oiseau de nuit. Ce n'est plus le cas. Je vis de jour et dors de nuit comme tout bon primate se doit de le faire.
Après avoir moulu des grains de café et avoir parti la cafetière, je m'assois dans mon fauteuil préféré. Puis j'ouvre mon portable et sélectionne une petite vidéo que j'envoie sur l'écran plat via Chromecast. Je suis fort sur les vidéos du genre pluie dans la forêt avec petits chants d'oiseaux comme arrière-fond sonore. Ce matin, pour varier un peu mes habitudes, j'ai visionné une vidéo qui se targuait de présenter les plus beaux paysages du monde sur une musique zen. Le premier café de la journée n'en était que meilleur.
La vidéo m'emmenait un peu partout, dans les déserts des États-Unis et vers les sommets du Pérou. Mon attention s'est portée sur ce que je croyais être des flamants blancs. Comme je ne suis pas le docteur Dolittle je puis me tromper. Disons, pour ne pas me fourvoyer, que j'ai vu des oiseaux.
Tout un chacun sait que les oiseaux avaient pour ancêtres les dinosaures. À moins que vous ne soyez de ce genre de tarés créationnistes qui ont un petit pois à la place du cerveau. Ça se trouve encore de nos jours. La science n'arrive pas dans tous les foyers et les cons se régénèrent. Ce qui pourrait, en théorie, nous faire douter de l'évolution.
En voyant ces oiseaux, je suis parti dans mes pensées comme ça m'arrive trop souvent au grand dam de ma blonde qui doit supporter mes arguties jusqu'à en avoir une migraine.
-Les oiseaux avaient pour ancêtres les dinosaures, que je lui ai dit d'un air plus ahuri que savant. Les dinosaures étaient énormes et ils sont disparus. Il n'est resté que de petits oiseaux... La nature est favorable à la vie miniaturisée...
Ayant dit cela, je me suis tu. Puis j'ai replongé dans mes pensées.
L'être humain avait pour ancêtre quelque chose qui devait ressembler à un petit rat, pour ne pas dire un écureuil.
Nos ancêtres devaient être des proies faciles pour les dinosaures, puis pour les gros mammifères.
D'où notre anxiété qui fait probablement partie des fondements de notre code génétique.
L'être humain est d'abord et avant tout une proie. Un animal pétri de peur qui ne sait pas voler de ses propres ailes et qui se cache soit dans les arbres, soit dans la merde.
Il est étrange que le petit rat soit devenu un petit singe.
Il est bizarre que ce petit singe se soit mis à manger de la viande pour grossir toujours plus et apporter à son cerveau son lot de glucides et de protéines qui ont fini par en faire ce gros singe nu malcommode que nous sommes. Un singe aussi gros qu'un petit gorille que même les gorilles évitent de crainte que leurs mains ne servent de cendriers pour de vils collectionneurs américains. Un singe avec la plus solide colonne vertébrale de la création qui lui permet de se tenir en position debout pendant des heures quand il va à la chasse aux petits Pokémons...
Ce gros singe nu ne se souvient plus d'avoir été une proie. Il s'affirme en tant que prédateur de toutes les espèces vivantes de la Terre et bientôt de l'univers entier si l'on ne fait rien pour l'arrêter. Si j'étais un extraterrestre je me méfierai de cet apprenti-sorcier qui joue avec des accélérateurs de particules pour provoquer des radiations artificielles et peut-être même créer des trous noirs.
Je pensais à tout ça en contemplant les flamants blancs ou bien ces drôles d'oiseaux qui doivent bien avoir un nom.
Puis ce fut l'heure de partir au boulot.
J'ai croisé quelques écureuils en cours de route. J'ai même vu des goélands et des canards.
Je ne les ai même pas salués.
J'ai fait comme s'ils n'existaient pas.
On est prédateur ou bien on ne l'est pas...
Après avoir moulu des grains de café et avoir parti la cafetière, je m'assois dans mon fauteuil préféré. Puis j'ouvre mon portable et sélectionne une petite vidéo que j'envoie sur l'écran plat via Chromecast. Je suis fort sur les vidéos du genre pluie dans la forêt avec petits chants d'oiseaux comme arrière-fond sonore. Ce matin, pour varier un peu mes habitudes, j'ai visionné une vidéo qui se targuait de présenter les plus beaux paysages du monde sur une musique zen. Le premier café de la journée n'en était que meilleur.
La vidéo m'emmenait un peu partout, dans les déserts des États-Unis et vers les sommets du Pérou. Mon attention s'est portée sur ce que je croyais être des flamants blancs. Comme je ne suis pas le docteur Dolittle je puis me tromper. Disons, pour ne pas me fourvoyer, que j'ai vu des oiseaux.
Tout un chacun sait que les oiseaux avaient pour ancêtres les dinosaures. À moins que vous ne soyez de ce genre de tarés créationnistes qui ont un petit pois à la place du cerveau. Ça se trouve encore de nos jours. La science n'arrive pas dans tous les foyers et les cons se régénèrent. Ce qui pourrait, en théorie, nous faire douter de l'évolution.
En voyant ces oiseaux, je suis parti dans mes pensées comme ça m'arrive trop souvent au grand dam de ma blonde qui doit supporter mes arguties jusqu'à en avoir une migraine.
-Les oiseaux avaient pour ancêtres les dinosaures, que je lui ai dit d'un air plus ahuri que savant. Les dinosaures étaient énormes et ils sont disparus. Il n'est resté que de petits oiseaux... La nature est favorable à la vie miniaturisée...
Ayant dit cela, je me suis tu. Puis j'ai replongé dans mes pensées.
L'être humain avait pour ancêtre quelque chose qui devait ressembler à un petit rat, pour ne pas dire un écureuil.
Nos ancêtres devaient être des proies faciles pour les dinosaures, puis pour les gros mammifères.
D'où notre anxiété qui fait probablement partie des fondements de notre code génétique.
L'être humain est d'abord et avant tout une proie. Un animal pétri de peur qui ne sait pas voler de ses propres ailes et qui se cache soit dans les arbres, soit dans la merde.
Il est étrange que le petit rat soit devenu un petit singe.
Il est bizarre que ce petit singe se soit mis à manger de la viande pour grossir toujours plus et apporter à son cerveau son lot de glucides et de protéines qui ont fini par en faire ce gros singe nu malcommode que nous sommes. Un singe aussi gros qu'un petit gorille que même les gorilles évitent de crainte que leurs mains ne servent de cendriers pour de vils collectionneurs américains. Un singe avec la plus solide colonne vertébrale de la création qui lui permet de se tenir en position debout pendant des heures quand il va à la chasse aux petits Pokémons...
Ce gros singe nu ne se souvient plus d'avoir été une proie. Il s'affirme en tant que prédateur de toutes les espèces vivantes de la Terre et bientôt de l'univers entier si l'on ne fait rien pour l'arrêter. Si j'étais un extraterrestre je me méfierai de cet apprenti-sorcier qui joue avec des accélérateurs de particules pour provoquer des radiations artificielles et peut-être même créer des trous noirs.
Je pensais à tout ça en contemplant les flamants blancs ou bien ces drôles d'oiseaux qui doivent bien avoir un nom.
Puis ce fut l'heure de partir au boulot.
J'ai croisé quelques écureuils en cours de route. J'ai même vu des goélands et des canards.
Je ne les ai même pas salués.
J'ai fait comme s'ils n'existaient pas.
On est prédateur ou bien on ne l'est pas...
dimanche 23 octobre 2016
Propos décousus sur ma vision de l'art
Qu'est-ce que l'art? C'est tout ce que vous voulez bien en dire. Je ne serai même pas là pour vous reprendre. Je refuse de m'imposer en tant que maître du bon goût. Si vous vous cantonnez à une définition plutôt qu'à une autre, eh bien c'est votre affaire. La mienne n'a rien à voir avec les affaires. L'art, pour moi, c'est tout ce que je suis. Et je le dis sans aucune forme de prétention. Que suis-je d'autre qu'un artiste et pourquoi devrais-je m'en excuser? Je suis un artiste et c'est comme ça. L'art est la meilleure et sans doute la plus complète partie de moi-même.
Je me suis réfugié dans l'art dès que j'ai pu mettre mes doigts dans de la gouache.
Grâce à mes barbouillages, je réussissais à créer un espace qui m'était propre pour me préserver des saletés de ce monde.
Ma mère croyait que c'était pour me rendre fou tous ces dessins et bientôt tous ces mots que je faisais au lieu de regarder la télé. Elle m'avait tout de même acheté une table de jeu de cartes pliante pour me permettre de m'abandonner à mes passions. Elle ne comprenait pas que je ne fasse mes dessins que sur un seul côté du papier. Je gaspillais du papier... De son point de vue, c'était sans doute vrai. Du mien, cette remarque me semblait incompréhensible.
Puis je me suis mis à lire. Plus je lisais et plus j'avais l'envie d'écrire. Je me suis donc acheté un dactylographe de marque Brother pour produire mes travaux scolaires et me lancer dans la littérature. À l'instar de Kerouac, j'écrivais directement à la dactylo et empilais les feuilles dans des chemises. J'ai sorti deux romans, trois pièces de théâtre et trois recueils de poésie en un rien de temps pour témoigner de mon nouveau statut d'écrivain. Ça ne valait pas de la crotte. J'ai fini par perdre ou déchirer tout ça. Le monde n'y a rien perdu. La pire chose qui aurait pu m'arriver c'est bien d'avoir réussi à publier ce fatras de lamentations prétentieuses de jeune con.
La musique est venue ensuite me surprendre. Rien ne me semblait plus hors d'atteinte que de jouer d'un instrument de musique. Mon professeur de musique au secondaire m'avait dit que je n'avais aucun talent. C'est vrai que je détestais le xylophone... Par contre, je commençais à jouer n'importe quoi avec mes flûtes achetées dans le cadre d'un cours de musique. Même du jazz. Si j'étais capable de jouer My Favorite Things à l'oreille, c'est donc que j'avais sans doute un autre talent caché. Je me suis donc procuré un harmonica dans l'espoir d'en jouer un jour comme Guy Marchamps et le gus qui accompagnait le guitariste Steve Hill au Pub 127. J'ai commencé par jouer Oh When the Saints de Louis Armstrong. D'autres airs se sont ajoutés lentement mais sûrement. Au bout de deux ans, je pouvais jouer à peu près n'importe quoi dont Après ma brosse de Oscar Thiffault.
Il manquait la chanson. Comment chanter avec un harmonica dans la bouche, hein? Ça prenait donc une guitare. La première que je me suis achetée m'a déçu. Je n'y comprenais rien. Je peinais comme un chien pour l'accorder. J'étais à peine capable de sortir quelques misérables notes. Je l'ai abandonnée et j'en ai fait mon deuil. Je ne chanterais donc jamais. Comment pourrais-je chanter des sérénades à l'élue de mon coeur?
Puis un ami surnommé Phil Good m'a vendu sa guitare cinquante dollars avant que de filer vers l'Ouest. Je fumais pas mal de bon stock à l'époque. Mon coloc Robob passait ses journées à jouer du tamtam. Je me suis donc remis en tête de jouer de la guitare. Et cette fois-là, la magie s'est produite. Je me suis mis à jouer un blues, un air de rock, un autre de reggae. Avant la fin du mois, je m'accompagnais à la guitare pour chanter des chansons de mon cru, des chansons sales et vulgaires bien entendu. Moi et mon coloc recrutions Marc Cavanaugh, guitariste et prof de musique, pour mettre un peu d'ordre dans tout ça. Marc m'a tout montré pour dire vrai. Il m'a appris à accorder ma guitare sans jamais me dissuader de faire des accords qui n'en étaient pas... Ce gars-là est trop gentil.
J'ai ajouté un support à harmonica et me suis mis à me prendre pour Neil Young.
J'ai continué mon apprentissage en solitaire dans un modeste studio de Québec.
Puis j'ai lancé mon premier band et, vogue la galère, nous nous sommes mis à faire le tour des bars. Grizzli que ça s'appelait. J'étais accompagné des frères Cavanaugh et de Dany Massicotte qui jouait sur un tambour doté d'une seule cymbale. Un drummer se proposa de le remplacer parce qu'il trouvait qu'on faisait dur avec ce seul tambour et cette seule cymbale. Je lui ai signifié qu'il lui manquait quelque chose d'essentiel: une grosse barbe. Or, Dany avait une grosse barbe.
Le groupe s'est dissous après un an. J'ai formé un nouveau groupe avec le guitariste Daniel Langis. Un groupe qui s'est appelé Wabasso. On a joué trois ou quatre fois et nous sommes passés à autre chose.
J'ai tout de même continué de jouer tous les jours. J'ai jammé un bon moment avec Robob. J'ai même enregistré ces jams délirants.
Par contre, je ne fréquentais plus les bars et ne comptais plus y remettre les pieds. La musique devant public est remise aux calendes grecques. Elle berce tout de même mes soirées. Je n'ai pas cessé d'apprendre.
D'autres guitares se sont ajoutées au fil des ans. J'ai aussi acheté un accordéon, une harpe de Madagascar, un clavier, un ukulélé et j'en passe.
Vint ensuite le tour de la peinture. C'était en 2004. J'ai ramené du Dollarama des petites toiles, des pinceaux et des pots de peinture. Ma blonde m'encouragea à poursuivre sur de plus grands formats. Ce que je fis. Tant et si bien que je ne pourrais pas vous dire combien j'en ai peintes depuis.
J'ai toujours continué à écrire. J'ai rédigé des billets radiophoniques pour CKIA. Puis j'ai conçu un recueil de nouvelles qui n'a pas trouvé preneur. J'ai créé des webzines morts-nés. Et enfin, en avril 2007, j'ai fondé ce blogue dans lequel j'ai téléversé un peu plus de 2800 billets, dont des contes, des nouvelles, des récits, des anecdotes, des points de vue.
Qu'est-ce que l'art? Pour moi, c'est un peu tout ça. C'est écrire, dessiner, peindre et jouer de la musique sans jamais s'arrêter. C'est consubstantiel. C'est viscéral. C'est moi.
Je me suis réfugié dans l'art dès que j'ai pu mettre mes doigts dans de la gouache.
Grâce à mes barbouillages, je réussissais à créer un espace qui m'était propre pour me préserver des saletés de ce monde.
Ma mère croyait que c'était pour me rendre fou tous ces dessins et bientôt tous ces mots que je faisais au lieu de regarder la télé. Elle m'avait tout de même acheté une table de jeu de cartes pliante pour me permettre de m'abandonner à mes passions. Elle ne comprenait pas que je ne fasse mes dessins que sur un seul côté du papier. Je gaspillais du papier... De son point de vue, c'était sans doute vrai. Du mien, cette remarque me semblait incompréhensible.
Puis je me suis mis à lire. Plus je lisais et plus j'avais l'envie d'écrire. Je me suis donc acheté un dactylographe de marque Brother pour produire mes travaux scolaires et me lancer dans la littérature. À l'instar de Kerouac, j'écrivais directement à la dactylo et empilais les feuilles dans des chemises. J'ai sorti deux romans, trois pièces de théâtre et trois recueils de poésie en un rien de temps pour témoigner de mon nouveau statut d'écrivain. Ça ne valait pas de la crotte. J'ai fini par perdre ou déchirer tout ça. Le monde n'y a rien perdu. La pire chose qui aurait pu m'arriver c'est bien d'avoir réussi à publier ce fatras de lamentations prétentieuses de jeune con.
La musique est venue ensuite me surprendre. Rien ne me semblait plus hors d'atteinte que de jouer d'un instrument de musique. Mon professeur de musique au secondaire m'avait dit que je n'avais aucun talent. C'est vrai que je détestais le xylophone... Par contre, je commençais à jouer n'importe quoi avec mes flûtes achetées dans le cadre d'un cours de musique. Même du jazz. Si j'étais capable de jouer My Favorite Things à l'oreille, c'est donc que j'avais sans doute un autre talent caché. Je me suis donc procuré un harmonica dans l'espoir d'en jouer un jour comme Guy Marchamps et le gus qui accompagnait le guitariste Steve Hill au Pub 127. J'ai commencé par jouer Oh When the Saints de Louis Armstrong. D'autres airs se sont ajoutés lentement mais sûrement. Au bout de deux ans, je pouvais jouer à peu près n'importe quoi dont Après ma brosse de Oscar Thiffault.
Il manquait la chanson. Comment chanter avec un harmonica dans la bouche, hein? Ça prenait donc une guitare. La première que je me suis achetée m'a déçu. Je n'y comprenais rien. Je peinais comme un chien pour l'accorder. J'étais à peine capable de sortir quelques misérables notes. Je l'ai abandonnée et j'en ai fait mon deuil. Je ne chanterais donc jamais. Comment pourrais-je chanter des sérénades à l'élue de mon coeur?
Puis un ami surnommé Phil Good m'a vendu sa guitare cinquante dollars avant que de filer vers l'Ouest. Je fumais pas mal de bon stock à l'époque. Mon coloc Robob passait ses journées à jouer du tamtam. Je me suis donc remis en tête de jouer de la guitare. Et cette fois-là, la magie s'est produite. Je me suis mis à jouer un blues, un air de rock, un autre de reggae. Avant la fin du mois, je m'accompagnais à la guitare pour chanter des chansons de mon cru, des chansons sales et vulgaires bien entendu. Moi et mon coloc recrutions Marc Cavanaugh, guitariste et prof de musique, pour mettre un peu d'ordre dans tout ça. Marc m'a tout montré pour dire vrai. Il m'a appris à accorder ma guitare sans jamais me dissuader de faire des accords qui n'en étaient pas... Ce gars-là est trop gentil.
J'ai ajouté un support à harmonica et me suis mis à me prendre pour Neil Young.
J'ai continué mon apprentissage en solitaire dans un modeste studio de Québec.
Puis j'ai lancé mon premier band et, vogue la galère, nous nous sommes mis à faire le tour des bars. Grizzli que ça s'appelait. J'étais accompagné des frères Cavanaugh et de Dany Massicotte qui jouait sur un tambour doté d'une seule cymbale. Un drummer se proposa de le remplacer parce qu'il trouvait qu'on faisait dur avec ce seul tambour et cette seule cymbale. Je lui ai signifié qu'il lui manquait quelque chose d'essentiel: une grosse barbe. Or, Dany avait une grosse barbe.
Le groupe s'est dissous après un an. J'ai formé un nouveau groupe avec le guitariste Daniel Langis. Un groupe qui s'est appelé Wabasso. On a joué trois ou quatre fois et nous sommes passés à autre chose.
J'ai tout de même continué de jouer tous les jours. J'ai jammé un bon moment avec Robob. J'ai même enregistré ces jams délirants.
Par contre, je ne fréquentais plus les bars et ne comptais plus y remettre les pieds. La musique devant public est remise aux calendes grecques. Elle berce tout de même mes soirées. Je n'ai pas cessé d'apprendre.
D'autres guitares se sont ajoutées au fil des ans. J'ai aussi acheté un accordéon, une harpe de Madagascar, un clavier, un ukulélé et j'en passe.
Vint ensuite le tour de la peinture. C'était en 2004. J'ai ramené du Dollarama des petites toiles, des pinceaux et des pots de peinture. Ma blonde m'encouragea à poursuivre sur de plus grands formats. Ce que je fis. Tant et si bien que je ne pourrais pas vous dire combien j'en ai peintes depuis.
J'ai toujours continué à écrire. J'ai rédigé des billets radiophoniques pour CKIA. Puis j'ai conçu un recueil de nouvelles qui n'a pas trouvé preneur. J'ai créé des webzines morts-nés. Et enfin, en avril 2007, j'ai fondé ce blogue dans lequel j'ai téléversé un peu plus de 2800 billets, dont des contes, des nouvelles, des récits, des anecdotes, des points de vue.
Qu'est-ce que l'art? Pour moi, c'est un peu tout ça. C'est écrire, dessiner, peindre et jouer de la musique sans jamais s'arrêter. C'est consubstantiel. C'est viscéral. C'est moi.
samedi 22 octobre 2016
Mon pays n'est pas pour les chochottes
Le vent soufflait des rafales de neige dans les vitres de notre logement. Il y avait donc cette possibilité que l'école soit fermée en raison de la tempête. Nous allumions la radio et écoutions la station CHLN au 550 de la bande AM pour en avoir le coeur net.
-...toutes les écoles de la Commission scolaire de Trois-Rivières sont fermées ce matin... aussi celles de Nicolet et de Drummondville... La tempête pourrait laisser 20 pouces de neige au sol.. Demeurez en ondes... Dans quelques instants on vous fera jouer le dernier succès de Boule Noire...
-Yahou! nous réjouissions-nous. Pas d'école aujourd'hui!!!
Cela ne signifiait pas que nous allions nous la couler douce à la maison. Il fallait d'abord songer à se faire de l'argent avec nos pelles.
-Voulez-vous qu'on déblaye votre parking m'sieur? Cinq piastres...
-Ok...
Et nous déblayions le stationnement de la cordonnerie, de la buanderie, de la pâtisserie, du dépanneur et autres particuliers. Puis on s'amusait comme il se doit. Nous revenions à la maison épuisés mais heureux d'avoir manqué l'école. S'il nous restait quelques forces, nous allions déblayer la patinoire du parc des Pins pour jouer au hockey ou bien nous faisions les quatre cents coups dans les ruelles et hangars environnants.
***
On annonce trois jours de pluie forte. Ce n'est pas encore le temps pour les tempêtes de neige mais je me doute que j'en verrai d'autres cette année.
Je me revois jouer dehors sous la tempête et même aujourd'hui je me sens toujours d'attaque pour affronter la pluie, le grésil et le blizzard.
Je m'habille chaudement. Je revêts un imperméable. Et hop sous la pluie!
Les rues sont désertes et c'est tant mieux.
Je semble être le seul fou sur les trottoirs.
C'est comme si je vivais une grande aventure alors qu'il n'y a rien que de très banal.
L'enfant encore en moi s'invente des scénarios.
Je suis un explorateur de l'Arctique.
Je suis un soldat sous la pluie qui s'avance vers l'ennemi.
Je suis un vagabond qui se méritera une bonne tasse de café bien chaud lorsqu'il se trouvera un abri.
***
Plus je vieillis et plus je regrette de voir que les gens soient devenus si chochottes dans les grandes villes.
J'en entends des tas pleurnicher de voir tomber la pluie ou la neige.
Ils rêvent de voyager dans le Sud, de quitter ce monde qui est le nôtre pour se conférer l'illusion d'une vie qui ne sera jamais la leur.
Ils s'enferment pour des mois devant leur téléviseur et vivent par procuration.
Tandis que moi, le vieux con, je chante sous la pluie comme sous la neige.
Je ris d'être trempé jusqu'aux os.
Je me réjouis de marcher dans deux pieds de neige.
Je siffle comme si j'étais l'homme le plus heureux du monde quand le décor suggère la désolation.
Je vais donc passer une belle fin de semaine puisque la météo ne nous promet que du mauvais temps.
La soupe n'en sera que meilleure.
vendredi 21 octobre 2016
Donnez-moi un thème et j'en ferai un poème sublime
J'ai pour mon dire que l'on peut soumettre n'importe quel thème à un bon écrivain et il trouvera le moyen d'en faire un grand texte.
Évidemment, il serait présomptueux de me soumettre à cette épreuve pour en tirer une pathétique démonstration de virtuosité littéraire.
Vous savez bien que là n'est pas mon propos.
Je tiens surtout à me gausser d'un autre en votre passive compagnie. Cet autre qui s'appellait Yvon Laverdure, un gars qui n'avait même pas l'Internet et qui prétendait ne savoir écrire qu'avec un crayon de plomb.
-Je ne sais écrire qu'avec un crayon de plomb... qu'il disait aux inconnus qui devaient lui faire face dans les bars et tripots de la ville qu'il fréquentait aussi souvent que le lui permettait son budget.
Pour vous faire une image mentale, je vous dirais qu'il ressemblait à quelque chose de gluant. Il y avait quelque chose qui clochait chez Yvon Laverdure. C'était un homme moyen aux épaules voûtées qui se léchaient toujours les lèvres en vous adressant la parole. Ses gestes étaient d'une extrême lenteur, à la limite de l'obscénité. Comme s'il tentait de détourner l'attention sur les vices que l'on devinait dans son regard louche. On ne l'écoutait pas sans ressentir un indicible dégoût. Sa grosse barbe noire avait même quelque chose de répugnant. Mais ce qui soulevait le coeur par-dessus tout, c'était sa propension à réciter à tout venant des poèmes de son cru qu'il avait écrit avec son pitoyable crayon de plomb.
-Tu t'appelles comment? Moi c'est Yvon Laverdure...
-...
-Je suis poète. J'écris des poèmes seulement avec des crayons de plomb. La technologie nous envahit et nous domine. Les gens ne savent plus écrire à la main, comme je le fais par devoir de résistance... Mes poèmes sont d'autant plus authentique que je les écris à la main... Oui... Et je prépare en ce moment un manuscrit pour les Écrits des Gorges. Un manuscrit qui remettra les pendules de la poésie à l'heure, si je puis m'exprimer ainsi...
Évidemment, on avait l'envie de changer de place en l'écoutant: pas un autre animal qui va emmerder les clients du bar avec ses poèmes de collégien mal torchés...
-Or donc la conque de la conquête est la quête de la conque et quiconque sera conquis sera heureux qui comme pelisse en chaleur!
-...
Yvon Laverdure s'en foutait que vous l'écoutiez ou pas. Il pouvait pérorer pendant des heures jusqu'à ce que son regard vicieux et son haleine de fond de tonne viennent à bout de votre tolérance.
-Donne-moi un thème, n'importe quel, et je t'en ferai un poème...
-La poésie m'fait chier, avais-je fini par lui répondre.
-Pourquoi? La poésie c'est toute la beauté du monde! C'est extrêmement difficile la poésie! C'est sublime la poésie! Il n'y a que poésie dans la vie! La poésie est la raison d'être de l'existence et celui qui est sans poésie est condamné à ne pas savourer la substantifique moelle de la vie... La poésie ceci! La poésie cela! La poésie...
-Veux-tu bien me crisser la paix avec ta barbe crottée, ton lichage de lèvres et ta poésie stupide! finissait-on par penser en son for intérieur.
La politesse étant ce qu'elle doit d'être, je n'osais pas renchérir sur cette envie que j'avais de le faire taire pour boire ma bière tranquille.
-Tu as dit que tu peux écrire sur n'importe quel thème?
-Oui... Donne-moi un thème et je te composerai un poème sublime!
-Ok. Que dirais-tu des portes et fenêtres?
-Des portes et fenêtres?
-Oui, des portes et fenêtres...
Yvon Laverdure était demeuré songeur un moment puis, prenant son crayon de plomb, il s'était mis à écrire frénétiquement comme si le sort du monde entier en dépendait.
C'est là que je lui avais faussé compagnie sans crier gare pour l'abandonner à sa création dont je me tapais tout à fait.
La serveuse était déçue que je m'en aille.
Il n'y avait que nous trois dans le bar. Je la laissais seule avec cet énergumène qui, visiblement, la faisait chier.
-Si tu savais... qu'elle me dit.
-Si je savais quoi?
-Ce gars-là c'est un hostie d'pédophile... Il a fait la une des journaux il y a deux ans... Il entraîne des enfants chez-lui... Et il tente de leur faire des attouchements... C'est un hostie d'malade! Quant à moi, j'lui couperais la queue pis les gosses el' tabarnak!!!
-Ah oui?
-Oui... J'me demande pourquoi j'le sers... J'en ai parlé à mon boss qui m'a dit "Qu'est-cé tu veux qu'on fasse?" comme si nous ne pouvions rien faire... J'suis obligé d'le supporter tous les soirs... Il me parle et j'lui réponds pas... C'est un hostie d'pédo!!!
J'en eus froid dans le dos. Je n'ai rien fait moi non plus, sinon foutre le camp.
Me trouver en présence de ce pédophile apprenti-poète n'avait pas été sans gâcher ma soirée.
J'ai donc atterri dans un bar plus prolétarien où personne n'est venu me faire chier avec de la poésie glauque.
-Qu'est-cé tu vas prendre bonhomme? m'a dit Jeff, le barman du Pub 127.
-J'vais prendre un Jack Daniel's quadruple sans glace avec une bière.
J'ai calé le Jack Daniel's quadruple d'un coup sec. Puis je m'en suis recommandé deux autres.
Au troisième, j'ai commencé à me sentir mieux.
Il y avait une équipe de balle molle qui célébrait leur victoire ainsi que des employés de Postes Canada plutôt saouls morts. Des étudiants du Cégep avaient mangé des space cakes et riaient dans leur coin.
Rien d'anormal pour tout dire.
Cela faisait du bien de se trouver en compagnie de ces fêtards plus qu'ordinaires.
On a parlé des Doors et du Parti Québécois.
Puis tout s'est terminé avec une poutine chez Bravo parce que c'est comme ça que ça se passe après trois heures du matin lorsqu'on est encore capable de marcher.
Quant à ce pédé d'Yvon Laverdure, eh bien je ne l'ai jamais revu.
Évidemment, il serait présomptueux de me soumettre à cette épreuve pour en tirer une pathétique démonstration de virtuosité littéraire.
Vous savez bien que là n'est pas mon propos.
Je tiens surtout à me gausser d'un autre en votre passive compagnie. Cet autre qui s'appellait Yvon Laverdure, un gars qui n'avait même pas l'Internet et qui prétendait ne savoir écrire qu'avec un crayon de plomb.
-Je ne sais écrire qu'avec un crayon de plomb... qu'il disait aux inconnus qui devaient lui faire face dans les bars et tripots de la ville qu'il fréquentait aussi souvent que le lui permettait son budget.
Pour vous faire une image mentale, je vous dirais qu'il ressemblait à quelque chose de gluant. Il y avait quelque chose qui clochait chez Yvon Laverdure. C'était un homme moyen aux épaules voûtées qui se léchaient toujours les lèvres en vous adressant la parole. Ses gestes étaient d'une extrême lenteur, à la limite de l'obscénité. Comme s'il tentait de détourner l'attention sur les vices que l'on devinait dans son regard louche. On ne l'écoutait pas sans ressentir un indicible dégoût. Sa grosse barbe noire avait même quelque chose de répugnant. Mais ce qui soulevait le coeur par-dessus tout, c'était sa propension à réciter à tout venant des poèmes de son cru qu'il avait écrit avec son pitoyable crayon de plomb.
-Tu t'appelles comment? Moi c'est Yvon Laverdure...
-...
-Je suis poète. J'écris des poèmes seulement avec des crayons de plomb. La technologie nous envahit et nous domine. Les gens ne savent plus écrire à la main, comme je le fais par devoir de résistance... Mes poèmes sont d'autant plus authentique que je les écris à la main... Oui... Et je prépare en ce moment un manuscrit pour les Écrits des Gorges. Un manuscrit qui remettra les pendules de la poésie à l'heure, si je puis m'exprimer ainsi...
Évidemment, on avait l'envie de changer de place en l'écoutant: pas un autre animal qui va emmerder les clients du bar avec ses poèmes de collégien mal torchés...
-Or donc la conque de la conquête est la quête de la conque et quiconque sera conquis sera heureux qui comme pelisse en chaleur!
-...
Yvon Laverdure s'en foutait que vous l'écoutiez ou pas. Il pouvait pérorer pendant des heures jusqu'à ce que son regard vicieux et son haleine de fond de tonne viennent à bout de votre tolérance.
-Donne-moi un thème, n'importe quel, et je t'en ferai un poème...
-La poésie m'fait chier, avais-je fini par lui répondre.
-Pourquoi? La poésie c'est toute la beauté du monde! C'est extrêmement difficile la poésie! C'est sublime la poésie! Il n'y a que poésie dans la vie! La poésie est la raison d'être de l'existence et celui qui est sans poésie est condamné à ne pas savourer la substantifique moelle de la vie... La poésie ceci! La poésie cela! La poésie...
-Veux-tu bien me crisser la paix avec ta barbe crottée, ton lichage de lèvres et ta poésie stupide! finissait-on par penser en son for intérieur.
La politesse étant ce qu'elle doit d'être, je n'osais pas renchérir sur cette envie que j'avais de le faire taire pour boire ma bière tranquille.
-Tu as dit que tu peux écrire sur n'importe quel thème?
-Oui... Donne-moi un thème et je te composerai un poème sublime!
-Ok. Que dirais-tu des portes et fenêtres?
-Des portes et fenêtres?
-Oui, des portes et fenêtres...
Yvon Laverdure était demeuré songeur un moment puis, prenant son crayon de plomb, il s'était mis à écrire frénétiquement comme si le sort du monde entier en dépendait.
C'est là que je lui avais faussé compagnie sans crier gare pour l'abandonner à sa création dont je me tapais tout à fait.
La serveuse était déçue que je m'en aille.
Il n'y avait que nous trois dans le bar. Je la laissais seule avec cet énergumène qui, visiblement, la faisait chier.
-Si tu savais... qu'elle me dit.
-Si je savais quoi?
-Ce gars-là c'est un hostie d'pédophile... Il a fait la une des journaux il y a deux ans... Il entraîne des enfants chez-lui... Et il tente de leur faire des attouchements... C'est un hostie d'malade! Quant à moi, j'lui couperais la queue pis les gosses el' tabarnak!!!
-Ah oui?
-Oui... J'me demande pourquoi j'le sers... J'en ai parlé à mon boss qui m'a dit "Qu'est-cé tu veux qu'on fasse?" comme si nous ne pouvions rien faire... J'suis obligé d'le supporter tous les soirs... Il me parle et j'lui réponds pas... C'est un hostie d'pédo!!!
J'en eus froid dans le dos. Je n'ai rien fait moi non plus, sinon foutre le camp.
Me trouver en présence de ce pédophile apprenti-poète n'avait pas été sans gâcher ma soirée.
J'ai donc atterri dans un bar plus prolétarien où personne n'est venu me faire chier avec de la poésie glauque.
-Qu'est-cé tu vas prendre bonhomme? m'a dit Jeff, le barman du Pub 127.
-J'vais prendre un Jack Daniel's quadruple sans glace avec une bière.
J'ai calé le Jack Daniel's quadruple d'un coup sec. Puis je m'en suis recommandé deux autres.
Au troisième, j'ai commencé à me sentir mieux.
Il y avait une équipe de balle molle qui célébrait leur victoire ainsi que des employés de Postes Canada plutôt saouls morts. Des étudiants du Cégep avaient mangé des space cakes et riaient dans leur coin.
Rien d'anormal pour tout dire.
Cela faisait du bien de se trouver en compagnie de ces fêtards plus qu'ordinaires.
On a parlé des Doors et du Parti Québécois.
Puis tout s'est terminé avec une poutine chez Bravo parce que c'est comme ça que ça se passe après trois heures du matin lorsqu'on est encore capable de marcher.
Quant à ce pédé d'Yvon Laverdure, eh bien je ne l'ai jamais revu.
jeudi 20 octobre 2016
Lever du soleil sur la rue Royale à Trois-Rivières
Une photo que j'ai prise hier sur la rue Royale à Trois-Rivières. Il était sept heures pile du matin.
TRU(i)E STORY
Cette histoire n’est pas facile à raconter mais elle est
authentique. Cela s’est passé il y a une vingtaine d’années dans
l’arrière-pays, quelque part entre Gentilly et Victoriaville. J’hésite à vous
donner le lieu exact des événements pour la simple et bonne raison que ce récit
met en scène une personne un peu perturbée qui pourrait se reconnaître et venir me le reprocher.
L'un de mes amis était à la recherche d’un logement ou bien
d’une maison à louer. Il fut intrigué par une annonce qui laissait entendre
qu’une maison mobile était en vente dans la municipalité paroissiale de X.
Ladite maison avait été saisie par les autorités compte tenu que son
propriétaire n’avait jamais acquitté son compte de taxes. La ville était prête
à la céder pour moins de 2000$ en raison de l’état des lieux. L’ancien
propriétaire s’en servait comme d’un dépotoir. Il y avait du gros ménage à
faire. De plus, la maison mobile nécessitait de gros travaux de rénovation.
Par contre, le terrain semblait digne d’intérêt. La maison
mobile était située près d’un petit ruisseau.
Après un bon ménage, qui sait si ce lieu n'était pas pour devenir des plus
enchanteur? Pour tout dire, cela faisait rêver mon ami, un gars qui fumait probablement trop de marijuana.
Nous nous sommes donc présentés, lui et moi, pour aller voir
ça de plus près.
La cour de la maison était remplie de vieux pneus, de bouts
de ferraille et j’oserais dire de matières fécales d'origine humaine ou animale.
Nous apprîmes que l’ex-propriétaire était un personnage
singulier, si je puis me permettre cet euphémisme.
C’était, à en croire le conseiller municipal qui nous fit
visiter la maison, un type qui ne se lavait jamais. L'hurluberlu vivait dans sa maison avec une truie qui lui tenait lieu d'animal de compagnie.
Le conseiller municipal, un petit bonhomme dans la cinquantaine qui portait un bermuda et une casquette de golfeur, était un peu gêné de nous montrer les lieux.
Avec raison. Lorsque nous ouvrîmes la porte de la maison mobile, une incroyable odeur de moisissure et de purin nous monta au nez. Les planchers et les murs étaient défoncés et tout y était crotté, sinon abject. On avait sommairement nettoyé à la pelle l'intérieur de la maison mobile pour enlever le plus gros. Néanmoins, des crottes de souris et d'écureuils s'étaient ajoutées. Les comptoirs et la table de cuisine étaient dissimulés sous un lot de bouteilles, de canettes et de boîtes de conserve vides.
Le conseiller municipal, un petit bonhomme dans la cinquantaine qui portait un bermuda et une casquette de golfeur, était un peu gêné de nous montrer les lieux.
Avec raison. Lorsque nous ouvrîmes la porte de la maison mobile, une incroyable odeur de moisissure et de purin nous monta au nez. Les planchers et les murs étaient défoncés et tout y était crotté, sinon abject. On avait sommairement nettoyé à la pelle l'intérieur de la maison mobile pour enlever le plus gros. Néanmoins, des crottes de souris et d'écureuils s'étaient ajoutées. Les comptoirs et la table de cuisine étaient dissimulés sous un lot de bouteilles, de canettes et de boîtes de conserve vides.
La
chambre était encore pire. Le type dormait avec un moteur d’avion… Les draps de son lit étaient translucides de sébum et de vaseline. Des tas de livres d’ingénierie
aéronautique traînaient ça et là sur le sol recouvert d’une matière visqueuse d'origine inconnue.
-Il vivait vraiment avec une truie? Il dormait vraiment
avec un moteur d’avion? demanda mon ami, les yeux exorbités par ce qui s'offrait à son regard. dont une vieille Bible aux pages crasseuses que nous n'osâmes pas feuilleter.
-Oui… dit le conseiller en se bouchant le nez. Il
travaillait aussi à l’abattoir de cochons de Ste-X…. C’était un journalier… Il
dépeçait des cochons tous les jours… Et il voulait bâtir son propre avion à ce qu'il paraît...
-Et il vivait avec une truie tout en dépeçant des cochons à l'abattoir? Hostie c'est malade! osais-je dire.
-Oui… Sa truie s'appelait Gertrude... Et il s’est même passé une histoire que vous ne devez pas raconter à personne… susurra le conseiller en maintenant sa main devant son nez.
-Hum…?
-Eh bien… Heu… On l’a surpris tout nu dans son cours en
train de... vous savez quoi... avec Gertrude, sa truie..
-Quoi!?!
-On lui a fait un procès pour bestialité… Ça, le compte de
taxes pas payé, plus les plaintes des voisins… Vous comprenez que la ville n’ait pas eu le choix de tout reprendre…
-Et pourquoi un moteur d’avion dans son lit? questionné-je.
-Il rêvait de bâtir son propre Cessna… C’était un type
bizarre, pas propre, solitaire et taciturne… Il faisait peur... C'est pour ça que la maison et le terrain ne sont pas dispendieux... Personne n'en veut dans la municipalité...
-Et qu'est-il arrivé à Gertrude? demanda mon ami.
-On l'a remise à l'abattoir, avoua d'un air gêné le conseiller municipal.
Nous nous sommes regardés l’un l’autre moi et mon ami avec
un mélange d’étonnement et d’ahurissement.
-J’pense pas que j’vais l’acheter… avoua mon ami. Ça pue l’cochon pis toute
cette histoire me lève le cœur! Un gars qui baise sa truie dans la cour… Un
gars qui travaille à l’abattoir de cochons pis qui couche avec un moteur
d’avion dans son lit… C’est trop fucké! Ce lieu fout la poisse… Brrr!!!
Nous avons contemplé le petit ruisseau pendant quelques
instants. Un mince rayon de soleil filtrait entre les arbres. Des champignons se montraient la tête entre les feuilles mortes. Rien de bucolique néanmoins. Il était impossible de s'ôter de la tête ce qui s'était passé en ce lieu.
Moi et mon ami avons tout de même convenu d'explorer les alentours après que le
conseiller nous ait quitté. L'ami tenait à partager un joint qu'il avait préalablement roulé avant cette visite inusitée.
Nous avons sauté par-dessus le ruisseau pour ne pas nous mouiller les pieds. Comme il faisait à peine trois pieds de largeur ce n’était
pas si difficile. Par contre, j’ai perdu conscience du fait d’être mal atterri
sur mon pied. Un courant électrique me traversa le corps du pied à la tête puis
je me suis effondré.
-Qu’est-ce que t’as? m’a demandé mon ami après m’avoir
aspergé le visage avec l’eau malpropre et malodorante du ruisseau.
-J’sais pas… J’ai perdu conscience…
Nous avons mis fin à notre exploration des lieux. J'ai même abandonné l'idée de fumer un joint.
Qu'est-ce qui s'était passé? Encore aujourd'hui, j'avoue que je n'en sais rien.
Pas besoin de vous dire que nous n’avons jamais remis les
pieds là où il y eut un type qui faisait de vilaines choses avec sa truie dans la cour.
Pas besoin d'ajouter que lorsque je vois un terrain ou une maison mobile à vendre pour trois fois rien, il m'est impossible de m'enlever ces événements de la tête.
mercredi 19 octobre 2016
Parabole de la fatuité
"Le mal se connaissant était moins affreux et plus près de la guérison que le mal s'ignorant."
Baudelaire, Oeuvres posthumes
***
Le petit matin est le moment que moi et ma blonde privilégions pour examiner le monde et ceux qui le décomposent. Nous discutons de nos travers comme de ceux de nos congénères sans aucune autre prétention que celle de comprendre où nous en sommes.
Hier, nous parlions de problèmes amoureux rencontrés par les uns et les autres.
Aujourd'hui, notre discussion portait sur la fatuité.
Toute bonne action s'annule du fait qu'on se l'attribue comme un trophée.
Si l'on donne un dollar à un mendiant et qu'on le raconte à tout le monde, ce dollar ne signifie rien d'autre que l'on s'achète une réputation. Le mendiant n'est qu'accessoire. Il traînait sur notre chemin et, après l'avoir écarté comme une mouche avec un misérable dollar, on a trouvé le moyen de transformer en grandeur d'âme ce geste bien plus sanitaire que salutaire.
Du point de vue du mendiant c'est probablement différent. Il voulait ce dollar et c'est tant mieux s'il l'a obtenu. Mais là n'est pas le noeud du problème.
Prenons pour exemple X, une personne qui ne manque pas une occasion de se présenter comme une preuve vivante de jactance.
Elle se vante de toutes ses bonnes actions.
Elle raconte avec délectation ses récompenses, les bons mots qu'on a eus pour elle et bien plus encore. À l'entendre tout le monde tend des rameaux sous ses pieds pour l'accueillir comme si le Messie lui-même se frayait un passage parmi les loques humaines.
Sa personnalité est empreinte d'une fatuité incommensurable où l'humilité trouve difficilement son chemin.
-La madame est tellement contente que ce soit moi qui ait réglé son affaire! Mes patrons m'ont félicité! Je ne suis que rigueur et excellence! En plus, j'ai donné un dollar à un pauvre quêteux crotté qui en a eu les larmes aux yeux et qui m'a dit que j'étais une personne noble et bonne... Et ce n'est rien: j'ai remporté le premier prix de ... Puis je vais recevoir une médaille de... Je fais tellement preuve de compétence que c'est difficile de travailler avec moi qui leur montre leurs travers, leurs erreurs et la voie vers le dépassement... Ah! Moi! Moi! MOÂ!
Les personnes de ce genre-là finissent par me taper sur le système. Pour me prémunir de leur bêtise j'emploie parfois une tactique éprouvée: la parabole.
Lorsque je suis en présence de ladite personne infatuée, je lui raconte tout le mépris et l'indignation que je ressens face à l'infatuation en lui parlant d'une autre personne qui lui ressemble.
-Cette personne-là est exécrable! Elle passe son temps à se vanter! Moi je suis la meilleure personne! Moi je donne aux pauvres! Moi tout le monde me félicite! Que penses-tu, toi, d'une personne qui fait preuve d'autant de sottise? N'as-tu pas l'envie de lui foutre un coup de pied au cul?
-Heu... Ahem... me répond la cible de ma parabole en clignant des yeux.
J'obtiens généralement une modification ou bien un camouflage accentué de son comportement lorsque l'outrecuidant se trouve ensuite en ma présence. Il sait que je déteste les fats et pour se mériter mon approbation et un autocollant dans les marges de son cahier, ce sot se mettra à simuler l'humilité. Cette simulation me convient dans la mesure où cela me permet de souffler un peu.
***
Il va sans dire que je ne suis pas parfait. Je ne dirais même pas que je suis humble. Je suis tout bonnement réaliste. J'ai suffisamment de travers pour ne pas avoir l'envie de me vanter de quoi que ce soit. Et, par ailleurs, je vois tellement de travers chez autrui qu'il m'est difficile de céder à l'admiration. C'est un sentiment plutôt rare qu'il m'arrive d'avoir pour deux ou trois humains par quinze ans.
J'étais probablement bouffi d'orgueil et de vantardise dans ma jeune puberté. Je souffrais du syndrome du jeune lion qui veut bouffer le vieux lion. Je tenais à une certaine position de mâle alpha pour que toutes les filles tombent dans mes bras.
Puis je suis devenu préposé aux bénéficiaires dans un hôpital. Ma fatuité a fondu comme peau de chagrin. Elle a fait place à de l'empathie et à une forme de candeur envers tous les maux de l'humanité. J'ai reconnu ma propre bêtise. Et je me la suis même pardonnée.
Je ne vaux pas mieux que quiconque.
J'ai des défauts, des inconséquences et même des mensonges qui traînent ça et là dans ma vie.
Il est même possible que je fasse encore preuve de fatuité de temps à autre.
Par contre, si je me fie à Baudelaire, je suis plus près de la guérison en connaissant mon mal qu'en l'ignorant.
Cela me permet cette vanité de jouer au moraliste...
mardi 18 octobre 2016
L'amour se passe d'explications
J'ai cru remarquer que tous ceux qui se hasardaient à expliquer l'amour selon des critères rationnels n'étaient généralement pas amoureux.
Si je l'ai remarqué, c'est sans doute que je fus un jour du nombre de ceux-là.
Rien ne nous rend plus cynique envers l'amour que la solitude.
Cette solitude nous attendra tous et toutes dans le détour, un jour ou l'autre, puisque rien n'est éternel, même pas le soleil.
J'ai été cynique face à l'amour, comme la plupart des gens de ma génération au Québec.
J'ai été jusqu'à douter de l'amour manifesté par mes parents. Je me disais qu'ils faisaient semblant puisque tous les couples que je connaissais finissaient par se séparer. C'était absurde de les voir se promener main dans la main après vingt-cinq ans de vie commune! Ils ne pouvaient que se mentir de se donner des baisers devant nous comme s'ils venaient de se fiancer...
J'ai donc perçu l'amour comme un réflexe biologique, un besoin de faire son changement d'huile pour parler crûment.
Puis, un jour, sans crier gare, je suis tombé amoureux...
Ce fut d'abord une tragédie. J'étais incapable de marchander avec mes émotions. Je m'étais constitué une forteresse d'explications toutes faites qui contrevenaient à cet insolite dérèglement de mes sens. J'avais tellement raillé l'amour que je ne fus rien de moins que démoli la première fois que j'ai eu à y faire face.
Cela me fit revenir à contrecoeur vers mon cynisme primal. Pourtant, j'avais touché à ce sentiment jusqu'alors inconnu. Je savais en mon for intérieur que je me mentais avec mes explications et ma rationalité.
D'un passion amoureuse à l'autre, j'ai cheminé vers plus de beauté et moins de compromis avec elle.
Je n'ai pas laissé s'éteindre la flamme.
Puis, un jour, je l'ai rencontrée. Rencontrée qui? Celle avec qui je suis encore et toujours en amour...
Je me sens privilégié de vivre ce grand amour.
Je comprends qu'il n'est pas vécu par tout le monde.
Je sais que la solitude est le lot de la majeure partie de l'humanité.
Je finis par me dire pourquoi moi?
Pourquoi me suis-je mérité tant d'amour? Pourquoi l'ai-je rencontrée, elle, alors que tant de gens cherchent encore l'amour?
Je ne trouve pas de réponses à ces questions.
Chaque jour et chaque nuit qui passent sont vécues auprès d'elle.
C'est mon amour, mon amie, ma camarade...
Et ça ne s'explique pas.
C'est pourtant clair comme de l'eau de roche.
C'est limpide.
C'est beau.
Nous en serons bientôt à seize ans de vie commune.
Rien ne s'est éteint depuis notre premier baiser. La flamme est toujours aussi vive. Les raisons me semblent toujours aussi vaines. Et je méprise souverainement les explications sur cet amour inconditionnel.
Dostoïevski a écrit que la beauté sauvera le monde.
Il aurait pu écrire qu'elle me sauvera, moi.
Mais il ne me connaissait pas.
Enfin, pas comme ma blonde me connaît...
lundi 17 octobre 2016
Les intellectuels face au mensonge
Je suis probablement un intellectuel. Je lis des tas de gros livres et suis constamment en train de faire référence à des auteurs morts depuis des lustres. J'explique un tant soit peu le monde avec les arts et les lettres. Je confonds souvent les livres d'histoire avec l'histoire réelle. J'adhère inconsciemment à des théories qui témoignent de mes courtes vues de rat de bibliothèque.
Je me méfie pourtant des intellectuels. Je connais tout le mal qu'ils peuvent porter en eux-mêmes. Je ne les trouve ni meilleurs ni plus fiables que le commun des mortels. Bref, je ne les mets pas sur un piédestal. Ils ne figurent pas au panthéon des gens que j'admire.
J'admire d'abord et avant tout la bonté et la grandeur d'âme. Je la trouve trop souvent chez des gens qui n'ont pas ce que l'on appelle une tête bien faite. Qu'ils ne sachent rien sur Gilgamesh ou Montaigne ne m'irritent pas du tout. J'aime les gens qui ont le coeur tendre et le regard doux. J'évite la compagnie des personnes trop rationnelles. Je dirais même qu'elles m'effraient.
Derrière la Shoah il y a des comptables, des statisticiens, des fonctionnaires et des amateurs de culture classique.
Derrière les vingt millions de morts de Staline il y a aussi les grands ballets russes.
Tous les crimes politiques ont toujours trouvé leur justification pour une frange importante de l'intelligentsia. Pour un artiste authentique qui s'indigne de la barbarie de ses contemporains, on en trouve mille qui répètent que tout s'explique par A plus B.
Bien que je sois un intellectuel, je ne fréquente pas ces milieux où ils évoluent. Je me mêle à ce monde que l'on dit petit pour se conférer une illusoire grandeur. Je parle avec des gens fripés, sinon avec des fripouilles. Je ne me sens bien qu'avec ceux et celles qui ne comprennent rien à tout ce cirque. Je suis comme eux cela dit, malgré tous ces livres que j'ai lus. Je prends parti pour le publicain contre le pharisien des Évangiles.
Rien ne m'est plus étranger que de faire face à quelqu'un qui brandit un livre comme la solution à tout ce qu'il voit et peut ressentir.
Je ne méprise ni les livres ni l'écriture. J'écris et lis si souvent que cela témoigne plutôt de mon attrait pour cette forme de divertissement.
Par contre, je cherche la vérité ailleurs.
Ou plutôt: je la cherche partout.
Jusqu'à maintenant, j'aurai surtout trouvé du mensonge.
Mes propres mensonges, d'abord et avant tout.
Et puis tous ceux que l'on nous sert jour après jour pour justifier l'injustifiable.
Je me tiens donc loin de tous ces bréviaires qui encensent la souffrance commise envers nos semblables au nom d'idéaux mesquins où les moyens s'écartent de la fin.
***
Lu sur Facebook une citation qui provient peut-être de Bill Murray. Avec Facebook, on ne sait jamais si c'est vrai... Par contre, le propos est sensé, que ce soit Bill Murray ou Fanfan Dédé qui l'ait prononcé.
Quand on ment au gouvernement, on dit que c'est un crime.
Quand le gouvernement nous ment, on dit que c'est de la politique.
Cela me semble sensé.
D'autant plus sensé qu'on trouvera des masses d'intellectuels pour justifier la politique et, par conséquent, le mensonge.
dimanche 16 octobre 2016
Méditation du dimanche
La religion m'est toujours apparue comme un frein à la quête spirituelle. En fait, les institutions représentent mal le mandat qui leur est confié. Le savoir ne se trouve pas qu'à l'école. La justice sociale n'est pas défendue que par les corporations syndicales. La santé n'est pas qu'à l'hôpital. La culture n'est pas qu'au Conseil des arts. Je pourrais rallonger cette liste par souci didactique que vous m'en voudriez de vous prendre pour des imbéciles. Vous avez compris autant que moi que les institutions sont imparfaites et parfois même nuisibles pour ce qu'elles prétendent défendre.
Par exemple, j'aime bien le bouddhisme. Le dépassement du soi me semble une voie royale menant à la sagesse et à la sérénité. Par contre, je suis insensible aux chiffres de cette doctrine: l'octuple sentier de la sagesse c'est trop mathématique. Déjà, on y sent l'institution. Et c'est là que je décroche.
La solitude m'a appris ce que je devais désapprendre pour libérer mon esprit des scories de mon éducation.
Je n'ai pas trouvé de réponses toutes faites. Il n'y a pas de quantités dans ce que j'ai trouvé. Il n'y a que des impressions, des émotions, des états de grâce.
Il aurait sans doute été plus facile d'interrompre mes questions pour habiter dans un beau jardin de réponses toutes faites. Le hic, c'est que j'ai toujours préféré la forêt aux beaux jardins. J'ai toujours ressenti plus d'émotion devant la nature sauvage que devant des constructions humaines dans lesquelles je perçois les traces de notre conditionnement.
Encore une fois, je laisse à d'autres la possibilité de penser autrement. Je ne suis nullement un guide spirituel et encore moins un chef de la meute. J'essaie, tout bonnement, de ne pas mentir avec ma conscience. Ce qui représente un défi de tous les instants. Ce qui me rend suspect d'hérésie aux yeux de tous ceux et celles qui profitent de cet ordre bien peu naturel des choses.
En lisant Agaguk de Yves Thériault j'ai appris que l'on devenait chamane seulement après avoir failli mourir. La proximité avec la mort délivrerait l'esprit des contingences matérielles de ce monde.
Je m'en voudrais de prétendre tenir le rôle d'un magicien ou d'un chamane.
Mais je ne suis pas insensible à cette allégorie.
J'ai failli mourir au moins trois fois dans ma vie. J'en suis ressorti à chaque fois avec un sentiment d'impermanence qui me fit ensuite tenir pour rien des aspects de la vie qui auraient dû me troubler. Comme si je n'aurais pas dû revenir ici-bas. Comme si la vie ne pouvait plus se résumer à des détails administratifs.
Je vous embête sûrement avec cette méditation.
Elle ne vous révélera rien de particulier, sinon que je refuse les réponses toutes faites et les faits sans questionnements.
Je me devais de l'écrire puisque nous sommes dimanche.
Et le dimanche, on est sensé de prier.
Voilà.
Par exemple, j'aime bien le bouddhisme. Le dépassement du soi me semble une voie royale menant à la sagesse et à la sérénité. Par contre, je suis insensible aux chiffres de cette doctrine: l'octuple sentier de la sagesse c'est trop mathématique. Déjà, on y sent l'institution. Et c'est là que je décroche.
La solitude m'a appris ce que je devais désapprendre pour libérer mon esprit des scories de mon éducation.
Je n'ai pas trouvé de réponses toutes faites. Il n'y a pas de quantités dans ce que j'ai trouvé. Il n'y a que des impressions, des émotions, des états de grâce.
Il aurait sans doute été plus facile d'interrompre mes questions pour habiter dans un beau jardin de réponses toutes faites. Le hic, c'est que j'ai toujours préféré la forêt aux beaux jardins. J'ai toujours ressenti plus d'émotion devant la nature sauvage que devant des constructions humaines dans lesquelles je perçois les traces de notre conditionnement.
Encore une fois, je laisse à d'autres la possibilité de penser autrement. Je ne suis nullement un guide spirituel et encore moins un chef de la meute. J'essaie, tout bonnement, de ne pas mentir avec ma conscience. Ce qui représente un défi de tous les instants. Ce qui me rend suspect d'hérésie aux yeux de tous ceux et celles qui profitent de cet ordre bien peu naturel des choses.
En lisant Agaguk de Yves Thériault j'ai appris que l'on devenait chamane seulement après avoir failli mourir. La proximité avec la mort délivrerait l'esprit des contingences matérielles de ce monde.
Je m'en voudrais de prétendre tenir le rôle d'un magicien ou d'un chamane.
Mais je ne suis pas insensible à cette allégorie.
J'ai failli mourir au moins trois fois dans ma vie. J'en suis ressorti à chaque fois avec un sentiment d'impermanence qui me fit ensuite tenir pour rien des aspects de la vie qui auraient dû me troubler. Comme si je n'aurais pas dû revenir ici-bas. Comme si la vie ne pouvait plus se résumer à des détails administratifs.
Je vous embête sûrement avec cette méditation.
Elle ne vous révélera rien de particulier, sinon que je refuse les réponses toutes faites et les faits sans questionnements.
Je me devais de l'écrire puisque nous sommes dimanche.
Et le dimanche, on est sensé de prier.
Voilà.
samedi 15 octobre 2016
La fois où je n'aurai pas raconté l'histoire vraie d'un oignon
Je soumets toujours mon esprit à un maelström d'impressions disparates avant que de rédiger un billet sur mon blogue.
Je me soumets donc aux résultats de cette tempête avec plus ou moins de bonheur.
Il n'y a pratiquement rien de calculé dans ce que j'écris. Rien de stratégique. Rien pour prouver quoi que ce soit.
Cela ne signifie pas que j'aie raison. L'essentiel c'est de ne pas avoir tort quant à ce que je ressens.
Évidemment, je ne vous raconte pas tout. Mon jardin secret est encore plus imposant que ce jardin public où je vous convie à partager le fruit de mes réflexions plus ou moins déjantées.
Je ne savais pas quoi vous écrire aujourd'hui. C'est d'autant plus évident que mes dernières lignes témoignent de ce désarroi.
Ce n'est pas que je n'aie rien à vous raconter. Vous savez bien que je suis un taré intarissable...
J'avais en tête de vous raconter l'histoire vraie d'un oignon. Pourquoi d'un oignon? Je n'en sais rien. Je me suis dit que jamais personne n'a raconté l'histoire vraie d'un oignon. Puis je n'ai rien trouvé à dire sur cet oignon...
Ensuite, je me suis mis en tête que je pourrais me concentrer sur mes guitares, vous raconter leur histoire, comment j'en suis venu à en jouer, pourquoi je me sens bénit des dieux d'avoir réussi à y gratter quelques notes acceptables en m'accompagnant à l'harmonica. J'ai remis ce projet d'écriture à plus tard. Parce que le moi finit par être haïssable, comme l'aurait dit Pascal ou Pierre-Jean-Jacques.
Pourtant, je reviens vers moi. Vers les rêves que j'ai faits cette nuit...
J'ai d'abord rêvé que je défrisais des spaghettis cuits avec un fer à repasser afin de les sécher et de les remettre dans leur boîte de carton...
Puis j'ai rêvé que j'étais sur un bateau pirate, au XVIIIe siècle, et que ce bateau prenait l'eau. Ce qui nous obligea à accoster sur une île où il y avait un magasin Rossy qui vendait des écrans plats et des ordinateurs... Dans ce rêve insolite, je demandais aux commis quelle année nous étions.
-Nous sommes en 2016 m'sieur... me répondaient-ils.
-Ah bon, répliqué-je.
Je me demandais comment expliquer à notre capitaine que nous avions abordé une autre époque.
À force de rêver à de telles conneries, j'ai fini par me réveiller.
Il était cinq heures du matin.
J'ai moulu des grains de café bien torréfié.
J'ai versé huit tasses d'eau dans la cafetière.
J'ai pris mes médicaments, rien qui n'ait trait à ma santé mentale, je vous rassure tout de suite.
Puis j'ai casté des vidéos de musique zen pour me reposer l'esprit.
C'est là que l'histoire vraie d'un oignon m'est venue en tête.
Et, franchement, con comme je le suis, je vais sûrement vous la raconter un jour...
Je me soumets donc aux résultats de cette tempête avec plus ou moins de bonheur.
Il n'y a pratiquement rien de calculé dans ce que j'écris. Rien de stratégique. Rien pour prouver quoi que ce soit.
Cela ne signifie pas que j'aie raison. L'essentiel c'est de ne pas avoir tort quant à ce que je ressens.
Évidemment, je ne vous raconte pas tout. Mon jardin secret est encore plus imposant que ce jardin public où je vous convie à partager le fruit de mes réflexions plus ou moins déjantées.
Je ne savais pas quoi vous écrire aujourd'hui. C'est d'autant plus évident que mes dernières lignes témoignent de ce désarroi.
Ce n'est pas que je n'aie rien à vous raconter. Vous savez bien que je suis un taré intarissable...
J'avais en tête de vous raconter l'histoire vraie d'un oignon. Pourquoi d'un oignon? Je n'en sais rien. Je me suis dit que jamais personne n'a raconté l'histoire vraie d'un oignon. Puis je n'ai rien trouvé à dire sur cet oignon...
Ensuite, je me suis mis en tête que je pourrais me concentrer sur mes guitares, vous raconter leur histoire, comment j'en suis venu à en jouer, pourquoi je me sens bénit des dieux d'avoir réussi à y gratter quelques notes acceptables en m'accompagnant à l'harmonica. J'ai remis ce projet d'écriture à plus tard. Parce que le moi finit par être haïssable, comme l'aurait dit Pascal ou Pierre-Jean-Jacques.
Pourtant, je reviens vers moi. Vers les rêves que j'ai faits cette nuit...
J'ai d'abord rêvé que je défrisais des spaghettis cuits avec un fer à repasser afin de les sécher et de les remettre dans leur boîte de carton...
Puis j'ai rêvé que j'étais sur un bateau pirate, au XVIIIe siècle, et que ce bateau prenait l'eau. Ce qui nous obligea à accoster sur une île où il y avait un magasin Rossy qui vendait des écrans plats et des ordinateurs... Dans ce rêve insolite, je demandais aux commis quelle année nous étions.
-Nous sommes en 2016 m'sieur... me répondaient-ils.
-Ah bon, répliqué-je.
Je me demandais comment expliquer à notre capitaine que nous avions abordé une autre époque.
À force de rêver à de telles conneries, j'ai fini par me réveiller.
Il était cinq heures du matin.
J'ai moulu des grains de café bien torréfié.
J'ai versé huit tasses d'eau dans la cafetière.
J'ai pris mes médicaments, rien qui n'ait trait à ma santé mentale, je vous rassure tout de suite.
Puis j'ai casté des vidéos de musique zen pour me reposer l'esprit.
C'est là que l'histoire vraie d'un oignon m'est venue en tête.
Et, franchement, con comme je le suis, je vais sûrement vous la raconter un jour...
vendredi 14 octobre 2016
2153 bombes nucléaires ont explosé depuis 1945...
Un minimum de 2153 bombes nucléaires ont explosé depuis 1945. Il y en eut tant qu'on ne peut douter que cela puisse avoir eu un impact significatif sur la vie terrestre.
Face à une telle puissance destructrice, tous les autres débats semblent vains et stériles.
Nous vivons déjà en pleine catastrophe nucléaire. Il se suffit de peu pour que la Troisième guerre mondiale ne survienne. L'OTAN se permet de pousser ses pions dans la sphère d'influence russe. Les États-Unis ne supportaient pas que des missiles soient pointés vers son territoire depuis Cuba. Et voilà qu'on laisse entendre qu'il serait justifié d'installer des missiles en Ukraine, dans l'arrière-cour de la Russie. Cela ne se fera pas sans menacer la paix mondiale. Un jour les Russes frapperont les premiers...
On poursuit la guerre contre les méchants communistes sous d'autres formes. Nos maîtres et saigneurs tolèrent facilement les dictatures quand elles ne freinent pas la libre circulation de l'argent. Quand un État veut jouer sa partie tout seul, contrôlé ses ressources naturelles et investir dans les soins de santé et l'éducation, les voyous qui sont nos maîtres feraient n'importe quoi pour les faire plier. Ils joueront le jeu de la démocratie, de la liberté d'expression menacée et tout le tralala dont ils se foutent éperdument quand il s'agit d'autres dictatures qui leur permettent de faire de bonnes affaires. Comme les mafieux, ils offrent leur protection en retour d'une contribution, d'un tribut, d'une cote sur tout ce qui se vend.
On ne voulait pas de Cuba, du Vietnam ou de l'Afghanistan communistes. On s'est retenu pour Cuba parce que ce cancer était trop près des côtes américaines. Cela risquait de provoquer la colère de ces Sud-Américains au comportement sanguin... Pour les autres, on a pactisé avec tous les diables, tous les salauds et tous les bourreaux pour ouvrir les marchés.
L'Afghanistan communiste aurait permis aux femmes d'aller à l'école et de travailler. On ne voulait pas de ça. Alors on a fait alliance avec les islamistes. Avec ces mêmes islamistes que l'on accusa quelques années plus tard pour faire changement. Avec ces mêmes islamistes que l'on finança à nouveau subrepticement afin de poursuivre cette stratégie du chaos qui a toujours si bien réussie aux requins de la finance.
Des hommes et des femmes de paix se sont levés ici et là. On les a assassinés. On ne voulait pas que cela donne des idées positives aux gens. On ne voulait surtout pas changer cette vieille recette qui réussit toujours et encore aux salauds.
Quiconque prêchera le dialogue plutôt que la division passera nécessairement pour un fou.
On l'accusera d'intelligence avec l'ennemi. On dira que l'ennemi dit de lui qu'il est un idiot utile.
Puis on fera encore plus de bombes, plus d'armes meurtrières, plus de raisons de les utiliser pour faire tourner la roue de l'économie et satisfaire l'avidité des actionnaires.
Honnêtement, je ne vois pas comment nous allons nous tirer de cette spirale de violence.
Certainement pas en l'entretenant.
Les gens de paix auront bien sûr mauvaise presse.
Il ne saurait en être autrement.
Pourtant, ils représentent l'unique et ultime espoir de l'humanité.
jeudi 13 octobre 2016
Bob Dylan, Prix Nobel de littérature 2016
Quand Bob gagne le prix Nobel de littérature 2016, c'est comme si tout le monde le gagnait avec lui.
La chanson n'est pas un genre littéraire mineur.
C'est le plus grand troubadour de notre temps.
C'est notre Bob bien à nous.
Le Bob de tous les freaks.
Le Bob dans la gauche lignée de Woody Guthrie.
La méthode d'enseignement d'Alexis Klimov
Régent Ladouceur, portrait d'Alexis Klimov Sans la permission de Régent qui ne devrait pas trop m'en vouloir... |
Alexis Klimov, Terrorisme et beauté
***
La critique des institutions, quelles qu'elles soient, est l'un de mes thèmes récurrents. Au lieu de dire que j'ai mes raisons, je préfère mettre à l'avant-scène mes intuitions. Ce sont elles qui m'ont appris à me dissocier des institutions religieuses, politiques et même sociales.
Je ne vaux pas mieux qu'un autre. Je ne me crois pas le meilleur. Je n'incite personne à penser comme moi et à suivre mon chemin. Je me permets tout bonnement de commenter ce que mon instinct me dicte.
J'ai toujours été marginal. Je ne sais pas si je dois en tirer une quelconque fierté et ne souhaite à personne de devenir comme moi. Par contre, cette marginalité explique sans doute mon mépris des institutions, du conditionnement et du formatage intellectuel.
J'ai suivi les chemins les moins fréquentés par pure curiosité. Je suis même allé voir de l'autre côté du miroir pour contempler autre chose que mon propre reflet.
Dès l'école primaire, j'ai ressenti que l'école n'allait pas assez vite pour moi. C'était la plupart du temps soporifique.
Je m'emmerdais en classe. Je passais mon temps à dessiner et à lire toutes sortes de trucs pendant que mes professeurs déblatéraient. J'avais cette faculté bien précieuse de capter ce qui se disait en classe tout en concentrant mon attention ailleurs. Je ne me sentais bien qu'à la bibliothèque, seul devant des tas de livres.
Cela ne s'est pas amélioré en vieillissant. J'ai fréquenté encore plus de bibliothèques et encore plus de livres conséquemment. Je suis devenu une sorte d'exilé de l'intérieur, un décrocheur scolaire qui faisait semblant de s'accrocher et de décrocher ses diplômes.
Les cours magistraux m'ennuyaient profondément. J'allais à la bibliothèque emprunter les manuels des professeurs pour prendre de l'avance et me conférer le droit de dessiner des gros nez en classe. J'obtenais de bonnes notes et étudiais peu. Je lisais ce qui devait être lu et surtout ce qui ne devait pas l'être pour devenir une copie conforme institutionnalisée.
Cela m'a causé quelques ennuis, bien entendu. J'ai ressenti dans ma chair et mon âme la profonde ignorance de plusieurs de mes instituteurs ou, si vous préférez, l'incurie de nos institutions d'enseignement.
Je me suis rebellé contre l'école, contre l'église, contre les partis politiques, contre les traditions jamais remises en question. Je n'allais pas succomber à la frime. Je n'allais pas devenir ce que je détestais.
Puis j'ai rencontré un professeur de philosophie rebelle à souhait, un certain Alexis Klimov qui s'intéressait bien plus à promouvoir l'amour du savoir qu'à se conformer au cadre institutionnel de l'enseignement universitaire.
Alexis Klimov n'était pas du genre à produire facilement un syllabus pour ses cours. Il le faisait par souci d'encaisser son salaire, sans plus. Ce qui le passionnait par-dessus tout, c'était de créer un climat propice à partager sa passion pour la connaissance. Un climat qu'il créait en emportant sous son bras une pile de livres dignes de ce nom: des romans, des poèmes, tout sauf des traités de philosophie râpeuse.
Il nous lisait ces livres avec émotion, comme si cela comptait plus que tout.
J'avais enfin trouvé quelque chose comme un maître.
Je me souviens d'un examen oral qu'il fit passer à tous ses étudiants. Nous étions plusieurs à attendre devant son bureau débordant de livres et d'objets insolites. Certains étudiants tremblaient comme s'ils craignaient d'être démasqués par cet érudit.
Ils avaient raison de le craindre. Alexis Klimov était implacable avec les étudiants les plus tatillons, envers ceux qui tenaient leurs études pour la récitation du petit catéchisme. Il leur faisait donc passer un examen à la hauteur de leur cuistrerie.
-À quelle époque situez-vous l'origine du mouvement surréaliste? leur demandait-il d'un air que j'imagine hautain.
-Heu... après la guerre...
-Laquelle?
-Bien... heu...
-Et l'année? Vous pouvez me dire l'année? Le mois? La date? L'heure exacte?
-Hum... heu...
Puis l'étudiant sortait du bureau de son bourreau totalement vexé, terrifié, pour ne pas dire détruit.
Quand vint mon tour, je m'attendais au pire et, de toute manière, je m'en foutais un peu. J'étais arrogant et fendant de nature.
-Bonjour monsieur Bouchard... Alors, quelles sont vos lectures en ce moment?
-Eh bien... Je lis Stanislaw Ignacy Witkiewicz... Je suis aussi en train de plonger dans William Blake... Et puis je déteste lire Sartre, Hegel et Heidegger: c'est nul à chier!
Nous avons parlé de littérature pendant une bonne demie heure. Aucune question sur les matières qui faisaient partie du syllabus de son cours.
-Monsieur Klimov... Ça fait une demie heure que l'on discute et vous ne m'avez pas encore posé une seule question en lien avec le cours... Ça ne me dérange pas mais je me demande si ce n'est pas moi qui vous étourdis avec mes lectures... Et heu...
-Mon cher monsieur Bouchard! Les questions sont pour les larves! Pour les autres, ceux qui font l'effort de lire et d'en savoir plus sur les fondements de nos existences, eh bien je ne me soucie pas de ces affreuses procédures... Vous lisez beaucoup plus que ce que l'on vous demande... Donc, vous vous méritez évidemment un A, me dit-il sur un ton moqueur.
Je suis sorti de son bureau en souriant. Mes amis, qui étaient aussi de solides lecteurs qui ont mal fini, obtinrent eux aussi un A pour les mêmes raisons. Toutes les mauvaises notes avaient été octroyées aux larbins.
Aujourd'hui encore, j'en ris. Quel professeur c'était! Quelle chance ce fut que de l'avoir connu.
J'imagine à peine comment je serais encore plus déprimé d'être étudiant de nos jours.
J'aurais probablement un téléphone intelligent en main et passerais mon temps à googler tandis que le professeur tenterait de répéter son laïus insignifiant. Avant qu'il ait terminé sa phrase j'en saurais plus long que lui sur la matière qu'il enseigne... Je finirais par boire et consommer de la drogue pour survivre à cela.
Peut-être qu'il y a lieu de revoir les méthodes d'enseignement. Pas nécessairement pour tout le monde... Il faut bien que nos institutions fassent de nouvelles victimes.
Dans un monde idéal, on laisserait pousser les fleurs au lieu de tirer dessus ou bien d'en acheter en plastique pour nous dispenser du soin de les abreuver.
Je ne doute pas qu'Alexis Klimov, feu mon maître de philosophie, serait d'accord avec ça.
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