Le gros Jeff était un anticlérical notoire à une époque où plus personne ne se sentait vraiment l'esclave d'une religion tombée en décrépitude. Il y avait bien trois ou quatre vieux pour trembler des mains en égrenant des chapelets qu'ils accompagnaient de litanies chevrotantes et risibles. Dans les faits, toutes les églises fermaient les unes après les autres. La majorité des compatriotes du gros Jeff considéraient même le clergé comme un repaire de pervers sexuels qui avaient les mains trop longues avec les enfants, se crossaient tout le temps et reniflaient des sous-vêtements masculins.
À cette époque, rien n'était plus pathétique que les cours de catéchèse. Le pauvre enseignant désigné pour enseigner le catholicisme se faisait traiter de tous les noms, arracher sa perruque et bombarder de papiers, crottes de nez et autres fluides corporels.
-À votre place! hurlait le catéchumène dépassé par les événements. À votre place et lisez les psaumes de David!!!
-On s'en crisse de ta Bible! criait Untel.
-Va chier Dieu! répliquait tel autre.
Bref, le prof de catéchèse perdait le contrôle de sa classe et était contraint de passer des films pour tuer ce temps beaucoup trop long pour sa capacité à tendre l'autre joue.
-Chers élèves! N'écoutez pas Led Zeppelin! Quand on joue le disque à l'envers, on entend Satan!
-Calvaire! lui répondait les plus délurés. T'as un hostie d'problème entre les deux oreilles christ de mongol! J'encule Dieu pis Satan! Mets-nous une toune de Led Zep ou on t'enlève ta perruque!
C'est dans ce contexte de retour en force du paganisme et de l'athéisme qu'évoluait le gros Jeff.
Au contraire de ses camarades de classe, le gros Jeff avait cependant été condamné à participer aux offices dominicaux qu'il exécrait de toute son âme. Ses parents, fervents catholiques, ne pouvaient pas s'imaginer qu'on puisse vivre comme un mécréant.
-Même les Témoins de Jéhovah croient en Dieu! jurait le père du gros Jeff chaque fois qu'il remettait en question l'existence du Père Noël.
-C'est pas mon problème s'ils sont niaiseux eux autres aussi... répliquait le gros Jeff en invitant Dieu à le désintégrer sur-le-champ pour prouver son existence.
Comme il était encore là après son blasphème, il pouvait se prévaloir de l'idée que Dieu était non seulement inexistant mais tout à fait impuissant.
-Dieu c'est pour les chieux pis les peureux... J'ai pas peur de mourir! M'en crisse des perroquets qui répètent cinquante fois leurs prières de licheux d'cul! Fuck! On est en 1984!!!
***
Voilà pour le climat de cette époque où le gros Jeff évoluait. Vous voyez le topo, hein?
Maintenant, arrivons-en à l'anecdote.
Cela se passait un vendredi saint, quelques années plus tard. Un vendredi supposé sans viande pour se conformer à une tradition éculée.
Il était trois heures de l'après-midi, l'heure où le Christ aurait rendu l'âme sur la croix à trente-trois ans... La trinité marche toujours par trois, tout le monde sait cela. C'est pour rappeler aux gens d'aujourd'hui que la religion n'est que de la stupide superstition. Comme les pattes de lapin porte-bonheur. Ou bien les fers à chevaux porte-chance. Voire les cartes de bingo.
Le gros Jeff se trouvait dans le bar avec son ami Bibeau.
-Hostie! Y'est trois heures! Le Christ est mort tabarnak! J'veux un Bibeau's Special! Barman! Un Bibeau's Special!
Le Bibeau's Special se caractérisait par un grand verre de 20 onces de bière en fût auquel on ajoutait un oeuf à la coque ainsi qu'une langue de porc marinée dans le vinaigre. La langue de porc était placée délicatement sur le rebord du verre, comme s'il s'agissait d'un quartier d'orange. Et, bien sûr, le barman ajoutait une fléchette de plastique et une cerise pour compléter sa présentation.
-Tournée spéciale de Bibeau's Special pour tout le monde ciboire! Le Christ est mort calvaire!
Deux heures plus tard, le gros Jeff, Bibeau et tous les autres étaient complètement saouls et semblaient tous descendre de croix, épuisés par l'alcool et les autres drogues.
Le gros Jeff et Bibeau avaient faim.
-Bibeau, ej' pense que j'va's aller chez Bistro Pizzéria pour m'claquer une poutine...
-Ej' te suis gros Jeff...
Les deux zigotos zigzaguèrent jusqu'au Bistro Pizzéria.
En chemin, ils tombèrent sur un curé qui avait été renversé par une automobile. Le chauffeur avait fait un délit de fuite et les orteils du sorcier étaient dirigés dans la mauvaise direction. Il ne disait pas un mot. Il avait perdu conscience.
-M'sieur! M'sieur! Cria le gros Jeff. Fuck! Faut appeler une ambulance Bibeau!
-Ok... J'appelle le 911...
L'ambulance arriva sur les lieux en moins de cinq minutes et emporta le porte-croix blessé à l'urgence.
-Calice, Bibeau, on a fait nos bons Samaritains... On vient d'sauver un curé... Laisse faire la poutine... Ej' r'tourne boire au bar... On s'en commandera une sur place... Ces émotions-là, ça donne soif...
-Ciboire oui... On est des vrais Jésus sacrament!
Bah , on peut laisser tomber ces criss de crétins , pardon , de chrétiens - Et vive l ' harmonica !
RépondreEffacermonde indien,
RépondreEffaceroui, surtout que le terme crétin origine de chrétien...
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