Zeus, Deus ou Dieu se déguise en vagabond malpropre pour voir comment les hommes se traitent entre eux.
Ulysse, de retour à Ithaque, arrive nu. sale et hirsute sur la plage et se fait passer pour un étranger dans son propre royaume.
Dans La légende de Julien l'hospitalier, de Gustave Flaubert, c'est Jésus qui se déguise en lépreux pour tester la charité de Julien.
Vous comprendrez que je me méfie toujours des mendiants et des vagabonds. Je ne sais jamais quelle déité se cache derrière ces personnages.
-Moé j'leu' donne rien! Qu'i' z'aillent travailler comme tout le monde! me disent les honnêtes gens sans savoir que ça en dit plus long sur eux-mêmes que sur ces pauvrichons qui tendent la main pour recevoir une obole.
Je ne devrais pas vous dire ça, parce que ça peut avoir pour effet d'amoindrir mon geste. Je donne aux mendiants, en effet. Je cours presque après eux pour leur remettre ma menue monnaie. Je le fais comme s'ils étaient sur ma route pour tester ma grandeur d'âme et mon détachement des considérations bassement matérielles.
Je n'ai pas toujours les moyens de ma charité, mais je ne me vois pas faire partie des honnêtes gens, si égoïstes, si rationnels et si froids envers leur prochain.
Étrangement, je me suis toujours bien senti parmi les éclopés, les malfrats, les borgnes et les vagabonds. Leurs défauts me semblent bénins lorsque je les compare à ceux des honnêtes gens qui dénoncent les voleurs de pommes et accusent les races de commettre toutes sortes d'infamies. Ce sont les mêmes que l'on voie ensuite à l'église ou bien au Parti libéral pour déclarer qu'ils sont si bons, si généreux, si nobles, si charitables... Tout ce qu'ils donnent n'est jamais donné de bon coeur. Ce sont des dons qui leur sont utiles. Des dons institutionnalisés. Des dons transformés en crédits d'impôt ou bien en visibilité sociale.
J'aime ceux qui n'ont que deux chemises sales et trouées qu'ils sont prêts à donner à celui qui n'en porte pas.
J'aime ceux qui n'ont presque rien dans le frigo et qui invitent tous les éclopés du quartier à partager un repas communautaire.
J'aime ceux que l'on appelle les trous du cul, qui sont souvent bien moins trous du cul que tous ces faux-culs qui sentent l'eau de Cologne pour mieux camoufler les odeurs d'excréments qui leur sortent du coeur.
Les médias préparent leur guignolée en ce moment. On va voir tout plein d'animateurs de radio, de bourgeois de la télé et de vicaires des journaux brandir leur petite boîte de tôle pour recueillir des dons pour les paniers de Noël. Les mendiants, ces jours-là, perdent d'énormes revenus. Les représentants des médias leur enlèvent leur obole sous le nez puisqu'ils partagent les mêmes espaces, la même rue, pour siphonner les gens.
Untel qui ne donnerait jamais un dollar à un vagabond en donnera cinq à Joséphine, la Miss Météo du Canal W.
-Au moins c'est organisé... On sait que l'argent qu'on donne ne s'en ira pas à la SAQ pour un maudit ivrogne!
Et moi, con comme je le suis, je préfère encore de loin donner à cet ivrogne... même si j'aurai aussi cette faiblesse de donner mon écu à Miss Météo pour sa foutue guignolée.
Les pauvres, comme disait mon mentor Michel Chartrand, ça ne mange pas qu'à Noël tabarnak! Ça mange à tous les jours, toute l'année.
Une fois par année, à Noël, on tient à nous rappeler qu'il était une fois un homme juste mort comme un larron cloué sur une croix parce qu'il renversait les tables des marchands du temple et fouettait les capitalistes.
Une fois par année, les honnêtes gens vont feindre la bonté et la charité.
Pourtant, si Dieu existe, il se déguise encore en mendiant, en cul-terreux ou bien en salopard pour voir comment son troupeau se comporte.
Pour voir si l'homme est encore un loup pour l'homme.