vendredi 20 novembre 2009

Face de rat


Georges Sanschagrin, conseiller municipal et préfet de discipline à ses heures, en avait gros à dire sur la responsabilisation des itinérants, vagabonds et autres va-nu-pieds qui pullulent dans les rues de nos villes.

Les traits de son visage s’ajançaient de manière à rappeler la figure du rat quand il parlait de discipline et de responsabilités, sinon de devoir. Il y avait en Sanschagrin un zeste de Savonarole, sinon d’inspecteur Javert, qui faisait de lui la personne la plus inapte à tenir les rênes du pouvoir. Pourtant, c’est à ce rat que l’autorité avait été confiée et les gus du patelin devaient tout de même faire affaire avec cet escogriffe quand il était temps de débloquer des budgets ou bien de bloquer des rues pour une quelconque activité caritative.

Ce matin-là, Damien Lafortune se tenait devant cette sale tronche de rat pour obtenir de la municipalité l’autorisation de bloquer une rue pendant une journée pour «la kermesse des paumés». C’était pour financer des projets de réinsertion sociale pour des gens tout croches qui mendient généralement sur les trottoirs.
Cheveux longs, l’air vaguement hippy, Damien était un grand gaillard bâti comme une armoire à glace qui chaussait des bottes d’armée et portait un tee-shirt avec un signe de Peace.
Quel supplice c’était que d’avoir à s’expliquer devant le Rat pour ce pauvre Damien, si révolté devant la bêtise et le manque de compassion des types comme Sanschagrin, alias le Rat.

Le Rat était particulièrement volubile ce matin-là, bien enfoncé dans son fauteuil, jouant du crayon comme s’il tenait une trique de SS.

-Vous savez Damien, disait-il sur un ton condescendant, vous savez que les personnes qui vivent dans la rue doivent absolument savoir qu’ils n’ont pas que des droits, mais qu’ils ont aussi des obligations envers la société, donc il faut leur enseigner la discipline et les écarter de la drogue et de l’alcool, les obliger à retourner à l’école ou bien à se trouver du travail au plus vite car… enfin… n’est-ce pas… évidemment... tout à fait... bien sûr... donc... car...

C’est là que Damien avait pété les plombs…

-M’sieur Sanschagrin, tout ce que j’ai à vous répondre c’est…ta-bar-nak! Comment voulez-vous enseigner la discipline à quelqu’un qui fouille dans les poubelles et est en révolte contre la terre entière parce qu’il s’est fait violer par son père, hein? Vous voulez lui enseigner quoi, lui donner quels ordres au juste? Comptez-vous chanceux qu’on soit là pour éteindre les feux, nous les travailleurs de rue et autres bébites sociales… Si nous n’étions pas là pour leur donner un début d’écoute et une poussière d’espoir, ben calice, ils lâcheraient peut-être les poubelles pour aller vous étrangler chez-vous, dans votre maison… Comptez-vous chanceux qu’on soit là, nous les pouilleux de travailleurs de rue qui n’ont pas envie de donner des ordres et d’enseigner la discipline à quelqu’un qui est à terre, au plancher, déconcrissé de la vie… À la guerre, hostie, on ne tire pas sur les ambulances! Ça fait que fermez-la, la calice de rue, pendant une journée pour qu’on s’fasse un peu de cash pour remettre su’ l’piton les trous d’cul que vous voulez pas voir traîner dans votre belle ville à marde!

Sur ces sages paroles, Damien s’était levé et avait crissé son camp.
Sanschagrin, dépité, avait tout de suite songé à un moyen pour que cet impudent perde son emploi. Cependant, avec tous ces gauchistes qui pullulaient dans le milieu communautaire, il s’était ravisé.

-Il faut savoir mener des guerres d’usure… Nous les aurons, ces crottés!

Il se versa un bon verre de gin puis il regarda fixement devant lui, avec ses yeux de rat, sa face de rat et ses cheveux ras.

1 commentaire:

  1. Excellent description mon cher. C'est du papier collé de situations que j'observe en me promenant comme musicien dans le réseau des centre pour déficients mentaux.

    Pi ça fait du bien de voir un travailleur de rue qui s'ouvre la gueule même si dans la vraie vie, la plupart se la farme pour pas pété les plombs.

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