mercredi 30 décembre 2020

De la béatitude de se retrouver seul au milieu de nulle part

L'air était pur et vivifiant. Un vaste lac reflétait le bleu du ciel ainsi que le blanc de l'énorme glacier qui créait peu à peu une vallée au milieu des montagnes. 

Il se trouvait là par hasard, au gré d'un périple qui ne s'explique même pas, ayant pour tout bagage un sac à dos, une tente, un canif et un sac de couchage. 

Il s'était fait un feu avec le bois mort trouvé ça et là sur la berge caillouteuse. Puis il avait fait bouillir une boîte de fèves au lard en conserve. Ce serait son repas pour ce soir, au pied du glacier de l'Ours, quelque part entre l'Alaska, la Colombie-Britannique et le Yukon.

Il y eut un jour plus long que partout ailleurs. Puis une courte nuit parsemée d'étoiles et d'aurores boréales, rideaux nimbés de couleurs psychédéliques. 

Les échos du vaste monde ne lui parvenaient que par le vent. Ça lui rappelait la vanité de tous ces humains qui combattent pour le triomphe de leur ego surdimensionné. Le glacier était là bien avant tous ces humains. Il y serait là encore longtemps si les humains n'étaient pas si stupides...

Le feu crépitait. Il y avait aussi des bruits qui ne lui étaient pas familiers. Des craquements dans le glacier. Un volatile inconnu. Un cougar. Un grizzli peut-être.

Il se rappela subitement qu'il n'était pas armé. Et surtout qu'il était seul à cinq kilomètres de la route qui mène à Stewart (C-B.) et Hyder (Alaska). Seul et sans véhicule. En auto-stop au milieu de nulle part. Avec 38 habitants par 1000 kilomètres carrés.

Pourquoi s'en faire? Il était encore plus difficile d'affronter les humains.

Le feu le protègerait. Y'a pas un ours qui affronterait un débile qui brandit un gourdin de feu comme un spectre.

Alors il fit un encore plus gros feu. Pour s'assurer de dormir en paix, seul face à cette titanesque coulée de glace, de ces longues colonnades cristallisées qui s'effondraient comme un rêve jamais énoncé.

Il n'avait plus rien.

Mais il avait le glacier.

Ce glacier que personne n'avait jamais vu.

Sinon les 38 autres personnes qui s'étaient échoué dans les environs.

Pourquoi? Il n'en savait rien.

Jamais il n'avait eu autant l'impression d'être nulle part.

Et jamais il ne s'était senti aussi bien.

Aussi en paix avec l'idée qu'un jour son histoire se terminerait.

Ce ne serait pas pour cette fois-ci.

Ni pour demain.

Il ne serait pas toujours aussi seul. Heureusement. Il allait connaître l'amour et l'amitié, la rigolade, l'entraide, la solidarité. Il allait se trouver une place intéressante dans la société, une voiture, une maison: alouette!

Mais chaque fois que le temps lui était trop lourd, seul, il revenait encore là en pensées, au pied du glacier, à contempler l'infini.



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