mardi 4 août 2020

La crotte de nez de l'artiste

Je me fais sans doute toutes sortes d'idées sur ce que doit être la vie d'artiste. D'autant plus que j'ai la prétention d'en être un. Prétention qui me vaut son lot d'inconfort. 

Il faut toujours prouver ce que l'on prétend. Saint-Paul avait raison d'écrire aux Corinthiens que la foi n'est rien sans les oeuvres. 

Aussi dois-je m'appliquer une fois de plus à vous pondre un texte alors que l'époque ne roule définitivement pas pour les artistes. Y'eût-il seulement une époque qui roulât pour eux? Je n'en sais rien et vous ne me ferez pas changer d'idée...

Pour ce qui est de mes prétentions littéraires, un art nettement mineur, je vais y aller de deux ou trois anecdotes jetées ici comme si j'allais recevoir le prix Nobel de l'insolite.

Il arrive toutes sortes de trucs bizarres aux artistes, mais c'est centuplé pour les écrivains parce qu'ils se servent de leur plume pour nous bourrer de bobards. On ne se fait pas autant avoir par un air de musique ou bien un coup de pinceau. L'écriture: quel mensonge!

Cela dit, je ferai tout pour ne pas succomber au mensonge. Le truc, c'est de briser autant d'inhibitions que possible, pour écrire comme si l'on en avait rien à foutre d'être lu, su, bu et durludidu.

Ensuite, ça sort tout seul et ça fait du bien. Une rinçure à vous en dégager les neurones pour autant d'heures qu'il le faut pour revenir à l'anormal.

***

Ce matin, vers sept heures trente, un type que j'ai connu dans une autre vie s'est pointé devant chez-moi. Ses cheveux étaient hirsutes et sa mine déconfite avec des traits sévères de trouble mental. C'était nul autre que Fardoche, un gars qui en a trop pris et qui était cool dans le temps. Fardoche traîne maintenant sa misère d'un lieu à l'autre en cognant chez-vous sans prévenir à tout moment de la journée. Dont à sept heures et demi du matin ce matin...

Il avait l'air saoul, Fardoche, mais je prétends qu'il ne l'était pas.

Il était confus. Peut-être sous l'effet des pilules. 

Nous parlions d'art, de littérature et de science autour d'une bière il y a trente ans.

Trente ans plus tard, Fardoche tient des propos incohérents après avoir sniffé des kilos de poudre et bu des tonneaux de bière. Petit, un peu bedonnant, il se tenait ce matin devant ma porte en brandissant un gobelet de café Tim Horton's dans une main et une cigarette Du Maurier dans l'autre.

Je me demandais évidemment qui pouvait bien se tenir à ma porte de si bonne heure alors que je m'étais couché à deux heures du matin.

-Salut l'Gros... T'as une crotte de nez su' l'bord du nez... I' t'manque une dent...

Fardoche m'a dit ça pour toute forme de bonjour ou de salutations...

Je me suis senti un peu amer.

J'ai d'abord enlevé la crotte de nez qui pendait vraiment à mon nez.

Puis je lui ai dit que je travaille de nuit et que j'allais me coucher.

Il a semblé vouloir me dire qu'il resterait là pour fumer sa cigarette.

Je lui ai fermé la porte au nez. 

-J'vais t'en faire toé! T'as une crotte de nez!!! I' t'manque une dent!!! Va don' chier!

Voilà.

Il est parti en titubant et s'est allumé une clope de l'autre côté de la rue, près de la Binerie Chik où il s'en allait déjeuner. 

-C'était qui? demanda ma blonde, un peu inquiète.

-Un gars qui a pété un câble... Dire que ce gars-là était un haut fonctionnaire avec le gros salaire pis toutte...

-J'veux pas r'voir ça icitte... Ça fait peur...

-Avec raison...

Ma porte est virtuellement ouverte à tous et toutes. C'est connu d'à peu près tout le monde.

Par contre, il est possible que ma porte se ferme devant vos yeux si vous m'abordez cavalièrement à propos de mes crottes de nez ou de tout autre particularité de mon enveloppe charnelle.

Je sais que je ne vous ai pas appris grand' chose en écrivant ainsi.

Néanmoins l'écrivain, tout comme l'artiste, se doivent de témoigner de ces événements trop souvent occultés par l'omniprésence de l'utilité.

Il n'y a rien d'utile ni de leçon morale à tirer de cette histoire.

C'est pour ça que je l'ai écrite, bien sûr.

Qu'est-ce que vous pensez? Je suis un artiste.


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