mardi 23 juin 2020

Enrico Labonté était vide en titi

Enrico Labonté regardait défiler les informations avec un mélange de lassitude et de monotonie macabres.

Tout lui semblait vide. En-dehors comme au-dedans de lui-même.

Pour combler ce vide, il avait tenté de suivre des cours de mambo.

Il s'était même inscrit à un site de rencontres en ligne. Son avatar s'appelait Grosses Gosses Qui Pendent. Il y avait une vraie photo de lui en train de boire un verre de lait. Derrière la photo on voyait un calendrier Famili-Prix. Et puis c'est tout.

Le mambo ne lui fut pas utile pour rencontrer une âme qui ne lui était pas du tout apparentée.

Et Grosses Gosses Qui Pendent n'eut aucun succès. Personne ne s'intéressait à lui. Et lui de même ne s'intéressait à personne.

Tant et si bien que Enrico Labonté vivait seul et ne s'en plaignait pas plus que de tout le reste.

Tout lui pesait, bien entendu. Si tout lui avait été léger on ne l'aurait pas reconnu, Enrico.

Et puis, bon, Enrico vivait plutôt une vie de merde et ses idées de merde étaient au diapason.

Ses non-idées devrait-on dire.

C'était clair comme la musique de Rush que Enrico ne pensait vraiment à rien, qu'il était encore plus vide que tout un troupeau de nihilistes russes du XIXe siècle.

Rien. Quand on dit rien, c'est rien.

Souvent l'on demandait à Enrico s'il pensait à ceci ou cela.

-Je pense à rien, répondait-il sans même une pointe de sarcasme.

-Mais c'est impossible de ne penser à rien! lui répliquait-on souvent.

-Pas pour moi, ajoutait-il tout de go.

De fait, saint-chrême, Enrico ne pensait vraiment à rien.

Et c'était un peu inconvenant pour tout un chacun de lui chercher des noises à lui reprocher des scies ou des sas ou des framboises.

Enrico était vide comme on dit vide et plus vide que ça encore.

Oh! Il n'était pas sans énergie mais il n'y avait plus de signal au poste.

Les informations, voyez-vous, il les voyait défiler comme si de rien n'était.

Le monde, pour Enrico, ressemblait à un poème de Claude Gauvreau. Une suite de borborygmes entrecoupés de quelques mots connus.

-Qwerty Trump aoschematagadou COVID-19 blamakatapouet manifestations flamand rose crevette langoustine tinasweptedidedlou...

Bref, il savait très bien qu'il n'y a rien d'intéressant dehors et s'il se repliait vers le dedans, c'est pour s'y nicher dans le rien le plus absolu qui soit.

Il n'était pas l'homme du ressentiment de Nietszsche.

Il n'était pas Nietzsche ni Symphorien ni Colette Jutras.

Il n'était presque pas.

Il était rien.

Et encore, rien c'est un mot trop long,

Pour ce qui est de l'apparence de Enrico Labonté, eh bien il ressemblait à Lucien de Samosate. Vous savez le rhéteur de la Rome antique... Sauf qu'il ne placotait pas trop Enrico. Et qu'on n'a pas vraiment de portrait de Lucien de Samosate. Vous dire qu'il ressemblait à quelqu'un dont on n'a pas la photo, c'est même un peu cave.

J'oubliais d'ajouter qu'il travaillait.

Mais ça, tout le monde bosse un peu.

Et on ne s'en vante pas pour autant.

Cela dit, Enrico Labonté était vide en titi.

Je ne l'ai jamais revu pour tout dire.

J'ai tout de même cru bon de vous raconter son histoire.

Cela ne vous aura pas coûté un sou.

Vos commentaires ne sont pas vraiment nécessaires.

Je serais le seul à écrire et à me lire que cela ne me ferait pas un seul pli sur la poche.


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