Beaucoup de mes anciens repères sont disparus. J'essaie de m'y retrouver tant bien que mal. Je suis parfois dépassé tant par la technologie que par les nouvelles idées. Et je m'en voudrais de devenir l'archétype du vieux grincheux qui en veut autant aux ordinateurs qu'aux droits civiques.
J'ai la chance d'être un artiste. Ça m'a permis de rester jeune et indigné sur une très longue période. Je doute même qu'elle ne s'achève un jour.
Cela dit, même ma révolte a évoluée.
Au tout début, mes problèmes personnels et la pauvreté vécue dans mon enfance donnaient la teinte à mes actions.
J'ai commencé à faire du vandalisme politique vers l'âge de 12 ans. C'était en 1980. Je m'étais acheté de la peinture en aérosol et je traçais des OUI avec une fleur de lys sur les portes de garage de la P'tite Pologne avec un ou deux amis. Heureusement que je ne me suis jamais fait prendre.
Ou malheureusement. Puisque je me suis radicalisé ensuite. Je faisais des graffitis plus engagés au fil de mes lectures. J'en étais à Nègres Blancs d'Amérique de Pierre Vallières. Le récit de son enfance collait parfaitement avec ma propre enfance. J'ai senti une parenté intellectuelle. J'étais devenu socialiste et indépendantiste, en faveur de la décolonisation du Québec.
Le référendum de 1980 avait été perdu.
Le No Future gagnait du terrain.
Je dessinais des faucilles et des marteaux avec ma bombe aérosol sur tous les murs de la ville puis, bientôt, de la faculté de droit de l'Université Laval...
Je graffitais des «Vive la révolution!», «Socialisme et indépendance», «République socialiste du Québec!», «Fuck les bourgeois!», «Droit = bourgeois», etc.
Je faisais ça tard le soir. Après avoir bu quatre litres de vin pour me donner du courage.
Je faisais ça tout seul. J'étais le seul camarade de mon organisation révolutionnaire, le seul membre, le seul chef.
Je devais sans doute m'ennuyer...
Un jour, alors que j'étais préposé aux bénéficiaires au Centre hospitalier de l'Université Laval, je suis tombé par hasard sur le journal Combat Socialiste publié par Gauche Socialiste. J'ai participé à l'une de leurs réunions. Puis, de fil en aiguille, j'ai participé avec eux à tout plein de manifs et d'actions politiques tout en recevant une formation en vue de devenir un «cadre» marxiste révolutionnaire.
J'ai été adoubé au bout de quelques mois et reconnu pleinement en tant que camarade.
Je me suis mis à publier des textes dans Combat Socialiste tout en distribuant des tracts ici et là.
Puis il y a eu 1989. Le doute s'est installé sur Trotski et l'Armée Rouge. La chute du Mur de Berlin, la chute du communisme, la place Tien An Men: ça devenait lourd pour un marxiste.
J'ai tout lâché suite à une réunion de cellule où des camarades féminines reprochaient à un camarade et ami d'avoir en sa possession des magazines Hustler.
Elles disaient que c'était inadmissible pour un camarade qui se disait féministe d'avoir des Hustler chez-lui qui présentaient les femmes dans des positions avilissantes.
J'avais 19 ans. J'ai défendu le droit du camarade à se crosser.
-On doit bin avoir le droit de s'crosser tabarnak! me suis-je offusqué. J'avais moi aussi des Hustler à la maison caché sous une pile de journaux Combat Socialiste!
J'ai donc rédigé une lettre au secrétaire du Parti pour lui dire que je foutais le camp, sans pour autant renoncer à l'action militante. J'allais devenir anarchiste, tiens. Trotski avait étouffé la révolte des marins révolutionnaires de Cronstadt. Il aurait été Staline à la place de Staline s'il l'avait pu. Le ver était déjà dans la pomme. Le bolchevisme n'a jamais été rien d'autre que l'étouffoir de la vraie révolution russe, une révolution qui venait du coeur, la révolution des femmes qui marchaient dans les rues de toute la Russie pour réclamer l'abdication du tsar et la république. Ils ont été les fossoyeurs de la révolution pacifique de février 1917.
Bref, je suis allé me faire voir ailleurs, à Montréal, où je suis tombé sur le groupe Socialisme et Liberté, de tendance rouge et noire, des anarcho-communistes mettons qui publiaient le journal Rebelles. J'y ai passé quelques mois. J'ai participé à quelques actions. J'ai tenté de partir une cellule à l'UQTR. Mais mon professeur de philosophie. feu Alexis Klimov, m'a fait prendre conscience que ma révolte était encore plus grande que tout ce que je n'avais encore jamais imaginé.
Ma révolte était existentielle. Semblable à celle d'Icare qui s'envole du labyrinthe avec ses ailes de cire qui risquent de fondre au soleil.
Au cours de cette période, j'ai lu comme un forcené. Puis j'ai pris de l'alcool, beaucoup d'alcool, et probablement toutes les drogues imaginables, dont du LSD. Ce qui a fait péter ma coquille.
J'avais besoin d'amener ma révolte ailleurs.
C'était une révolte contre moi-même ou mon vrai moi est sorti vainqueur.
C'était à Vancouver, en 1993.
J'étais seul. Je ne parlais à peu près pas anglais: yes, no, mustard, relish...
J'étais parti sur un coup de tête. Un coup de désespoir.
Quelques mois plus tard, un nouvel homme revenait au Québec après avoir vécu un temps dans l'Ouest canadien, en Alaska et au Yukon.
Je parlais désormais anglais. J'avais accès à plus d'information qu'auparavant. Ma pensée n'était plus la même et, plus important que tout ça, j'avais gagné une confiance en moi sur les plans amoureux et sexuels.
J'ai continué de militer à ma façon, sans faire référence à une organisation.
Mon séjour chez les trotskistes m'a rendu à jamais allergique aux structures organisationnelles.
Je milite comme ça me tente et quand ça me tente. Je ne suis jamais aucun mot d'ordre. Je call les shots.
En 2012, j'ai été surpris de constater que je n'étais plus seul.
Des centaines de milliers de Québécois et Québécoises se sont soulevés au cours des plus impressionnantes manifestations de toute l'histoire du Québec.
J'ai affronté la loi spéciale avec mes nouveaux camarades dans les rues de Trois-Rivières.
La police ne faisait rien.
Les gens sortaient sur les balcons pour nous applaudir dans Ste-Cécile et la P'tite Pologne.
Il y avait une atmosphère de libération. Quelque chose que je n'avais encore jamais vécu auparavant.
Ce n'était pas une révolution triste.
Non. C'était joyeux. La joie affrontait de tristes sires qui voulaient rappeler au peuple que les seuls rêves autorisés sont ceux des promoteurs immobiliers et autres vendeurs d'asphalte à trois fois le prix du marché.
Le Printemps Érable s'est essoufflé. Mais Jean Charest a été battu dans son comté et les libéraux aussi. Ils avaient fait couler le sang du peuple dans nos rues et lancer sur les étudiants des charges de la cavalerie cosaque de la SQ.
À la veille des élections qui auront lieu lundi le 1er octobre, je suis encore révolté.
Mais c'est cette révolution joyeuse qui m'anime.
Ce besoin de casser la tristesse, l'ennui et le vide des vieux partis politiques traditionnels.
La nature a horreur du vide.
Et les jeunes comme les vieux n'en peuvent plus des faces de carême de la vieille garde politique.
Rêver n'est pas du luxe pour une communauté humaine.
C'est une nécessité.
Ceux qui veulent étouffer les rêves peuvent bien aller se faire foutre quant à moi.
Je ne veux même pas argumenter avec les zélotes du statu quo et encore moins avec ceux qui ne comprennent pas l'urgence de changer notre gestion de ce monde pour laisser aux générations futures ne serait-ce qu'un peu d'oxygène.
Cela dit, je suis un vieil homme déjà.
Je ne comprends pas tout.
Mais ce n'est pas moi qui vais étouffer les rêves de la jeunesse.
D'autant plus qu'elle s'amuse, cette jeunesse. Elle a l'arrogance de son intelligence. Les vieux qui la méprisent leur arrivent rarement à la cheville au plan strictement rationnel. Leur esprit est souvent plus vif et plus aiguisé. Ils en savent plus long que leurs parents, très souvent. Mais on ne veut pas le voir. Et surtout pas l'entendre. Et c'est dommage.
La révolution joyeuse s'en vient. Je sais qu'elle est là, toute prête.
Elle va nous débarrasser de ce climat de peur et d'austérité maniaque.
Elle va libérer notre avenir coincé par les digues de l'insignifiance.
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