jeudi 7 juin 2018

Le savetier et le financier


Résultats de recherche d'images pour « le savetier et le financier »Je suis souvent hanté par cette fable de La Fontaine qui met en scène un savetier et un financier. Le savetier chante du matin au soir en fabriquant ses souliers. Le financier vit à l'étage supérieur et n'en revient pas qu'un homme si fruste soit si dépourvu de ces soucis sans lesquels les affaires ne sont pas les affaires. De plus, ses chansons l'empêchent de dormir.

Alors il demande à le voir pour discuter avec lui. Il l'interroge sur ses revenus, évidemment. Le savetier n'est pas loin de la misère mais s'en accommode. Alors le financier décide de lui donner cent écus pour l'asseoir sur un trône, comme pour le narguer. Le savetier n'a jamais vu autant d'argent de sa vie. Il s'en va le cacher dans sa maison et capote au moindre bruit, comme si l'on voulait lui voler ses cent écus. Du coup, le savetier n'a plus le coeur à la chanson. Il devient triste, anxieux, méfiant.


Heureusement que la fable se termine bien.

La savetier monte chez le financier qui, d'ailleurs, dort très bien depuis qu'il ne se fait plus réveiller par les chansons du pauvrichon.

-Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme, et reprenez vos cent écus.

La fable s'arrête là.

Mais sans doute que le savetier s'est remis à chanter.

Pourquoi cette fable vient-elle me hanter?

Parce que fabuler est le propre des artistes.

Et parce que je soupçonne La Fontaine autant de fainéantise que de révolte contre l'autorité.

Fusse-t-elle financière, cette autorité...

N'allez pas croire que je vais vous laisser sur cette note.

Il est évident que je vais vous laisser le texte intégral de cette fable de La Fontaine. 

Pas besoin de me remercier.

J'ai déjà ma récompense.

Et je chante matin et soir moi aussi.

***
Le savetier et le financier
Jean de La Fontaine


Un Savetier chantait du matin jusqu'au soir : 
C'était merveilles de le voir, 
Merveilles de l'ouïr ; il faisait des passages, 
Plus content qu'aucun des sept sages. 
Son voisin au contraire, étant tout cousu d'or, 
Chantait peu, dormait moins encor. 
C'était un homme de finance. 
Si sur le point du jour parfois il sommeillait, 
Le Savetier alors en chantant l'éveillait, 
Et le Financier se plaignait, 
Que les soins de la Providence 
N'eussent pas au marché fait vendre le dormir, 
Comme le manger et le boire. 
En son hôtel il fait venir 
Le chanteur, et lui dit : Or çà, sire Grégoire, 
Que gagnez-vous par an ? Par an ? Ma foi, Monsieur, 
Dit avec un ton de rieur, 
Le gaillard Savetier, ce n'est point ma manière 
De compter de la sorte ; et je n'entasse guère 
Un jour sur l'autre : il suffit qu'à la fin 
J'attrape le bout de l'année : 
Chaque jour amène son pain. 
- Eh bien que gagnez-vous, dites-moi, par journée ? 
- Tantôt plus, tantôt moins : le mal est que toujours ; 
(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes,) 
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours 
Qu'il faut chommer ; on nous ruine en Fêtes. 
L'une fait tort à l'autre ; et Monsieur le Curé 
De quelque nouveau Saint charge toujours son prône. 
Le Financier riant de sa naïveté 
Lui dit : Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône. 
Prenez ces cent écus : gardez-les avec soin, 
Pour vous en servir au besoin. 
Le Savetier crut voir tout l'argent que la terre 
Avait depuis plus de cent ans 
Produit pour l'usage des gens. 
Il retourne chez lui : dans sa cave il enserre 
L'argent et sa joie à la fois. 
Plus de chant ; il perdit la voix 
Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines. 
Le sommeil quitta son logis, 
Il eut pour hôtes les soucis, 
Les soupçons, les alarmes vaines. 
Tout le jour il avait l'oeil au guet ; Et la nuit, 
Si quelque chat faisait du bruit, 
Le chat prenait l'argent : A la fin le pauvre homme 
S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus ! 
Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme, 
Et reprenez vos cent écus.



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