mardi 12 juin 2018

Billy Lacasse le trou du cul qui faisait de sa vie une oeuvre d'art

Billy Lacasse, l'an passé, devant le hublot d'une porte de cuisine.
Il se souvenait vaguement qu'un type, probablement un artiste ou un écrivain, avait dit quelque chose comme il faut faire de sa vie une oeuvre d'art. Était-ce Oscar Wilde ou bien Charles Baudelaire, esthètes hors du commun, qui avaient noté cela dans le grand livre de l'humanité lettrée? N'importe qui aurait tout aussi bien vous dire ça. Ça ne prend pas un génie pour faire de sa vie autre chose qu'un travail.

Alors voilà, Billy Lacasse voulait faire de sa vie une oeuvre d'art. Parce que tout le reste ne lui disait rien. L'art ne lui en disait pas vraiment plus, mais c'était encore mieux que rien.

Un gars passant par là salua Billy Lacasse qui, trou du cul de naissance, n'avait jamais conduit une automobile ou bien une bicyclette. Il n'y avait pas d'art ni d'argent chez-lui. Ils vivaient huit à quinze personnes dans une boîte de bois en papier briques oubliée des pics des démolisseurs. Ils n'étaient pas heureux mais pas malheureux de ne pas l'être puisqu'ils ne connaissaient rien d'autre.

Billy Lacasse, trou du cul de naissance et de vieillesse aussi, avait donc fait de sa vie une oeuvre d'art.

Et le gars qui passait par là, et qui saluait Billy, eh bien c'était Ti-Caille. Pourquoi Ti-Caille? On n'en sait rien. Bien sûr qu'il est laid. Et pauvre. Autrement on l'aurait appelé Votre Excellence. Ou bien Votre Majesté. Mais pas Ti-Caille.

-Salut Billy! hurla Ti-Caille avec son air qui faisait peur aux passants qui ne le connaissaient pas encore.

-Salut Ti-Caille, susurra Billy.

-Qu'est-cé tu fais?

-Je fais de ma vie une oeuvre d'art!

Billy poursuivit son chemin, avec une canette de Coke Diète en main tandis que Ti-Caille ne comprenait pas ce qu'il voulait dire par oeuvre dard.

Billy se sentait gonflé d'orgueil d'avoir fait ce choix.

Sa vie serait donc une oeuvre d'art.

Ça le changerait de dire qu'il est sur l'aide sociale.

Parce que Billy n'aimait pas travailler.

À vrai dire, Billy a travaillé vingt ans sur une chaîne de montages à monter des pinouches après des quossins. Il était payé au salaire minimum. C'était plate à mourir. Il a fait un genre de dépression en garrochant les pinouches et les quossins au visage de son superviseur, Lévis Bouvin, un gars qui dépensait ses payes au vidéo poker.

Puis un jour, il est parti et a reçu du chômage pendant quelques temps. Puis l'aide sociale a pris le relais. Maintenant, Billy prétend qu'il étranglerait quiconque voudrait le faire travailler à nouveau.

-Qu'on ne me parle plus jamais de job! JAMAIS!

Billy avait des idées bien arrêtées, voyez-vous, et surtout ça cognait trop fort dans sa tête. Quelque chose qui lui disait de regarder les oiseaux du ciel, dont le plumage est plus beau que celui des lys des champs qui, bien sûr, ne sont pas des oiseaux. Pourquoi s'en faire, hein? Pourquoi travailler?

-Que faites-vous dans la vie Billy?

-Je fais de ma vie une oeuvre d'art! répond-t-il dorénavant à tout un chacun du commun des mortels...

Mouais. C'est sans doute ordinaire comme réponse.

Mais quand ça vous vient d'un authentique gars des bas-fonds, ça prend une toute autre résonance.

Ça vous rappelle que même les pissenlits poussent entre les fentes des trottoirs maganés.

Et que tout est matière à faire de l'art, à défaut de faire de l'argent.

On y gagne tous en dignité et en distinction.

L'art, ça fait distingué non?

Ça calme Billy qui de toute façon n'a pas besoin de dépenser toutes ses payes au vidéo poker.



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