Tout Québécois qui se respecte connaît cette chanson de Stephen Faulkner. Si j'avais un char s'est inscrite dans notre psyché collective. Elle raconte l'histoire d'un pauvre type qui va plutôt prendre un taxi parce que, justement, il n'a pas de char.
J'ai grandi parmi des hommes d'un autre temps qui n'avaient pas de char. Ils s'occupaient de nourrir leurs enfants. Ils investissaient dans le garde-manger plutôt que sur un char. Mon père et la plupart de ses amis n'avaient pas de char.
Évidemment, je trouvais un peu poche de vivre au sein d'une famille qui n'avait pas de char. Surtout au cours de mon adolescence. Comment pourrais-je copuler sans disposer d'un char? Étais-je dès lors condamné à l'exclusion sociale?
-Pourquoi qu'on n'a pas d'char poupa? que je demandais à mon père.
-Y'en a qui ont des chars mais y'a rien à manger dans leu' frigidaire...
C'était sa seule et unique réponse.
Poupa allait travailler à pieds ou à vélo. Il prenait l'autobus. Ou bien quelqu'un lui donnait un lift.
Mes frères ont tous fini par avoir un char. Peut-être pour casser une forme de malédiction familiale dans un monde froid et mécanique.
Contrairement à eux, je n'aurai jamais appris à conduire et, franchement, je ne veux rien savoir à ce sujet. Même si ma blonde a un char. Même si c'est pratique pour se rendre au bout du monde. Même si c'est moins éreintant pour les épiceries.
Malgré tout ça, je ne suis toujours pas en amour avec les chars.
Je me suis fait lentement à l'idée de vivre sans char.
C'est vrai que mes yeux éprouvent quelques difficultés. Au-delà d'une certaine vitesse je peine à faire le focus. Les paysages défilent devant mes yeux comme sous l'effet d'un stroboscope. Donc, je ne suis pas fait pour avoir un volant entre les mains et, tout compte fait, c'est mieux ainsi.
Au lieu de polluer et d'engraisser dans l'inaction, je me déplace avec mes pieds. Du coup, je bénéficie d'un meilleur bilan de santé.
***
Je me souviens d'un gars qui me disait que je ne pourrais jamais me faire une petite amie sans un char. Ce gars-là, évidemment, avait un char. Un beau char à part de ça. Je ne saurais vous dire quelle marque puisque je m'intéresse fort peu aux chars...
Ce soir-là, ce gars-là, qui s'appelait Mike, m'a donné un lift pour aller fêter dans un bar. Il était accompagné de sa petite amie, une anglophone aux jambes longues. J'étais seul et me sentais trou du cul comme un gars qui n'a pas de char.
Arrivé au bar, la petite amie de Mike s'est laissée enjôler par un autre gars. Mike était en tabarnak.
-J'décrisse d'icitte! J'me su's faitte chier-là par c'te salope! m'a dit Mike.
Entre temps, j'avais fait la connaissance d'une fille qui se foutait que je n'aie pas de char. Mike a eu l'amabilité de nous raccompagner à bord de son char.
Quand je fus rendu à la destination, j'en profitai pour répondre à Mike qui s'inquiétait que je ne puisse pas séduire une fille sans avoir de char.
-Quand t'as pas d'char, Mike, ça t'prend juste un bon chum comme toé pour ramener une fille... Merci Mike.
Mike riait jaune. Et la suite de l'histoire, franchement, cela demeure dans le domaine de la vie privée.
***
Non, je n'ai pas de char. Ou, du moins, je n'en utilise pas.
J'ai appris à apprécier mes longues marches et mes non moins longues randonnées à vélo.
Je profite pleinement des paysages et des chants d'oiseaux. Mon coefficient de stress est moins élevé. Tout me semble plus facile, plus simple et plus beau.
Je suis condamné à bouger et j'en suis heureux.
Aucune saison ne m'effraie. Le beau temps comme le mauvais temps ne viennent pas à bout de ma joie de marcher.
Voilà, je n'ai pas de char.
Et je ne veux pas en conduire.
Jamais.
Merci beaucoup.
T ' as pt ' êt ben d'la chance d ' pas avoir d ' char !
RépondreEffacer@monde indien: j'ai accès à un char que je ne conduis pas. Je ne veux rien savoir de conduire un char!
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