dimanche 10 juillet 2016

Le manteau, les pantalons et les shorts...

"Nous sommes tous sortis du manteau de Gogol." C'est ce qu'écrivait, à peu de choses près, un certain Dostoïevski. Pour ceux qui ne comprennent pas cette saillie, je me permettrai ce propos didactique: Le manteau en question, c'est une nouvelle de Gogol. C'est l'histoire d'un petit fonctionnaire à petit salaire qui n'a pas de quoi s'acheter un nouveau manteau alors que son vieux manteau est élimé et rapiécé de toutes parts. À force de savants calculs, le fonctionnaire prend le risque de s'offrir un nouveau manteau. La malchance s'ajoute à la misère: il se fait voler son nouveau manteau et se voit condamner à porter à nouveau son vieux manteau dégueulasse.

L'histoire que je vais vous raconter reprend un tant soit peu le même thème et vous ferait pleurer à chaudes larmes si vous aviez le coeur à la bonne place.

Il s'agit, en fait, de l'histoire de Ti-Jean Cordonnier. C'est un gars plutôt insignifiant qui vit au-dessus d'une cordonnerie à laquelle il doit son surnom. En fait, il s'appelle Charles Bujold. J'imagine que les petits malins trouvent ça drôle de l'appeler Ti-Jean Cordonnier, ce qui fait que tout le monde finit par l'appeler ainsi. Même Charles Bujold a parfois recours à son surnom lorsqu'on contrôle son identité.

-J'm'appelle Charles Bujold...

-Charles Bujold?

-On m'appelle aussi Ti-Jean Cordonnier...

-Ah! El' gars qui reste en haut d'la cordonnerie!

-J'pourrais-tu faire inscrire à crédit une livre de poulet pressé s'il-vous-plaît? J'vais vous payer quand j'va's r'cevoir mon chômage...

L'assurance-chômage ce n'est pas comme l'assurance-feu voyez-vous. Quand un loustic passe au feu, il est payé le lendemain par son assurance. S'il perd son boulot, il pourra sécher longtemps sur le comptoir et sera traité ni plus ni moins comme un ennemi de l'État.

Cela dit, Ti-Jean Cordonnier était dans la dèche dans ce temps-là. C'était au printemps dernier. Il n'avait qu'un manteau d'hiver, beaucoup trop chaud pour la saison mais tout de même présentable.

Son problème était surtout au niveau de ses sous-vêtements. Il en portait trois paires qui ne tenaient plus qu'en faisant un noeud dedans. Cela faisait belle lurette que les élastiques étaient foutus. Vous me direz que Ti-Jean aurait bien pu revêtir son unique paire de jeans sans porter de sous-vêtements. Le problème était justement qu'il n'avait qu'une seule paire de pantalon qu'il ne pouvait pas laver tous les jours. Les sous-vêtements, aussi élimés soient-ils, lui assuraient une certaine protection contre ses propres déjections tout en prolongeant un tant soit peu la relative propreté de ses culottes.

-Faudrait que j'm'achète des shorts baptême! se disait Ti-Jean Cordonnier à toute heure du jour.

Il faut dire que le noeud de ses shorts se défaisaient souvent. Ce qui l'obligeait à marcher comme un pingouin afin d'éviter que son slip ne tombe jusqu'à ses genoux.

C'était inconfortable tout autant que gênant. Il devait faire usage de subterfuges pour remonter son slip sans que cela ne paraisse. De plus, Ti-Jean Cordonnier maigrissait à vue d'oeil, ce qui n'était pas pour l'arranger. Même son pantalon baissait. Il ne portait pas de ceinture parce que la boucle de son ceinturon s'était cassée. Il passait donc un vieux lacet de chaussure entre les ganses arrière de son pantalon et se faisait une boucle qui contentait sa pudeur et sa conformité.

-Maudit pantalon! Maudites bobettes! maugréait-il toute la journée en passant tout son temps à les ajuster.

L'imparable finit par arriver.

Cela s'est produit au bureau de l'aide sociale stupidement désigné comme étant le Centre local d'emploi, histoire de rappeler aux loqueteux qu'ils feraient mieux de travailler.

Ti-Jean Cordonnier attendait qu'on annonce son numéro pour qu'il puisse déposer sa demande d'aide sociale en attendant de recevoir son chômage. Il n'y avait plus rien dans son frigo. À vrai dire, Ti-Jean Cordonnier n'avait même pas de frigo. Il avait épuisé sa réserve de riz blanc et de vieux pain moisi distribué par quelque charitable organisation chrétienne. Le dépanneur ne voulait plus lui faire crédit pour du poulet pressé. Bref, tout allait de mal en pis. Personne ne voulait l'embaucher et personne ne pouvait lui passer du fric. Il était, tout compte fait, parfaitement lessivé.

-Trente-huit! hurla une voix dans un haut-parleur.

C'était bel et bien son numéro. Ti-Jean Cordonnier se leva d'un coup sec pour se rendre au guichet. Malheureusement, tout lâcha d'une traite, son pantalon et ses shorts, de sorte qu'il se trouva flambant nu devant tout le monde. Comme si ce n'était pas suffisamment humiliant, il fallut aussi qu'il s'enfarge dans ses vêtements usés qui lui pendaient aux chevilles. Il se retrouva plaqué au sol, les quatre fers en l'air et la pipe bien en vue.

-Tabarnak! hurla-t-il en cherchant à ramener son pantalon et son slip.

-Hahaha! ricanaient tout le monde.

Ce n'était pas drôle du tout.

Ti-Jean Cordonnier avait besoin d'un chèque, c'était évident.

C'est d'ailleurs ce qu'il mentionna à l'agente d'aide à l'emploi qui ne cessait de lui rappeler qu'il devrait avoir honte de demander de l'argent à l'État, que c'était une aide d'urgence et qu'il ferait mieux de leur fournir une copie de son compte bancaire pour prouver qu'il n'avait plus un rond.

-Vous voyez bien qu'j'ai plus rien! Mes bobettes tiennent par un fil! J'perds mes culottes! Qu'est-cé qu'i' vous faut d'plus baptême!?! Mêmes les voleurs de banque reçoivent un chèque quand ils sortent de prison!!!

Tut! Tut! Il leur fallait aussi une preuve de résidence et la confirmation qu'il avait déposé une demande d'assurance-chômage...

Deux semaines plus tard, Ti-Jean Cordonnier recevait son premier chèque depuis ce qui lui avait semblé des lustres.

Au lieu d'aller s'acheter une ceinture, un pantalon et des sous-vêtements dignes de ce nom, l'escogriffe en profita pour se gâter. Il mangea au restaurant, but de la bière et paya son loyer.

Ce qui fait qu'il se retrouva au même point le lendemain.

Ti-Jean Cordonnier marchait encore comme une envie de chier sur les trottoirs, remontant son pantalon et ses shorts à chaque coin de rue. Il en voulait au monde entier pour son état. Comme si le monde avait à voir avec ses sous-vêtements.

Cela explique aussi le sobriquet de trou-du-cul que son propriétaire préfère à celui de Ti-Jean Cordonnier pour le désigner.

Un gars qui n'est pas capable de gérer ses sous-vêtements ne mérite tout simplement pas de vivre.

C'est une chance que ce trou-du-cul trouve encore sur son chemin un propriétaire dévoué pour lui louer un taudis dans un quartier minable.

1 commentaire:

  1. J ' adore ta petite histoire - est-elle vraie ? elle peut certainement l ' être -
    L ' attitude de l ' administration est exactement celle-là , ici en France aussi - Le pays de Gogol / j ' ai un peu lu et adoré / -
    Où les petits fonctionnaires défendent plumes et bec leur administration dans ce qu ' elle a de + dégueulasse , le rejet des + démunis des + démunis , ceux et celles qu ' on voit s ' abriter du froid dans des poubelles , se chier dessus ou choper tous les virus du monde tant leur vie est insalubre -
    Où ces m^mes petits fonctionnaires se réfugient sous le bouclier de leur administration bien légale pour justifier leur propre égoïsme tout aussi abjecte -
    Les entreprises privées et leurs travailleurs & patrons fonctionnent exactement de la m^me immonde façon : ils-elles , patron-ne-s , salarié-e-s ou ouvrier-e-s , se justifient du fameux " droit du travail " pour taper sur tou-te-s ceux et celles qui sont à terre , ne veulent pas se plier à la loi du travail et du marché , ou bien , chômage oblige , ne veulent pas se plier à l ' humiliation d ' aller quémander leur obole mensuelle au centre de " recherche d ' emploi " qui ne leur en trouve jamais et ne les aide jamais -
    Dans ce cas , ils , elles , sont à terre et on les appelle des assistés et il n ' y a plus qu ' à leur taper dessus le + fort possible en espérant qu ' ils en crèvent - les sous qui leur étaient destinés pourront au moins servir à financer des parcs d ' attractions ou des cocktails à la présidence -
    Eh oui , les égoïsmes individuels se justifient par les dispositifs légaux tout autant égoïstes - et vice et versa -
    Ma détestation va à eux , elles -
    Mon coeur est avec toutes , tous ceux et celles qui sont à terre -

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