J'ai connu un homme de paix qui avait fait la guerre. La Seconde grande guerre.
C'était un engagé volontaire. Son père lui avait reproché ceci et cela. Comme d'habitude. Et un beau jour, par pur défi, il s'était enrôlé dans l'armée pour partir au front. C'était aux alentours de 1940.
Il partit pour le camp d'entraînement de Halifax où il apprit à garder son flegme lorsqu'on lui gueulait des ordres en anglais qu'il ne comprenait pas trop bien. Puis on l'envoya en Angleterre, où il fût surpris de pouvoir faire l'amour à répétition avec la femme d'un officier anglais qui aimait encourager la belle jeunesse du Dominion of Canada.
On l'encouragea aussi à tenter de prendre Dieppe, en 1942.
-Ils nous donnaient des pilules qui nous rendaient agressifs... On n'voyait plus clair jéritol! Heureusement parce que les Boches nous tiraient dessus pis tous nos soldats tombaient comme des mouches sur la plage... Ceux qui voulaient pas débarquer se faisaient tirer une balle dans 'a tête pis on envoyait une lettre à leu' famille pour leu' dire qu'i' z'étaient morts au champ d'honneur... Moé, si j'ai survécu à Dieppe pis aux autres débarquements, c'est pas parce que j'étais un héros... Les héros sont morts là-bas... Moé j'ai survécu parce que j'me cachais sous les cadavres de mes chums qui me protégeaient des balles pis des bombes... C'est parce que j'savais trouvé une place où m'cacher que j'su's pas mort...
De Dieppe, il est revenu à peu près sain et sauf en Angleterre. Puis on l'envoya en Italie chasser les hordes fascistes de Mussolini, l'idole du Premier ministre du Québec, Maurice Duplessis. De l'Italie il revint vers la France et s'enfonça avec ses camarades en Belgique, en Hollande et bientôt en Allemagne, au coeur de ce Reich qui devait durer mille ans.
Il revint avec une humanité qui transcendait de loin tout ce que je connaissais autour de moi. Ce bon homme devint le meilleur ami de mon père.
C'était un homme extrêmement jovial toujours prêt à discuter avec tous ceux et celles qu'il croisait sur sa route, peu importe d'où ils provenaient. Russes, Polonais, Allemands ou Vietnamiens devenaient tout de suite ses bons amis. Il leur parlait comme s'il s'agissait de ses frères et les invitait chez-lui, au grand désespoir de sa femme qui n'espérait pas tant de visiteurs.
Je me souviens qu'il avait de ces moments où il nous avouait détester franchement la guerre. Il ne trouvait pas toujours les mots pour en parler. Son regard devenait brumeux. Sa gorge se nouait.
Au jour du Souvenir, le 11 novembre, il ne se mêlait pas aux vétérans qui paradaient devant le cénotaphe avec leurs médailles de bravoure.
-Les vrais braves sont morts... Ils sont restés là-bas... Moé j'me mêle pas à ça... J'y va's pas fêter l'armistice...
De temps à autres, il disait qu'il avait défendu son pays, bien entendu. D'autres fois, il ne disait rien.
Ou bien il se rappelait qu'il y avait du bon monde partout, même en Angleterre, même en Allemagne, et pourquoi pas en Russie.
Ce n'était pas un homme à faire de grands discours.
C'était le genre d'homme qui se contentait de faire la charité plutôt que d'en parler.
La guerre lui semblait une saleté. Une saleté qui avait dû être faite pour se débarrasser de Hitler. Les Français l'avaient accueilli en libérateur. Les Hollandais aussi. Puis même les Allemandes...
Il devenait tout joyeux quand il parlait des femmes. C'est que les femmes ne font pas la guerre. Au lieu de se tirer dessus, elles soignent les blessés et réconfortent les mourants. Elles donnent l'envie de vivre et de survivre.
Dans les derniers jours de sa vie, il marchait encore de chez-lui jusqu'au Dunkin Donuts où il retrouvait des tas d'interlocuteurs pour raconter ses péripéties.
Quand je le croisais, il m'adressait la parole en anglais. Il savait que j'étais devenu bilingue après avoir travaillé en Colombie-Britannique, au Yukon, en Ontario et au Labrador.
-How're you doing my young pal? disait-il dans son vieux patois un peu british.
-Pretty good... How's going on sir?
-Jolly good!
Puis à la fin de la conversation, il me quittait sur un sonore "cheeri-o!" que plus personne ne dit. Ou bien sur un Auf wiedersen mein alter.
Il considérait que les Allemands étaient du bon monde qui s'étaient faits manipuler par les nazis.
-C'est c't'hostie d'fou de Hitler qui leur a monté la tête! Y'étaient pas plus méchants qu'nous autres ou ben don' les Anglais...
Ce bon homme est décédé il y a de cela quelques années. J'en garde un souvenir impérissable. Un souvenir qui se ravive chaque fois que j'en vois hurler en faveur de telle ou telle guerre.
Je ne suis pas pacifiste à tout crin. Cependant, je me garde une petite gêne pour me retenir de hurler avec les loups. Chacun de mes hurlements pourrait se transformer en un cadavre sur une plage derrière lequel se cachera un soldat qui ne demandait pas à mourir si jeune.
Je n'irai jamais au front. Je suis devenu trop vieux. J'aurai vécu une vie relativement paisible parce que des pauvres gars sont morts pour ça.
Je penche du côté de la paix non pas par couardise, mais par défi.
Si l'on appliquait la logique d'un oeil pour un oeil, tout le monde finirait par devenir aveugle, disait substantiellement Gandhi.
Il n'y en aura pas de facile en cette misérable vallée de larmes qu'est notre monde.
Pourtant, je me plais à penser que nous pouvons vivre tous ensemble, ici et maintenant, sans nous faire exploser la tronche et droguer des jeunes hommes qu'on envoie vers l'abattoir.
Je n'ai pas de réponses toutes faites pour tout ce chaos qui règne sur la Terre.
Tout ce que j'ai, c'est le souvenir de ce vétéran de la Seconde guerre mondiale, un brave homme qui répandait le bien et le bonheur autour de lui.
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