Tout le monde pensait comme lui dans le monde de Flavien. Vous dire quelles étaient ses idées importe peu. Flavien avait essentiellement des idées fixes qu'il savourait entre amis. Et il n'aurait pu avoir pour camarades que des gens qui se conformaient au cadre général de ses idées. S'il eût été fédéraliste, Flavien n'aurait toléré que des fédéralistes autour de lui. S'il eût été souverainiste, il aurait fait semblablement. Socialiste, capitaliste ou adepte de Krishna, Flavien n'aurait rien fait de mieux que de toujours se trouver en présence de gens qui adhéraient à sa doctrine bien-aimée.
Flavien avait de grandes oreilles décollées et je vous vois venir en supputant que sa laideur en faisait un candidat idéal à l'endoctrinement. Je n'ai même pas terminé d'écrire que vous en concluez déjà qu'il était laid. Laid comme un pou vivant sous le joug de ses idées fixes.
Et pourtant, non, Flavien n'était pas laid. Ses grandes oreilles décollées lui conféraient le charme dont purent se prévaloir Ringo Star et Garou. D'ailleurs, Flavien jouait un peu de batterie, des marches martiales essentiellement, et possédait un brin de voix. Ce qui le préservait d'être un idiot fini qui ne vivait que pour sa fichue propagande.
En plus d'avoir des idées fixes, Flavien était un collectionneur compulsif. Toute sa vie tournait autour de l'idéologie à laquelle il adhérait pleinement. Ses livres, ses DVD et ses CD semblaient tous de la même mouture. Ils étaient là pour prouver qu'il avait raison sur toute la ligne.
Quand ses amis venaient le voir, Flavien devenait intarissable pour discuter de tel ou tel micro point de sa doctrine sacrée.
-Vous savez qu'en 1926, Chabouloux a écrit ceci ou cela à propos des manigances de nos ennemis... Chabouloux était le secrétaire particulier de Adolphe Hébert, à qui l'on doit la théorie dite des champignons communicants... C'est écrit ici noir sur blanc dans le Codex Theoricus...
Tout le monde acquiesçait, bien entendu, et laissait entendre que Flavien avait des vues brillantes sur l'avenir de sa communauté. Évidemment, quelques-uns d'entre eux, les traîtres et les vendus généralement, finissaient par se saouler la gueule et vomir sur Chabouloux, Hébert, le Codex Theoricus et Flavien.
-Qu'ils mangent tous d'la marde sacrament! Ej' me saoule à souère! Veux rien savoir calice! Fuck Chabouloux, Hébert et Flavien!
Flavien savait d'avance qu'il y avait beaucoup d'appelés et peu d'élus.
Plusieurs tomberaient au front.
Plusieurs abandonneraient la lutte pour la Vérité avec un grand V. Ils finiraient par faire partie de ces cohortes de médiocres qui n'ont jamais lu Adolphe Hébert.
D'où la vigilance de Flavien pour ne pas être emporté par les flots tumultueux du scepticisme ennemi.
Il avait bien raison d'être vigilant. Et même qu'il ne l'avait pas été suffisamment.
Ce qui devait arriver arriva.
Flavien eut le malheur de tomber sur Marie dite la Frimousse, qui avait d'ailleurs une belle frimousse.
Elle assistait souvent aux réunions du cercle de Flavien et, plutôt que de s'enthousiasmer de telle ou telle subtilité du programme de leur secte, elle avait toujours le regard fixe sur les oreilles décollées de Flavien qu'elle trouvait charmantes pour une raison qui m'échappe. (Allez savoir ce qui se passe dans la tête d'une femme en pâmoison!)
Flavien, qui était toujours tranchant, concis et percutant, en perdait peu à peu ses moyens de se faire dévisager ainsi ces portes de grange qui lui tenaient lieu d'oreilles.
C'est que Marie la Frimousse, avec son visage d'ange, avait souvent les lèvres sèches. Ce qui fait qu'elle se les pourléchait en le regardant. Ce que Flavien finit par interpréter comme un signe plus ou moins néfaste d'appel à la fornication. Ça l'embêtait d'autant plus que Adolphe Hébert n'avait jamais rien écrit à ce sujet compte tenu qu'il était totalement asexué et n'aimait que la compagnie de son chien.
Un soir, après avoir discuté encore et encore du Codex Theoricus, Marie la Frimousse fût la dernière à partir. Et même qu'elle n'est pas partie du tout. Elle a rentré sa grande langue dans la bouche de Flavien et s'est agrippée à ses oreilles pour lentement faire glisser la tuyauterie de Flavien dans son vacuum.
Flavien fit des oh! et des ah! tant et si bien qu'il en oublia le Codex Theoricus, Chabouloux et Adolphe Hébert. Toujours maintenue solidement par les oreilles, il finit par s'abandonner complètement dans le corps frémissant de Marie la Frimousse.
Après avoir joui au moins dix fois cette nuit-là, Flavien pouvait à peine balbutier quelques anecdotes à propos de la vie de Adolphe Hébert.
-Adolphe Hébert a déjà passé ses vacances à Pointe-du-Lac je me disais que ce serait chouette d'y aller, un jour ou l'autre, pour refaire le même parcours que lui et le commenter dans la revue Vérité...
-Tu ne sais donc que parler de ça, hein? répliqua Marie la Frimousse en pratiquant sur lui une énième fellation qui le propulsa dans l'abîme du rêve.
-Oh! Ah! et puis fuck Adolphe Hébert!
-Dis-le encore... Hummm... Smack... Globe...
-Fuck Adolphe Hébert! Ouiii! Fuck Adolphe Hébert!!!
C'en était fait de la sainte doctrine de Flavien qu'il venait de renier trois fois.
Dans les jours qui suivirent, Flavien mit fin aux réunions doctrinaires. Il meubla son appartement de parfums qui sentent bon, de musiques et de livres de poésie qui donnent l'envie de baiser du matin jusqu'au soir.
Marie la Frimousse, cette sacrée péronnelle, avait mis fin au règne des idées fixes de Flavien.
De sorte qu'elle devint l'idée fixe de Flavien.
Comme quoi, chassez le naturel et il revient au galop...
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