Je remarque, cela dit, que la poésie y semble beaucoup moins abstraite. Elle n'y est pas dénuée de signification. Le poète russe vit et ressent intensément ses vers.
En ce moment, Trois-Rivières tient son 31e Festival international de la poésie. On n'y remplit pas des stades, évidemment. La grande majorité des Trifluviens y est parfaitement insensible. Ce n'est certes pas un argument contre la poésie. Néanmoins, je comprends que la poésie qui nous est servie n'a ni la transcendance ni cette quête de sens sans lesquelles un poème n'est qu'une série de mots.
Trois-Rivières est une petite ville portuaire de 135 000 habitants située entre Montréal et Québec. La plupart du temps, on y parle bien plus de chômage et de pauvreté que de poésie. Pour maquiller cette misère endémique, on rend hommage aux poètes connus et inconnus. Pour les poètes connus, on fait affaire avec les ambassades et les subventions gouvernementales. On fait venir des fonctionnaires, des professeurs, des éditeurs de revues, tout ce qui vit de prébendes et de per diem d'un point à l'autre du globe. Puis on les fait réciter dans des rôtisseries, des restaurants, des librairies, des cafés et des bars dans une indifférence presque générale. Pour ce qui est des poètes inconnus, eh bien on les ignore puisqu'ils ne rapportent rien.
On ne remplit pas des stades, non. On prend des publics en otage pour des récitations qui sont la plupart du temps soporifiques et désincarnées.
-Bleu comme le blanc est qui aux commissures de tes oreilles baignerai je te dans le parfum capiteux du capital de la capitale...
On entendrait une mouche en train de chier, pas parce que les spectateurs sont émus, mais parce qu'ils n'y comprennent rien.
Si nous ne comprenons pas ce que vous écrivez, poètes, se peut-il que ce soit parce que vous ne savez pas vraiment écrire?
Faites écrire à un poète un texte en prose. C'est un défi qu'il ne saura pas relever facilement. La syntaxe est l'ennemie du poète officiel. Le sujet, le verbe et le complément ne font pas partie de l'ordre naturel de son discours. Son discours est à peu près inexistant. Tout ce qu'il lui reste, c'est du théâtre: de gros yeux ronds, un béret et un foulard. Le poète prend un air inspiré en récitant ses billevesées. On n'a pas le droit de rire. Pas le droit de lui dire ta gueule: ce serait faire preuve de fascisme... Le seul droit qu'on ait, c'est de l'écouter comme de bons parents qui assisteraient à une représentation improvisée d'enfants de la maternelle. Il faut pas les vexer, voyez-vous, ce ne sont que des enfants, ce ne sont que des poètes...
L'écrivain polonais Witold Gombrowicz en décousait lui aussi avec la poésie. Il se servait de l'analogie du café pour expliquer son mépris des vers. Gombrowicz aime le café amer. Les poètes veulent lui faire boire un café dans lequel on aurait mis huit tasses de sucre.
C'est donc le 31e Festival international de la poésie à Trois-Rivières.
Cela ne remplira pas des stades.
Partout où je passe, les Trifluviens s'en moquent allègrement.
-Pis, Gaétan, vas-tu nous réciter un poème?
-D'la marde!
Vous pouvez croire que nous sommes incultes, rustres et incapables d'apprécier la beauté à Trois-Rivières. C'est sans doute un peu vrai.
Mais s'il se présentait un vrai poète, un poète russe avec de l'âme, un certain goût pour la syntaxe et la philosophie, peut-être qu'on finirait par changer.
Complètement ok - et il en va de m^me de l ' art - Il n ' y a d ' art que s ' il dit quelque chose , m^me de la marde , mais pas des barbouillages ( encore que certains en disent parfois long - mais rares ) pour ne surtout rien dire .
RépondreEffacerEt tout ce qui est dans cette vie -