On dit du rire qu'il est le propre de l'homme. Il l'est probablement aussi de la femme. À moins qu'il ne soit qu'une manière tout à fait impropre de s'approprier le rire au mépris de tout ce qui respire et se meut sur cette misérable planète qui est la nôtre.
Quoi qu'il en soit, Julia rit toujours à en perdre l'haleine et je dirais même la raison.
Rien ne lui semble plus important, à vrai dire, que de faire comme tout le monde.
Et son monde à elle rit d'un rien. Ce rien peut prendre la forme d'une émission de télévision particulièrement mauvaise où une femme affriolante fait semblant de jouir dans l'ascenseur devant un timide à lunettes qui se ferme les yeux et se bouche les oreilles pour protéger sa virginité. Cela peut aussi se concrétiser dans une moquerie qu'elle croit sans conséquence. Une discussion entre filles, par exemple, où l'on se gausse d'une grosse qui porte des blouses fleuries. Tout devient sujet à rigoler pour Julia, d'autant plus qu'elle n'aime pas se casser la tête, comme elle le répète à tout venant avec l'assurance imméritée de celle qui croit tenir là un brin de sagesse.
Julia n'a pas tout à fait trente ans. Son style vestimentaire imite celui des actrices d'Hollywood dans l'espoir de mener une vie à peu près comparable. Elle est un peu jolie, mais dès qu'elle ouvre la bouche on partirait à courir jusqu'au Burkina Faso plutôt que d'avoir à subir ses sornettes.
-Moi, là, j'suis une fille qui aime pas se casser la tête... J'écoute jamais les nouvelles à la télé. J'lis jamais les journaux. Ça m'servirait à quoi, hein? Qu'est-ce que ça me donne de savoir qu'il y a telle ou telle guerre, hein? Du monde qui s'tue, y'en a tout le temps. Moi, j'veux avoir du fun, voyager, manger des langoustines à l'ail... Le monde qui s'informe sont pas plus heureux... Moi pis mon chum, Billy, on s'informe pas... Pis on fait des bien meilleurs salaires que tous ceux qui braillent dans la rue avec des pancartes... Billy, à sa shop, il gagne proche vingt-cinq piastres de l'heure... Y'a l'droit à deux mois de vacances par année parce qu'il banque son overtime... Moi, à la commission scolaire, c'est pareil... Pourquoi devrait-on se casser la tête, hein? Pour être malheureux? Moi j'aime écouter Complexe G pis Vol 920 à la télé, parce que c'est simple, parce que c'est pas du mautadit cassage de tête! J'voyage partout, au Club Med dans le Sud, à Cocobanana, à Riviera Plaza, en Floride pis partout où je peux porter les bikinis que j'me su's achetés... J'en ai un beau, rose, dans lequel je ressemble à Pamela Andersen... J'me su's fait r'faire les seins... Mon chum les a payés parce qui aime ça les gros seins, hin! hin! hin!
La pharmacie de Julia déborde de médicaments pour s'assurer qu'elle garde ce moral d'acier, ce rire à l'épreuve de tout. Aucune forme de pessimisme ne peut altérer ses baisses d'hormone et les variations de sa dopamine ou autres produits biochimiques de son corps de déesse à rabais, lesquels peuvent faire de vous un philosophe pessimiste et austère quand vous n'êtes pas sous contrôle médical.
La vie de Julia est un vrai feu d'artifices. Rien ne peut altérer sa joie et sa bonne humeur. Non, rien.
S'il pleut, elle ferme les rideaux et se met de la musique tropicale ou bien une vidéo de Lady Gaga.
Si l'on annonce qu'une tuerie a eu lieu dans l'école à côté de chez-elle, elle fait un détour pour ne pas passer par là ou bien se paie une fin de semaine dans les Laurentides, voire un billet pour un show d'humoriste pas trop politique. Elle adore Jean-Pierre Poitras, un saltimbanque plutôt beau bonhomme qui raconte des histoires grivoises, comme celle du gars qui voit sa blonde avec deux autres gars dans son lit.
-Qu'est-ce que tu fais avec mes chums dans notre lit? demande le gars.
-J'les ai invités pour jouer une partie de Monopoly... répond la fille.
-Ce serait pas plutôt pour une partie de Twister? rétorque le cocu.
-Hin! Hin! Hin! rigole Julia.
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