Dostoïevski est devenu célèbre vers 1880 pour avoir prononcé son fameux Discours sur Pouchkine. Slavophiles et Occidentaux russes se sont déchirés à ce sujet.
Ce que Dostoïevski dit de l'âme russe pourrait en partie s'appliquer à l'âme québécoise d'une manière que je ne m'explique pas tout à fait. L'âme russe, comme l'âme québécoise, ne réside pas dans l'argent, dans l'économie ou bien dans la politique. Son génie réside ailleurs, dans sa culture, dans sa mystique profonde, dans cette manière d'être qui dérange tant les partisans de l'austérité et autres conneries occidentales. Les Québécois, d'un certain point de vue, sont plus près des Slaves que nous ne le penserions à prime abord.
Je ne vous livre que cet extrait qui m'a laissé songeur. Le Discours sur Pouchkine est disponible en entier ici.
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"(...)Il ne faut pas s’indigner si je répète que c’est grâce à cette aptitude que « notre terre misérable » sera celle d’où s’élèvera une « parole nouvelle universelle ». Il est absurde d’exiger que nous ayons achevé notre évolution scientifique, économique et sociale, avant de prononcer cette parole nouvelle, qui doit améliorer le sort de nations prétendues aussi parfaites que les nations européennes. J’ai eu soin, dans mon discours, de dire que je ne songeais pas à placer la Russie au même niveau que les pays d’Occident, au point de vue glorieux de l’économie politique. Je répète seulement que le génie du peuple russe est peut-être le seul capable de créer la fraternité universelle, d’atténuer les dissemblances, de concilier les contradictions apparentes. Ce n’est pas un trait économique de notre race. C’est un trait moral. Les trésors moraux ne dépendent pas du développement économique. Les 80 millions de notre population représentent une telle unité spirituelle, inconnue partout ailleurs en Europe, qu’il ne faut pas dire de notre terre qu’elle est si misérable ! Dans cette Europe si riche de tant de façons, la base civile de toutes les nations est sapée ; tout cela peut s’écrouler demain, et pour l’éternité. Il surgira alors quelque chose d’inouï, quelque chose qui ne ressemblera à rien de ce qui a été. Toutes les richesses amassées par l’Europe ne la sauveront pas de la chute, car en un seul moment « toute la richesse disparaîtra ». Et c’est cette organisation civique, pourrie et sapée, que l’on montre à notre peuple comme un idéal vers lequel il doit tendre ! Je prétends, moi, que l’on peut porter en soi un trésor moral sans posséder la moindre méthode économique. S’il nous faut, avant d’unifier l’Europe et le monde, devenir une nation riche, faudra t-il, pour cela, emprunter tous les systèmes économiques européens, toute une organisation destinée à périr demain ? Ne nous permettra-t-on pas de nous développer de nous-mêmes, selon notre tempérament ? Il faut imiter servilement l’Europe ? « Mais notre peuple ne nous le permettra pas », disait récemment quelqu’un à un fervent « occidental ». — « Eh bien ! exterminez le peuple ! » répondit paisiblement l’ « occidental ». Et celui-ci n’était pas le premier venu, mais bien un des « représentants de l’intelligence russe ». Ce dialogue est vrai, pris sur nature."
F. Dostoïevski, Discours sur Pouchkine (extrait de l'introduction)
Traduction de J.W. Bienstock et John-Antoine Nau dans Journal d’un écrivain, Paris, 1904.
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