C'était hier le lendemain de la Nativité de Jésus dit de Nazareth, un homme qui renversait les tables des marchands et qui disait aux riches qu'il était plus facile pour un chameau d'entrer par le chas d'une aiguille qu'il ne l'était pour eux d'entrer dans le royaume des Justes. Conséquemment, pour servir la morale de toutes les époques, on a traité cet homme comme un criminel. Reviendrait-il aujourd'hui pour se plaindre du capitalisme, des marchands ou du Boxing Day qu'il subirait le sort réservé aux prisonniers de droit commun. On le bourrerait de pilules et on l'obligerait à s'asseoir devant un écran plat pour visionner en boucle un épisode du Banquier.
Cela dit, je me dois de vous rapporter cette anecdote qui risque de vous déplaire en plus d'assombrir la quiétude lumineuse à laquelle vous avez droit après de longs mois de labeurs sans congés sociaux.
Évidemment, cela s'est passé hier, au cours du Boxing Day, autour de neuf heures du matin.
À cette heure du 26 décembre, personne ne s'aventure vraiment dans les rues de Trois-Rivières, sinon un type qui, comme moi, nécessite quelques achats de dernière minute pour recevoir honorablement de la visite. Comme à peu près tout était fermé, il n'y avait qu'un seul endroit pour me dépanner. Je me suis donc rendu au dépanneur du coin pour m'y acheter les quelques petits trucs qu'il me manquait.
Les rues étaient désertes. On n'entendait aucun bruit de véhicule. Ce moment aurait presque pu devenir féerique s'il n'eût été de cette merde sur deux pattes que je croisai aux alentours du dépanneur.
Ce bipède semblait visiblement amoché par une drogue qui, selon moi, ne pouvait être que du crystal meth pour l'effet spectaculaire qu'il produit sur les nerfs et sur la dentition du pauvre type qui s'absorbe à perdre la carte de cette manière. Le type d'à peu près une trentaine d'années ne zigzaguait pas vraiment, comme c'est le cas avec l'alcool, et se croyait plus grand que nature: amphétamines!
Je l'ai aperçu de l'autre côté du trottoir où je déambulais et l'abruti lâchait d'énormes rots qui ressemblaient à une incantation diabolique.
-Roooooooaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaap! qu'il faisait sur une note qui devait durer dans les vingt secondes.
-Quel hostie de cave, me suis-je dit en moi-même, mieux vaut l'éviter...
Je n'ai malheureusement pas pu l'éviter. Le roteux m'agressa verbalement aussitôt qu'il me vit.
-Heille toé! J'te parle toé!!! Donne-moé une cigarette!
-J'fume pas, lui répondis-je laconiquement.
-Comme ça tu fumes pas toé? Hein? qu'il me répliqua en s'avançant vers moi comme s'il voulait me mordre.
Vous comprendrez que ma douceur légendaire a tout de suite cédé la place à ma non moins légendaire impulsivité.
-Toé mon tabarnak efface-toé d'ma vue sinon j'te rentre l'os du nez dans l'front mon hostie d'mongol!
Il est demeuré sur place quelques instants en rotant, le temps de me permettre d'entrer au dépanneur d'où j'espérais ne plus jamais le revoir.
Mais non! À peine étais-je entré que l'hurluberlu y pénétra à ma suite pour demander à la caissière du papier à rouler et du feu, pour lesquels il mentionnait qu'il n'avait pas d'argent.
-J'ai pas d'argent calice! Donne-moé du papier à rouler pis du feu tabarnak! Roaaaaaaaaaa!
J'étais dans le fond du dépanneur à faire mes emplettes. La caissière, une jeune fille de dix-sept ou dix-huit ans, me regardait avec un mélange d'anxiété et d'appel au secours devant cette créature diabolique qui continuait de roter et d'insulter l'humanité toute entière.
J'ai donc laissé mes emplettes et me suis dirigé vers le zouf en me préparant psychologiquement à lui en faire voir de toutes les couleurs. J'ai tout de même opté pour une manoeuvre d'intimidation, quitte à passer ensuite à mon plan B qui consistait à lui donner un croc-en-jambe pour ensuite l'achever à coups de bottes une fois que je l'aurais fait choir. (Dans mon patelin, c'est comme ça qu'on achève les démons...)
Mon plan A était fort simple. J'ai tout simplement claqué mon poing dans ma main à deux centimètres de son nez.
-T'as pas compris c'que j't'ai dit tantôt mon tabarnak? Veux-tu qu'j'te rentre l'os du nez dans l'front?
J'ai tellement frappé fort dans ma main que, ma foi, je me suis fait un peu mal.
La goule est sortie en rotant, comprenant inconsciemment qu'elle avait d'autres combats à mener.
La jeune caissière m'a remercié.
-J'en reviens pas du travail que vous faites quand j'vois des tarlais comme ça, que je lui ai dit.
-C'est bien moins pire cette année que l'an passé, qu'elle m'a répondu sur un ton résigné. Une chance que la police passe dans le coin...
Je ne m'imaginais pas un déchet de l'humanité pire que ça. Peut-être parce que je ne sors pas assez souvent. Et puis la police n'était pas là, malgré ce qu'elle disait. Je n'ose même pas imaginer ce qui aurait pu se passer.
Toujours est-il que je suis sorti avec mes emplettes. J'ai malheureusement recroisé le cave un peu plus loin. Il semblait cette fois m'ignorer et se contentait de gueuler tout seul comme un orang-outan.
-La ville va savoir que j'suis sorti d'en-d'dans! Marco Dubé is back!!! I' m'ont saisi mais là c'te fois-là j'va's acheter un bloc à quatre étages pis i' vont savoir que Marco Dubé is back!
Je suis rentré chez-moi pour aviser les policiers qu'il y avait un homme passablement dangereux qui errait dans les rues du centre-ville en agressant des quidams comme moi.
Pour le reste, je ne l'ai plus revu de la journée.
Je suis rentré chez-moi pour faire redescendre l'adrénaline.
J'ai reçu ma visite.
Puis lorsque la visite fût partie, je me suis tapé un bon somme.
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