Raymond avait pris un café avec de la crème de noisettes. Il aimait ça en caltor la crème de noisettes.
-C'est bon, qu'il disait, la crème de noisettes.
Ça lui prenait au moins ça avant de commencer son shift, alias son quart de travail.
-Ahem! Ça m'prend un bon café à 'a crème de noésettes avant mon shift... C'est bon en caltor... Ahem!
Raymond n'est pas grand. Y'est chauve mais sympathique. Même si ses expressions se ramènent à peu près toutes à son café à la crème de noisettes. C'est son goût du moment pis i' fait du millage là-dessus. Y'a deux semaines, Raymond parlait tout le temps d'son jus d'orange.
-Ahem! Ça m'prend un jus d'orange el' matin! qu'i' disait en faisant ses yeux de globules...
Hostie qu'on s'en calissait. Va chier Raymond que l'on se disait en nous-mêmes, à 'a Mine.
Eh oui. Raymond c'est un gars qui travaille pour la Mine Tomexco. Comme moé. Pis toé. Pis tous ceusses qui vivent autour parce qu'y a rien d'autre autour. Y'a trop de permafrost. Que dis-je! Trop de pergélisol... C'est ben calice pis les patates poussent pas dans notre coin. Tout ce qui pousse icitte c'est d'l'argent. Pis l'argent, bin faut aller l'chercher dans l'fin fond d'la Mine, oué monsieur, à peine mieux traiter que les zoufs qui font sauter la baraque dans Germinal d'Émile Zola. Quoi? Vous pensez qu'on s'cultive pas à 'a Mine? J'lis Germinal su' 'a bole. Pis j'lis Germinal pendant mes breaks. Ça parle des gars qui travaillent dans une mine pis i' d'viennent tellement en calice qu'i' font la grève avec el' drapeau rouge pis toutte le kit toé chose...
Tout ça pour dire que Raymond a failli passé out pas plus tard que le mois passé.
Y'était dans la sixième galerie quand ça s'est effondré. Brrrroum! Moé j'étais sur la bole en train de lire Germinal. J'ai figé net quand j'ai entendu les alarmes de sécurité résonner comme el' tabarnak. W-hein! W-hein! W-hein!
Ça fait que j'ai r'monté mes culottes pis j'ai couru vers la sortie, comme de raison.
Arrivé en haut, on apprend que Raymond pis vingt-trois autres gars sont peut-être morts dans la sixième galerie.
La femme de Raymond arrive en braillant. A' sait que j'lui parle de temps en temps, quand ça lui arrive de parler. Moé j'su's un parleux. Mais Raymond... Hostie i' parle ben rien qu'd'son mosusse de café à 'a crème de noésettes à 'a marde!
N'empêche qu'i' était peut-être mort pis que d'voir sa femme brailler, ça m'faisait faire comme un motton dans 'a gorge.
-Raymond! Raymond! qu'A' braillait.
Les journalistes étaient tous là avec leurs caméras pis leu' kodaks. Le show était commencé.
Y'ont voulu m'crisser un micro sous l'nez. J'voulais rien savoir. J'me su's poussé sans rien dire.
On capotait en pensant à nos chums coincés dans 'a sixième galerie. Raymond était peut-être mort... Pis l'gros Lamothe, Mike P'tit Paquet Gervais, Lionel Casavant, Rodriguo, Vaclav... Tabarnak!
Ça faisait vingt-quatre heures qu'i' faisaient des recherches quand y'ont découvert Raymond dans 'es toilettes d'la sixième galerie. Tous 'es autres étaient morts sous l'effondrement, sauf Raymond, parce que les toilettes l'ont protégé...
Quand y'est r'monté en haut d'la mine sa femme braillait d'joie, évidemment, pis les journalistes voulaient tous lui sauter dessus.
On aurait cru que Raymond aurait pleurer pis qu'i' y'aurait été contristé pis toutte le kit... Non... Raymond était un peu dépassé par les évènements et se sentaient trop heureux compte tenu de la tragédie...
Raymond riait, sautait, dansait, se tapait dans les mains, claquait des pieds pis chantait des chansons gaies.
-Gros jambon! Gros jambon-on! Ah bin gros jambon!!! Chu en vie! Tralalère! J'ai sur-vé-cu! J'ai sur-vé-cu! Je suis le meilleur! Je suis un champion! Yahou! Ouais! Kiss my ass everybody! Youppi! Yeah! Rock and roll!
Les caméras tournaient. Ça a été l'sujet de l'heure pendant une semaine. Comment un type comme Raymond pouvait perdre la tête après avoir vu la mort d'aussi près. On en avait même parlé à Tout l'monde en chie.
Au bout d'une semaine, on passa à autre chose. Pis Raymond a rempli lui-même ses déclarations pour la CSST.
-Va falloir en r'venir d'la fois qu'j'étais trop content d'être en vie! Comme si j'm'en rappelais... Caltor! qu'il m'a dit, Raymond, la dernière fois qu'j'l'ai vu.
C'était au Tim Motton's. Raymond buvait encore son hostie de café à la crème de noisettes tout en lisant son journal. Il était bien content de ne plus faire les manchettes. Et personne ne lui en voulait vraiment d'être mongol, même qu'on se proposait de le nommer président honoraire de notre club de dards.
C'est vrai qu'il shakait un peu plus que de coutume. Son médecin lui prescrit d'la marde qui l'rend shakeux pour rien.
Raymond est tombé su' 'a CSST et passe le plus clair de son temps entre le Tim Motton's pis son salon, où il écoute de vieux succès sur son ordi en attendant d'avoir meilleure mine.
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