jeudi 22 janvier 2009

LA RÉDEMPTION DE LOUIS

Quand j'ai connu Louis, c'était le gars le plus raciste du monde.

Louis se croyait drôle quand il se moquait des étrangers et des Sauvages. C'était un pauvre type sans éducation dont la dyslexie n'avait jamais été détectée à l'école, tout simplement parce que la dyslexie n'existait pas avant les années '80 et '90. Un dyslexique, avant les années '80, ce n'était qu'un élève médiocre. Bref, un futur bandit.

Louis se moquait des étrangers et des Sauvages comme on le lui avait appris dans le milieu un peu sombre où il évoluait. Il faut dire que l'école du crime lui reconnaissait bien plus de mérite et de talent que ne le faisait l'école publique. Et dans ce milieu, on ne porte pas toujours de gants blancs pour rire des nègres, des chinetoques et des têtes à plumes. Louis y apprit donc tous les préjugés. Et l'école du crime lui décerna tous les diplômes qu'il lui fallait pour faire de l'argent.

Louis était, entre autres, un formidable cogneur. Il vous faisait tomber dans le coma d'un seul coup de poing. Et c'était une particularité appréciée des shylocks et autres malandrins qui lui offraient du travail.

Louis travaillait la plupart du temps pour le gros Grenon, le shylock de la P'tite Pologne, un hostie de gros sale qui bouffait les chèques d'assistance sociale des paumés. Le gros Grenon leur prêtait 400$ pour recevoir le chèque au complet, 500$, le premier du mois. Et malheur à celui qui ne payait pas le gros Grenon. Louis serait là pour leur rappeler que l'homme est mortel en plus d'être fragile. Et il ne serait pas seul, Louis. Il y aurait aussi le gros Tom. Et le p'tit Desrosiers, un teigneux qui jouait de la lame pour mieux prier les débiteurs du gros Grenon d'honorer leur parole.

Le gros Grenon trippait fort sur Hitler. Il y avait des portraits de Hitler sur tous les murs de son bungalow, c'est pas mêlant. Il n'y a rien qu'il aimait autant qu'une bonne pipe en écoutant des vieux discours de Hitler. Il n'y comprenait rien, le gros Grenon, mais ça le faisait tripper d'entendre la voix du Führer pendant qu'une pute lui vidait les gosses. Quand je vous disais que c'était un gros hostie de sale, je ne disais pas ça pour rien.

Louis en vint donc à accuser les immigrés de voler les jobs, alors qu'il n'avait qu'un secondaire un même pas réussi. Il voyait du mal partout alors qu'il en était le plus ardent serviteur.

-Les nègues pis les chinetoques viennent icitte pour voler nos jobs! Pis les Sauvages ont tous un gros skidoo! Les Anglas: qui parlent frança' calice! C'est Québec icitte tabarnak! Le monde crèye p'us en Dieu pis y'ont p'us d'religion! L'gros Grenon y'a raison d'dire que les Blancs doivent s'unir pis combattre! Pis les hosties d'trous d'cul qui veulent pas payer, donnez-moé l'contrat m'en va's leu' z'arranger 'a face!

Louis vomissait sa haine à qui mieux mieux, tout le temps. Et pour mieux entretenir sa haine, il frappait, frappait et frappait encore.

Jusqu'à ce qu'il trouve un jour son homme. C'est-à-dire une femme. Une anglaise à la peau noire, imaginez-vous donc. Louis avait connu bien des femmes, jusqu'à sa rencontre avec cette femme, mais elle, c'était tout autre chose. C'est comme s'il ne se rappelait plus qu'il était raciste quand il était devant elle, camouflant même ses vieux tatouages de croix gammées, par réflexe.

Elle s'appelait Dorothy et elle était Jamaïcaine. C'était une danseuse au bar L'Entrecuisse, où il travaillait comme doorman de temps à autres.

Tout a basculé dans sa vie un certain soir de juillet 1992. Louis était à L'Entrecuisse et cela faisait quelques soirs déjà que Dorothy dansait. Louis la regardait toujours avec une certaine fascination, dans les yeux encore plus que partout ailleurs, peut-être parce qu'elle ne cessait jamais elle aussi de le regarder dans les yeux, tout le temps.

-J'pense que Dorothy a un kick sur moé, avait dit Louis au gros Tom, dans les chiottes, tandis qu'ils sniffaient tous les deux une ligne de poudre.

-Ché pas, avait répondu gros Tom. Chu gelé en hostie man!

Comme ils ressortaient des chiottes, ils virent Dorothy en train de gueuler après le gros Grenon. Elle lui avait même lancé un verre de bière à la tête, imaginez.

-You're just a big fuckin' ass-hole ya piece of shit! hurlait Dorothy.

-Capote pas hostie d'négresse! M'en va's t'arroser ben autrement qu'avec d'la bière ma tabarnak de marde fondue! hurlait le gros Grenon.

Louis, de voir pleurer Dorothy, eh bien ça le revirait tout à l'envers.

-Ok le gros, dit Louis au gros Grenon, arrête ça, c'est beau...

-Comment arrête ça? hurla encore plus fort le gros Grenon. L'hostie d'nègresse me crisse un verre de bière dans 'a face juste parce que j'lui dis let's go montre-moé ta snatch la négresse... Crisse! M'a lui montré c'est quoi un Blanc!

-You're just a jerk and your town, Trois-Rivières, it's just a hole! Nobody can say that i'm a nigger, right? Fuck off! Ya, bastard! reprit Dorothy, encore flambant nue.

C'est alors que le gros Grenon s'est levé pour lui foutre une claque sur la gueule. Mais comme il venait pour le faire, Louis n'a pu s'empêcher de faire partir son poing et le gros Grenon le reçut en pleine gueule et tomba par terre, les quatre fers en l'air.

-Qu'est-ce qu't'as fait là Louis tabarnak! brailla le gros Tom. Grenon va jamais t'pardonner ça! Tu vas en manger une tabarnak Louis! Ayoye!

-J'm'en crisse... Un homme n'doit pas toucher à une femme... Jamais!

-Es-tu d'v'nu fou sacrament Louis?

-Thank you, thank you, murmura Dorothy qui lui fit signe de la suivre.

Elle ramassa ses affaires à toute vitesse dans sa loge, baragouina quelques mots en français à Louis puis tous deux quittèrent le bar par la sortie de secours.

-On va Toronto okay? You and me. Toi et moi.

-Toronto? reprit Louis. Pourquoi pas.

Et ils partirent à Toronto, tous les deux, avec cinq à six milles dollars en poche, l'argent du gros Grenon que Louis gardait sur lui, comme par hasard.

Ce fût le coup de foudre instantané entre Louis et Dorothy. Un coup de foudre tellement intense qu'ils voulurent tous les deux que cela dure pour toujours. Elle cessa de danser. Il cessa de sniffer de la poudre. Ce qui fait qu'ils vécurent ensemble, d'abord dans un logement sordire sur Sherbourne Street, puis ensuite dans un logement plus confortable près de l'université York.

Louis se trouva rapidement du travail à Toronto sur un chantier de construction. Dorothy devint vendeuse de produits de beauté. Louis apprit l'anglais, puis découvrit la Jamaïque puis le reste du monde à travers ses conversations avec Dorothy. Il retourna à l'école pour finir son secondaire 5, en anglais qui plus est. On identifia sa dyslexie et on adapta l'enseignement en conséquence.

C'est à la même époque que le plus jeune des frères de Louis lui apprit qu'ils étaient des Sauvages, c'est-à-dire des Innus de la côte Nord, inscrits sur les registres. Louis devint peu à peu un Innu, en s'initiant à leurs us et coutumes. Il se faisait maintenant des tresses indiennes avec sa chevelure noire abondante. Et il portait un tee-shirt à l'effigie de Sitting Bull.

Louis et Dorothy eurent trois enfants, deux gars et une fille. De beaux petits métis.

Quand d'aventure quelqu'un dénigrait les Noirs, les Jaunes ou les Mauves, Louis intervenait toujours, sans utiliser ses poings désormais, comme s'il avait fait corps avec l'esprit de la chanson Amazing Grace.

-I was a wretch... I was blind. But now I see. We've all got the same blood in our veins!

Louis parlait anglais, bien sûr. Et il n'était plus raciste. Ni violent. Ni trou du cul.

Juste en amour avec sa belle Dorothy et leurs trois jolis enfants, loin de Trois-Rivières, un hostie de trou sale.

9 commentaires:

  1. C'est vraiment une belle histoire Gaétan, remplie d'espoir... Tu écris tellement bien!

    Merci...

    RépondreEffacer
  2. Kwai cher Makwa,

    Pas mal cool cette tranche de vie.

    Ce gars, Innu sans le savoir. Ça me fait penser que Tout le monde, toutes origines confondues, est d'origine Indigène. Peu importe le nombre de générations qui séparent quelqu'un de ses ancêtres qui n'avaient pas encore été assaillis et forcés à se soumettre à la loi du plus violent. Et que ce ne sont pas seulement les Indigènes de cette Belle Île de la Tortue (Amérique) qui soient détenteurs de cultures réellement viables et humaines, mais bien Tous les Indigènes de partout à travers le monde. Bon, il y a probablement eu quelques exceptions à cette règle: Indigène=Viable & Égalitaire & Humain, mais bon.

    Heureusement, il y a de plus en plus de monde qui voient à travers le smog...et que nous portons tous en nous ces connaissances inhérentes à l'humain. Une fois qu'on les laisse re-prendre leur place, qui parfois, a été trop longtemps occupée par autre "chose".


    À plus!
    -Misko

    RépondreEffacer
  3. il a eu la chance de tomber sur la bonne bonne femme. puis il était louis. qui sait ce que ça aurait donné s'il avait été un autre ? et elle. n'empêche, l'amour, ça change pas mal de choses on dirait. encore faut-il en être capable. y'en a qui sont vernis, sans déconner.

    RépondreEffacer
  4. je me demande tout le temps si c'est des personnages ou carrément des vraie personnes que tu as connues/rencontrées dans ton patelin... ils sont tellement riches, je sais pas, ils ont l'air vivant.
    ou peut-être c'est ton écriture et ta manière dont tu est capable de nous faire boire ces mots aussi.
    j'embarque toujours autant!

    RépondreEffacer
  5. Nice story dude.

    But when I saw the clip (true Sal)at the end, I thought :

    "Jeez, lighten up buddy. Three-Rivers isn't just the frickin' Grand Pricks."

    This town belongs to all of us and not just the assholes.

    RépondreEffacer
  6. Y'a pas d'quoi Magenta...

    ***

    Kwey Misko! Indigène un jour et sans gêne toujours!

    ***

    Mr Blog, la chance sourit aux audacieux.

    ***

    É. ;)

    ***

    Ce sont de vraies personnes Braincras. Même que le gros shylock est sur mon cas, le sacrement! Y'entend pas à rire... l'hostie d'épais!

    ***

    Jolly good Pouf! I know how sweet it is to you to stay in Three-Rivers. Can you be objective dude? By the way, let me say that I love this town too inspite of the Grand Pricks or some other dogfigth.

    RépondreEffacer
  7. c'était tout simplement pour te dire bonjour, Gaëtan. continue à faire de l'art humain, c'est tellement coloré et bariolé, que ça en vaut toujours l'arc-en-ciel d'après l'orage. après la pluie le beau temps, et qui sait, peut-être un jour aussi, carrément, la lumière (big flash in instant-karma) + (t'as écouté le dernier le dernier yoko ono ? "Yes I am a witch"... moi je me dis "la saloooope !!!")
    Piss & Love, Born to Die Wildly, brothers and sisters...
    "God is a concept, by which we mesure our pain" (John Lennon)

    RépondreEffacer