dimanche 18 janvier 2009

Le dernier des catholiques pratiquants


D'aussi loin que je me souvienne je n'ai jamais aimé aller à la messe. Je devais pourtant y aller. Aucun de mes amis n'y allaient. J'étais donc le dernier des catholiques pratiquants de ma génération dans mon quartier et, franchement, je détestais ça. Je me sentais à part des autres lors de ces messes qui n'attiraient visiblement que des vieillards. Il ne restait que moi, mon frère benjamin et mes cousines chez les jeunes catholiques du quartier. Tous les autres s'en crissaient d'aplomb de l'église, sinon à Noël et à Pâques, un reste de tradition, pour se rappeler que c'est plate une messe.

Nous allions souvent à l'office du samedi soir, parce que c'était moins long. On a beau être catholique pratiquant que l'on n'en sait pas moins que les messes peuvent êtres longues et soporifiques.

Le samedi soir, le curé faisait ça court. D'autant plus qu'après c'était le bingo. Et les commères souhaitaient vivement que le curé expédie le sermon à toute vitesse. Ce qu'il faisait d'ailleurs. Il voyait bien que son église se vidait. Et puis il fréquentait assidûment une paroissienne, une femme divorcée, qu'il aimait tendrement malgré son col romain. Il devait passer ses samedis soirs avec elle, imaginez.

Ce qui fait qu'il a défroqué assez vite merci et qu'il a été remplacé par un vieux prêtre qui marmonnait et qui était nettement plus ennuyant. Au moins, le prêtre défroqué, c'était un homme, si vous voyez ce que je veux dire. Son péché le rendait plus sympathique, plus humain, plus vrai.

Jusqu'à l'âge de dix ou onze ans, je me contentais de suivre docilement mes parents. Je m'inventais des péchés au confessionnal, parce que j'ai la mémoire sélective. Je ne me rappelais jamais de mes mauvais coups. Donc je disais que j'avais sacré, que j'avais frappé mon jeune frère, que je n'avais pas fait mon lit, etc. Rien de bien grave. Le vieux prêtre me disait de réciter une vingtaine de Je vous salue Marie et je faisais semblant de les réciter une fois revenu à ma place, en marmonnant n'importe quoi.

Pendant la messe, mon esprit vagabondait des fresques au plafond en passant par les tuyaux de cuivre de l'orgue. Quand venait le temps de m'agenouiller, je m'agenouillais. S'il fallait se lever, je me levais. Et j'allais chercher l'hostie, en me demandant à chaque fois si je devais la recevoir dans la main gauche ou dans la main droite, alors que je ne savais jamais distinguer ma gauche de ma droite, malgré tous mes efforts. L'hostie collait au palais. Je retournais à ma place en tentant de la décoller respectueusement avec ma langue, puis avec mes doigts.

Mon père finissait invariablement par ronfler pendant la messe. Peut-être qu'il travaillait trop fort. Il fallait néanmoins lui donner des coups de coude pour qu'il se réveille. Parce qu'il ronflait fort, voyez-vous, de quoi enterrer des orgues. Et je n'invente rien.

Puis venaient les derniers mots du prêtre. Allez en paix. Et youppi.

Le petit traintrain quotidien suivait son cours.

Et la culture avait raison peu à peu de la messe.

Plus j'allais à la bibliothèque et plus ma foi s'amenuisait.

J'ai commencé par croire que le christianisme des catholiques était feint et aussi hypocrite que la foi des pharisiens. J'étais un publicain qui se tapait la poitrine, en s'inventant des péchés, et les riches occupaient encore la première rangée pour montrer au peuple comme ils sont bons, bien habillés et près du Seigneur.

Les crottés, ça se tenait en arrière. Et je me sentais de plus en plus près des crottés. Je m'assoyais à l'arrière en prétextant à mes parents que j'aimais mieux m'asseoir là. Ils me laissaient faire. Comme ils me laissèrent aller quand je leur dis que je préférais l'office du dimanche, une ruse pour ne pas aller à l'église, pour aller dépenser la menue monnaie de la quête à la salle de billard de la rue Godbout, dans la P'tite Pologne. Je jurais dans le décor avec mes habits du dimanche mais personne ne m'en tenait rigueur.

Puis je suis tombé sur des livres d'histoire qui parlaient des tueries commises par des gens qui se disaient très chrétiens. J'ai lu sur l'Inquisition puis sur Galilée et enfin sur le génocide des aborigènes d'Amérique. Le coup de grâce a été porté par Jack London et le marquis de Sade qui m'ont fait passer du côté de l'athéisme.

Dès lors, je me suis mis à dire que Dieu n'existait pas chaque fois que mes parents voulaient me forcer d'aller à l'église.

-Tout ça c'est de la frime. Je ne crois pas en Dieu ni au Père Noël, désolé. La religion est l'opium du peuple. Etc.

Mes parents trouvaient que j'étais un mécréant mais que vouliez-vous qu'ils fassent? Ils baissèrent les bras. Et chaque fois que le curé venait à la maison, ma mère me priait de ne pas chercher à le provoquer. Ce que je faisais pourtant en lui parlant de l'Inquisition, de Galilée, d'Alexandre VI, du génocide des aborigènes d'Amérique...

-Baptiser sa chambre s'il-vous-plaît! demandait ma mère au curé.

Comme si ça devait changer quelque chose...

J'ai donc passé quelques années de ma jeunesse à jouer à l'anticlérical tout en étant totalement déphasé avec la plupart des membres de ma génération qui n'étaient presque jamais allés à l'église.

Puis je me suis calmé. Je voyais bien que je tirais sur une ambulance, que toutes les églises fermaient l'une après l'autre, que le temps du catholicisme était passé.

Ah! que c'est bon maintenant de flâner le dimanche sans se préoccuper de jouer au perroquet dans une salle qui sent trop l'encens, la moisissure et la boule à mites!

Ah! que c'est bon de ne plus être à genoux!

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