mardi 19 avril 2016

L'histoire en un clin d'oeil

Il y eut une époque où pratiquement personne ne savait lire et écrire.

Oh! Il y avait bien quelques fonctionnaires de Dieu pour enregistrer les noms de baptême et lire les textes sacrés dans une vieille langue qu'ils ne maîtrisaient d'ailleurs pas tout à fait. À cette époque, on avait déjà perdu son latin. Et le latin était devenu aussi obscur que cabalistique. Une langue pour formules magiques qui guérissait les malades ou bien enterrait les morts.

On lisait à voix haute dans les monastères, pour se donner l'illusion de comprendre quelque chose. Puis on parlait une langue mâtinée de n'importe quoi, une langue franque, une langue anglo-saxonne, une langue hispanique, une langue ibérique, une langue germanique, une langue italique. Tout ça au détriment du beau et noble latin tombé en désuétude depuis la chute de l'empire romain d'occident.

Il y avait bien de temps à autre des clercs qui finissaient par en savoir trop. Mal leur en prenait d'en parler aux autres. Ils devaient se retrancher dans la solitude sans espérer de communiquer leurs découvertes avec qui que ce soit.

Je vous le dis, c'était une sale époque. Une époque que les Angles et les Saxons ont appelé The Dark Ages, les Temps Sombres, c'est-à-dire le Moyen-Âge ou, à tout le moins, l'antiquité tardive.

Tout s'était effondré avec les invasions barbares. Les arts, les lettres, le théâtre, la peinture, la sculpture, la poésie, la médecine, l'astronomie, la philosophie: tout. Il n'était resté de Rome qu'un pape et beaucoup de discours vains sur le sexe des anges. Cette civilisation qui avait construit des égouts, des aqueducs, des ponts et des chaussées s'était faite remplacer par des forêts peuplées de loups et de brigands.

On aurait pu croire que la croix avait succédé à l'épée. Eh bien non! L'épée était tout autant brandie qu'auparavant et il ne manquait pas de têtes, de jambes et de bras coupés pour se le rappeler.

Le pouvoir ne reposait plus sur un ensemble de lois, de conventions et d'avocasseries. Il revenait au plus fort la poche.

Untel devenait roi. Son frère l'assassinait. Puis le beau-frère l'empoisonnait. La belle-mère poussait le beau-frère en bas de l'escalier. Un enfant montait sur le trône avec l'appui d'un régent qui bientôt noyait lui-même l'enfant pour devenir roi à son tour jusqu'à ce qu'un oncle le pourfende afin de porter lui aussi le sceptre et la couronne.

Tout se réglait à coups de hache et d'épée. Les curés s'arrangeaient pour bénir les haches et les épées. Et les années se succédaient dans toujours plus d'ignorance et de superstitions.

***

Puis il y eut une éclaircie. On inventa une machine à reproduire du savoir autant que de la niaiserie. Une machine qui s'appelait une presse à imprimer. Dix ans, cent ans passèrent. Et tout le beau monde se mit à apprendre à lire et à écrire par pur plaisir.

On imprima des Bibles, bien entendu, mais aussi des récits légendaires, des contes, des poèmes et même de la philosophie.

Bientôt, on n'eut plus besoin des fonctionnaires de Dieu pour assurer la transmission du savoir.

Des laïcs se mirent à disséquer des cadavres, à observer les étoiles et même à peindre.

D'autres entreprirent de monter des pièces de théâtre pour s'amuser tout aussi bien que pour faire passer de nouveaux messages afin de sortir des ténèbres.

L'épée et la hache poursuivirent leur carnage. Il s'ajouta même de nouveaux outils pour donner la mort. Pourtant, quelque chose avait profondément et durablement changé.

Tout le monde souhaitait avoir accès aux livres et même en écrire s'il le fallait.

Les fonctionnaires de Dieu réagirent mal à cette attaque contre leurs privilèges.

Ils tentèrent de monter des bûchers, de pendre ces fomenteurs de troubles et empêcheurs de prier.

Puis ils furent eux-mêmes ridiculisés et parfois même violemment défenestrés.

On imprima encore plus de livres.

On joua encore plus de pièces de théâtre.

Bref, plus rien n'arrêtait les Lumières.

***

Cinq cent ans sont passés depuis l'invention de l'imprimerie.

Nous en sommes maintenant à l'âge de la communication instantanée, à l'aube peut-être de la télépathie et des voyages interstellaires.

Il n'y a presque plus de fonctionnaires de Dieu. Seulement des fonctionnaires de l'État. Et quelques valets poussiéreux pour servir les monarques tout aussi anachroniques de notre temps.

Plus personne ne contrôle vraiment ce qui se dit ou se publie. Les journaux imprimés ferment l'un après l'autre. L'autoproduction gagne toujours plus de terrain dans tous les domaines. Les mensonges peinent à se mettre en valeur et côtoient trop facilement les vérités.

Les censeurs ne savent plus comment s'y prendre pour préserver les privilèges de la caste qui les emploie.

Et déjà, on anticipe la prochaine étape avec un mélange de crainte et d'espérance.

Nous vivons à une époque de transition.

Sera-t-elle heureuse ou malheureuse?

Je n'en sais rien.

Je ne suis pas devin.

Je ne suis qu'un plaisantin.

Un plaisantin qui sait lire, écrire et même observer les étoiles...



1 commentaire:

  1. " Les mensonges peinent à se mettre en valeur et côtoient trop facilement les vérités.

    Les censeurs ne savent plus comment s'y prendre pour préserver les privilèges de la caste qui les emploie. "
    Merci pour ces lignes d ' espoir et de clairvoyance , moi à qui il arrive de sentir le découragement -
    Et quand bien m^me Big brother prendrait le contrôle d ' internet , il nous resterait nos pinceaux pour écrire les vérités sur les murs , nos bouches et nos chants pour les dire sur les places publiques-
    J ' y pense souvent avec envie de le faire - et je me donne pour excuse ( inexcusable ) à ne pas le faire , de n ' avoir + 20 ans .
    Mais je suis bien là , bricolant comme je peux pour que soit ce que nous aimons et que batte en retraite ce que nous détestons -
    Ce jour arrive -
    Bonne journée à toi et aux tiens -

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