vendredi 18 février 2011

Rosalie ou De l'art de se trouver un emploi turlututu chapeau pointu

Il y a toutes sortes de conseils débiles sur l'art de se trouver un emploi. On dit qu'il faut faire ceci ou cela, dont se brosser les dents. Pour le brossage de dents, pas de problèmes. On se sent bien la bouche fraîche, que ce soit pour une entrevue ou pas. Et puis ça permet d'éloigner l'apparition du dentier.

Quoi qu'il en soit les bons conseils, ceux qui nous servent vraiment dans la vie, on les trouve généralement dans les bas-fonds de la société - à moins que l'on ne provienne pas des bas-fonds de la société bien entendu.

Pour le gars ou la fille des bas-fonds, on sait d'avance qu'il y a deux règles: une pour tout le monde et une pour les génies. Alors, aussi bien trouver un peu de génie sous peine de souffrir comme tout le monde.

Bien que cette logique soit intimement reliée aux instincts primaires, comme manger ou dormir, rien n'est plus sage que d'en tenir compte dans l'apprentissage des gens du peuple qui n'ont pas de piston ou bien d'intérêt dans le système capitaliste tant vanté par ceux qui dorment dans leur tour de stucco avec des systèmes d'alarme impeccables.

Dans les bas-fonds, c'est à peine si l'on barre ses portes tellement tout le monde finit par s'y foutre de tout. Bon... Laissons là l'étude sociologique, si vous voulez, et revenons à nos moutons noirs.

À notre brebis noire, plutôt. Rosalie qu'elle s'appelle. Rosalie, une fille de vingt-cinq ans qui porte généralement des anneaux dans le nez et des tatouages partout sur le corps. Elle est de Ste-Cécile, à Trois-Rivières. Née dans une famille pauvre et généralement pauvre. Un peu moins depuis un an puisqu'elle a décroché un bon emploi. Elle est géographe et elle fait de la cartographie pour une firme environnementale.

Rosalie a étudié à l'université en géographie. Elle a fait son bac par les soirs, en travaillant comme serveuse de nuit et de fin de semaine.

Rosalie se contrefout des conventions pas à peu près. Mais elle a compris qu'il fallait être plus rusée que les employeurs, qui ont tendance à s'attendre que l'on se présente à eux comme si c'était pour un quizz à la télé, d'avoir l'air d'une lasagne ou d'un pingouin juste pour leurs beaux yeux.

S'ils ne faisaient que vérifier l'état des dents, comme pour les chevaux, ce serait moins compliqué. Mais non! Il faut que le candidat remue pieds et mains dans un show de boucane destiné à convaincre l'employeur qu'il est le meilleur.

Rosalie a fait son show de boucane. Elle portait un tailleur noir, très sobre. Elle avait retiré ses anneaux du nez et s'était coiffée comme une matante. La matante et le mononcle qui la passèrent en entrevue furent ravis, sinon charmés par cette fille d'apparence si classique, si rigoureuse, si professionnelle.

Elle avait toutes ses trois qualités, mais elle n'en était pas moins rebelle, Rosalie.

Elle prit parti de survivre à trois jours de classicisme vestimentaire.

Puis, une fois qu'elle eut bien compris la job, elle se présenta sous son vrai jour, ressuscitée, avec ses anneaux dans le nez et ses tatouages bien en évidence.

Le mononcle et la matante furent stupéfaits de la voir ce matin-là. Rosalie s'était fait une coupe mohawk, verte qui plus est. Elle portait aussi un collier de chien au cou. Bref, elle jurait dans le décor sobre, classique et soporifique de la firme Écologik.

Rosalie n'en était pas moins la meilleure cartographe qu'ils aient vu de leur putain de vie. Elle faisait le boulot de trois personnes en trois jours. Et tout ce qu'elle demandait, pour ça, c'est qu'on lui laisse porter ses anneaux dans le nez.

-Y'a deux règles: une pour tout l'monde et une pour les génies! qu'elle leur a dit lorsqu'ils insinuèrent que son look pouvait faire fuir leurs clients.

Elle leur parla ensuite d'argent.

-Je vais vous coûter moins cher de toute façon. Je ne me décrotterai pas l'nez. Par contre, j'veux juste pas qu'on me fasse chier avec ma manière de m'habiller ou mon mode de vie. J'suis icitte pour travailler sacrament j'suis pas icitte pour porter un uniforme comme chez MacDo!

Bon, Mononcle et Matante étaient faits de bonne pâte. Et ils étaient aussi près de leurs sous.

Le monde et les temps changent. Une marginale dans l'entreprise, ça fait frais et dynamique. Un peu moins constipé. Aussi Matante se pointa un matin avec un collier de chien autour du cou et les cheveux dressés en pics mauves. Et Mononcle, aussi enfant que l'autre, se mit à porter son tee-shirt préféré de John Denver.

5 commentaires:

  1. Vraie ou inventée, cette anecdote est formidable. Cette fille-là serait sûrement une bonne chum à moi si je la connaissais ...

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  2. Cette histoire est vraie, bien entendu. C'est mon genre d'amis aussi.

    «Les seuls qui veulent rien savouère ce sont les braves p'tits moutons nouères!» Plume Latraverse

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  3. ça me botte ça ! c'est vrai quoi, marre d'être obligé de se laisser à la porte dès qu'on trouve un job, pis d'être obligé de se fourrer dans des chiffons qui nous ressemblent pas !

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  4. Peut-être que tu/vous connaissez? Plein de racoins et de choses qui interressent et questionnent les différentes formes de marginalités. Il y a des tonnes de Rosalie qui demandent pas mieux que de laisser vivre. Dans le deuxième site, il sont plusieurs à expliquer comment il y arrivent.

    La demeure du chaos et Thierry Ehrmans, voici 2 liens:
    Le site de la demeure
    Ici, la compagnie derrière

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  5. Oh! La,la,la, le paquet de "ils" sans "s"...et, encore, si ce n'était que cela!

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