Madame Labrie ne dit jamais un mot. La vieillesse l'a conduite au mutisme. Elle a vécu du travail de ses yeux. C'est une brodeuse hors-pair et une couturière qui valait bien dix machines en termes de production. Puis elle est tombée aussi vieille qu'aveugle. Du coup, elle n'a plus rien à dire. La vie s'écoule lentement entre le fauteuil et le lit et autres aires communes de sa résidence pour retraités. Elle peut encore marcher bien qu'elle n'y voie plus rien. En fait, elle n'a plus le goût d'aller nulle part. Ni de faire quoi que ce soit.
Madame Labrie ne se chicane avec rien ni personne. Il suffit qu'on la conduise un tant soit peu là où elle souhaite se rendre. Et c'est tout. Pour le reste elle se berce dans son fauteuil ou bien sommeille dans son lit.
À l'approche de Noël, Madame Labrie, qu'on n'entend jamais, se prend soudain de l'envie de chanter.
Pendant qu'on la conduit ça et là, il lui arrive d'y aller d'un Adestes Fideles ou bien d'un Dans cette étable un sauveur nous est né...
Les gens sourient sans méchanceté.
-Madame Labrie est de bonne humeur pour le temps des Fêtes! commente madame Albert, sa voisine de la chambre d'à côté, celle qui a un lutin de Dollarama ancré sur sa marchette ces temps-ci.
Les anges dans nos campagnes-heu
Ont entonné l'hymne des cieux-heu
Et l'écho-o de no-o-os montagnes-heu
Reprend ce chant mé-é-lodieux-heu
Glo-o-o-o-o-o-ria! In excelsis deo-o-o!
Y'a pas à dire. C'est le temps des Fêtes. Rien n'est comme d'habitude. Même à la résidence pour personnes âgées de Madame Labrie.
Ce n'est pas nécessairement la fête.
Mais il reste encore des chansons.
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