Bob est livreur à la rôtisserie Chez Ti-Poula. L'homme né en 1957 approche de la retraite. Il n'y est pas encore et travaille pour survivre, comme tout le monde.
Bob fume trois paquets de cigarettes par jour et il est tout constitué de nerfs. C'est comme si ce maigrelet était artificiellement maintenu en vie par le tabac. C'est du moins ce que tout le monde croyait jusqu'à ce que Bob attrape un fichu cancer de la gorge.
Du coup, Bob n'est plus livreur à la rôtisserie. Il n'est plus rien en fait. Il va retirer un chèque de chômage bientôt et en attendant il est sur le point d'aller mendier à l'aide sociale.
Bob n'arrive plus. Comme il n'a pas grand chose, il ne lui est pas difficile de lâcher prise. C'est le système qui le prend en charge depuis qu'on l'a emmené à l'urgence d'où le médecin de service diagnostiqua son cancer.
On l'envoie en convalescence à la résidence Gros Dodo parce qu'il est trop faible et surtout trop étourdi pour s'occuper de lui-même. Ses traitements en oncologie le foutent à terre. Il peine à se relever. Pourtant, Bob semble garder quelque chose comme le moral ou bien l'habitude de traverser de la misère.
C'est le convalescent le plus pauvre, le moins éduqué, le plus ignorant du point de vue des connaissances générales et tout. Pourtant, c'est un homme adorable, d'une gentillesse et d'une politesse exceptionnelles.
Alors que tous les autres patients semblent parfois aigris, pour ne pas dire acerbes, Bob en est l'antonyme vivant quant à leurs attitudes.
Bob est reconnaissant pour tous les services qu'il reçoit.
Il n'a que des mots gentils pour tout le monde.
Certaines employées africaines doivent parfois affronter le racisme larvé des patients qui parlent d'elles comme étant des négresses.
Bob, c'est tout le contraire. Pour lui, ce sont des déesses africaines. Et il leur dit ça sur un ton qui n'a rien de sexuel ni de condescendant. C'est dit comme ça lui vient, à Bob. C'est noble et sincère.
-Qu'est-cé qu'j'ai faitte au bon Dieu pour être servie d'même par des déesses africaines? Moé chu rien qu'un trou d'cul dans 'a vie... J'livre du poula...
-Voyons monsieur Bob! qu'elles lui sourient tout naturellement parce que Bob a de la classe malgré tout.
-Jamais j'aurais pu rencontrer d'aussi belles femmes qu'icitte... Quelle femme va s'intéresser à servir el déjeuner au litte à un gars qui sent toujours la maudite graisse à patates frites hein?
Bob est un rigolo, voyez-vous. Et tout le monde rigole avec lui sans malice aucune.
Bob n'a que des bons mots pour le personnel soignant.
-Icitte, chu servi é wane. É wane. Numéro un. Rien à dire. Sont toutte fins, toutte gentils, toutte... Pas de misère pantoutte... Une chance que j'vous ai Jésus, Marie, Joseph...
-C'est un plaisir d'servir un monsieur qui est plaisant... qu'on lui répond.
-Plaisantin! Oubliez qu'chu un plaisantin moé-là! Pis tabarnouche que c'est dur d'arrêter d'fumer... Maudit poéson... Qu'est-cé tu veux qu'on faize quand y'est trop tard, hein?
Bob, contrairement aux autres, ne parle pas de ses finances. Il est ruiné, comme d'habitude. Cela explique son silence à ce sujet.
Il se laisse aller.
Soixante-trois ans avec un cancer de la gorge virulent.
Il s'attend à subir une trachéotomie.
Et peut-être plus.
Mais à quoi bon s'agiter plus qu'il ne le faut?
-Ça va déjà assez mal à shop pour moé que s'i' faut que j'déprime en plus ça y'ira pas bin bin mieux... Pus capable d'avaler... M'en v'as vers un gavage... Hé saint-crèche! Qu'est-cé tu veux qu'on faize? On fait dur! Ha! Ha! Ha!
Bob regarde dehors. Puis regarde ses souliers. Puis regarde la télé.
Encore des films poches à TVA.
C'est mieux que rien.
-Je r'garde ces conneries-là d'paôfe-paôfe pis j'm'endors...
C'est Cours après moi Shérif 2 qui passe ce soir-là.
Un film vraiment poche, oui.
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