jeudi 22 février 2018

Une fleur dans les cheveux

Je suis peut-être condamné à récrire toujours la même histoire sous plusieurs formes. Comme s'il fallait inlassablement porter et livrer toujours le même message. Je ne suis certainement pas le premier à le dire. Et je ne serai pas le dernier.

Il m'arrive souvent de me référer au Docteur Jivago, tant pour le roman de Boris Pasternak que pour ce chef d'oeuvre cinématographique réalisé par David Lean mettant en vedette Omar Sharif, Julie Christie et Geraldine Chaplin. J'y vois la parabole d'un homme décidé à sauver des vies à une époque où la vie comptait pour si peu. J'y vois aussi la résistance du poète qui refuse de se laisser contaminer par la laideur de ce monde. Il sait qu'elle existe, comme la maladie, et il est prêt à la combattre, avec amour, avec passion.

Plusieurs scènes du film me sont demeurées en mémoire. D'abord la scène des funérailles. Youri Jivago vient de perdre sa mère. Il n'a pas dix ans. Tout lui semble mystérieux: le ciel, les nuages, la terre, la tombe de sa mère. Il est ailleurs, déjà, et y restera toujours. Dans la lune? Pas du tout. Il est au-dessus des contingences et souffrances de ce monde, là où il est possible de penser et de s'émouvoir.

Quand on me parle de révolution, je ne peux pas me détourner du Docteur Jivago. Du Docteur Jivago qui comprend qu'il faille combattre l'injustice de ce monde, partager, aimer son prochain. Et qui ne veut pas tuer pour ces raisons.

À l'instar de Walt Whitman, poète et infirmier pendant la guerre de Sécession, le Docteur Jivago ne passe sur les champs de bataille que pour ramasser les blessés et les soigner, peu importe le camp qu'ils ont adopté. Il soignera les Rouges autant que les Blancs.

Le film se veut aussi un rappel historique de la révolution russe de 1917. On y comprend le pourrissement de la situation sur le front. Les soldats étaient partis à la guerre dans l'enthousiasme en 1914. En 1917, après trois années de massacres et de privations, ils désertaient par milliers. Les généraux qui voulaient renvoyer de nouvelles recrues sur le front se faisaient descendre par les déserteurs et les nouvelles recrues rejoignaient la masse des révolutionnaires, de ceux qui croyaient que la guerre était une invention impérialiste et que les travailleurs n'avaient pas de patrie. On sent qu'à partir de ce moment, plus rien ne sera comme avant. D'où cette magnifique scène des soldats qui reviennent du front dans le film de David Lean.

Évidemment, comme c'est un film-culte pour moi je ne manque jamais de m'y référer pour toutes sortes de bonnes ou de mauvaises raisons.

Cette scène des soldats qui désertent le front me fait penser que nous sommes en guerre depuis le 11 septembre 2001 et que cela finit sans aucun doute par produire de plus en plus de déserteurs...

Je suis sans doute l'un de ceux-là.

Le boxeur Mohamed Ali avait une belle formule pour justifier son objection de conscience pour aller faire la guerre au Vietnam. Il disait que jamais un Vietnamien ne l'avait traité de sale nègre.

Cela me revient aussi en mémoire pour nos guerres néo-coloniales menées sur tous les continents. Les étrangers ne m'ont jamais traité de sale artiste plein de marde, gratteux de guitare et carré rouge, zinzinclusif et islamogauchiste, cosmopolite et le diable sait quoi encore.

Et je me dis qu'il faut sauver tout autant la poésie que les gens qui tombent sur les champs de bataille, en espérant que ça cesse de saigner une fois pour toutes.

***

Pour tout dire, je pense qu'on ne parle pas suffisamment de la paix ces derniers temps.

Qu'il faille arracher la tête de l'un ou de l'autre, on le sait déjà. Et ça ne mène à rien.

On doit reprendre la toile là où le fil s'est cassé.

À mon avis, il ne s'est rien fait de mieux en Occident que le mouvement d'opposition qui a mis fin à la guerre du Vietnam, mouvement qui a aussi nourri d'autres mouvements pour les droits civiques par ricochet.

Cette ironie bienveillante, ces fleurs dans les canons et ces love-in doivent revenir à l'avant-scène.

Notre époque est infiniment triste, conformiste et chloroformée.

Il lui faudra de puissants stimulants spirituels pour nous extirper de sa médiocrité.

Je pense que nous sommes mûrs pour de grandes marches pour la paix. Mûrs pour de la folie. Parce que la logique froide des raisonneurs patentés va tous et toutes nous achever jusqu'au dernier.

Nous sommes mûrs pour déserter les guerres néocoloniales et l'esprit malsain qui l'accompagne dans la gestion des affaires humaines.

Peut-être que je suis trop poète.

Trop près du Docteur Jivago et autres personnages romanesques.

Dans la vraie vie, voyez-vous, on tue et laisse tuer sans sourciller.

On essaie de ne pas marcher sur les viscères qui baignent dans le sang des massacrés.

On ne se met pas à chanter la paix avec une fleur dans les cheveux...

Eh bien si c'est la vraie vie, je ferai comme Jivago. Je contemplerai le ciel, les nuages et la terre -et j'écrirai des poèmes d'amour.

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