mercredi 14 juin 2017

Le dentier de Jack London et autres propos décousus

Ce matin je renonce à écrire un texte qui pourrait changer le monde...

Vous ne m'entendrez pas vous parler de colonialisme, d'impérialisme, de socialisme ou bien de terrorisme.

C'est presque l'été et la vie est douce. Les poissons sautent dans les rivières. Les fraises des champs arrivent sur les comptoirs.

Vais-je me taire pour autant? Vous savez bien que non. Je suis un vrai moulin à paroles. Plus j'écris et plus je me rends compte que je n'ai encore rien dit. Pourquoi tant parler, tant écrire? Parce qu'à force d'avoir fait mes gammes je veux composer des symphonies. Seraient-elles pathétiques qu'elles auraient au moins le mérite d'exister. Comme si cette vie que je prêtais aux mots prolongeait ma propre existence ou lui conférait à tout le moins plus de densité.

Et maintenant, qu'en est-il du dentier de Jack London? Soyez patients, je vous en prie, chers lecteurs et lectrices. Nous y viendrons bien assez vite.

***

Avant que de vous parler du dentier de Jack London, l'écrivain le plus célèbre et probablement le plus riche du vingtième siècle, avec peut-être Léon Tolstoï, je me dois de vous rapporter des propos décousus sur mes dernières vingt-quatre heures.

Il faisait chaud et humide hier. Je m'en allais au soleil sans casquette.

-Qu'est-ce que tu fais en plein soleil pas de casquette? me signifia une personne que j'ai connue dans mon enfance.

-Je ne porte jamais de casquette.

-Tu ne te mets pas de lotion à bronzage contre les coups de soleil?

-Non.

-Tu pourrais attraper le cancer.

-J'ai l'impression que j'attraperais le cancer si je me mettais de la lotion composée de je ne sais trop quelle merde chimique...

J'ai poursuivi ma route en plein soleil et sans casquette.

J'ai failli me faire écraser au moins trois fois par des automobilistes qui croient que les piétons devraient seulement emprunter la piste cyclable. Je suis demeuré zen autant que faire se peut avec ces abrutis. Il faut les comprendre. Ils sont tellement pressés, assis dans leur boîte de conserve à l'air climatisé. Comment un piéton peut-il se permettre de traverser la rue quand ces seigneurs du progrès sont sur la voie asphaltée? Pourquoi, d'ailleurs, y'a-t-il des passages piétonniers alors que le virage à droite sur feu rouge est autorisé? Quelques coups de klaxon et les abrutis de la droite jambon vous font savoir que vous êtes de trop dans leur monde de hyènes où les valeurs humaines ne comptent pour rien du tout.

***

Parlant de valeurs humaines, je ressens profondément la misère des gens. Je n'y trouve pas nécessairement de solutions. Mais cela me prend au coeur, puisque j'en ai un, justement.

En poursuivant ma promenade de bipède j'ai croisé une jeune dame noire. Elle avait les cheveux teints en blond. Les traits de son visage étaient jolis mais ses yeux étaient perdus dans les vapes.

Je scattais un air de jazz lorsque je l'ai croisée.

-Doubidou bidou bidouwap! faisais-je.

-Tu m'as-tu dit què'que chose? me demanda la Noire avec un fort accent québécois.

-Non. Je chantonnais.

-Aurais-tu trois piastres à m'donner?

-Non. Je n'ai rien. Désolé.

Et c'était vrai. Je n'avais pas de monnaie. Rien.

-Ouin bin j'entends d'quoi résonner dans tes poches... continua-t-elle.

-Ce sont mes clés...

-Voudrais-tu que j'te suce icitte dans l'fond d'la cour pour un paquet d'cigarettes? me dit-elle tout de go.

-Non merci, j'essaie d'arrêter...

Elle poursuivit son chemin en quête de trois dollars ou bien d'un paquet de cigarettes.

Une vie de misère parmi tant d'autres qui traîne sur les trottoirs de Trois-Rivières.

***

J'ai reçu en soiré la visite de l'un de mes meilleurs amis.

C'est un gars qui n'a rien d'une personne institutionnalisée qui viendrait vous écorcher les oreilles avec sa croyance en quelque chose qui vous écrase et vous rend la vie insupportable.

Je lui ai d'ailleurs signifié qu'aucune personne institutionnalisée ne fait partie de mon cercle d'amis, lequel n'est pas très large pour tout dire. Le contraire eut étonné...

Tous mes amis ont ceci en commun d'être des marginaux, des personnes qui cherchent une manière de vivre qui ne cadrent pas avec la norme socialement reconnue. S'ils ne sont pas des artistes, ils les tiennent en haute estime. Ce sont tous des gens qui vous donneraient leur chemise même si elle est sale et décousue. Ils ont tous en commun cette ironie et ce goût de vivre par-delà les discours creux des donneurs de leçons.

Cet ami, appelons-le Robert Rebselj, alias Robbob, n'est pas seulement qu'un musicien parmi tant d'autres. Ce Winnipégois d'origine judéo-serbo-croate est aussi un solide lecteur doté d'une mémoire exceptionnelle.

C'est là qu'intervient, bien entendu, le dentier de l'écrivain Jack London.

C'est que Robbob est en train de lire une biographie à propos de cet écrivain qui fut d'ailleurs mon premier coup de coeur littéraire. C'est le premier auteur dont j'aie lu les oeuvres complètes.

Ne me demandez pas quel est le nom du biographe ni le titre de cette biographie. Robbob me l'a dit mais je ne m'en souviens plus. Par contre, son anecdote était savoureuse.

Cela se passe en Corée lors de la guerre russo-japonaise de 1904-1905. La guerre vient d'être déclarée et Jack London y voit une occasion d'écrire un reportage pour faire un coup d'argent. Il s'achète donc un bateau et s'y rend tout fin seul pour en avoir le coeur net.

Il s'installe dans un hôtel, quelque part en Corée, non loin du front j'imagine.

Or, sa réputation le précède. Jack London est l'un des écrivains les plus lus de son temps. C'est une célébrité pour tout dire. Nous sommes encore à l'époque où l'on ne possède ni radio ni téléviseur pour se distraire.

Trois milles Coréens se sont rassemblés devant la chambre d'hôtel de Jack London.

London se dit que c'est la rançon de la gloire et se présente sur le balcon, devant la foule. Il en profite pour leur faire un long discours sur le socialisme.

-Et patati le socialisme, et patata la révolution prolétarienne...

Personne ne réagit dans la foule. Tout le monde semble indifférent à son discours.

Puis un Coréen s'approche de London pour lui expliquer pourquoi 3000 Coréens se trouvent debout devant lui.

C'est qu'ils ont entendu dire que Jack London aurait un partiel dans la bouche, ce qu'ils n'ont jamais vu et aimeraient bien voir au moins une fois dans leur vie.

Jack London, bon prince, cesse son discours socialiste et brandit fièrement son râtelier après l'avoir extirpé de sa bouche.

Tous les Coréens se mettent à l'applaudir à tout rompre!

Jack London brandit son partiel plusieurs fois du haut de son balcon, comme si c'était un appel à la révolution, et toujours les Coréens l'applaudissent et en redemandent!

Voilà le genre d'anecdotes que collectionne Robbob et lui vaut le malheur d'être mon ami.

Je ne serais pas surpris que ce soit pour lui le passage le plus important de la biographie de Jack London. Ça l'est déjà pour moi aussi.

Ce genre d'histoire insensée a, somme toute, une plus grande portée philosophique que les tenants et aboutissants de la guerre russo-japonaise de 1904-1905.

Vous pourrez croire que nous sommes insignifiants.

Sans doute que nous nous en moquerons puisque nous le sommes tous, insignifiants...

Nous nous sommes ensuite moqués de la politique québécoise, canadienne et états-unienne après avoir bien rigolé à propos de cette anecdote tirée de la vie de Jack London, l'écrivain le plus lu de son temps qui avait un beau partiel en bouche pour ne pas avoir l'air d'un édenté.




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