Cela fait des années que je l'observe grandir sans rien dire à son
sujet. Je devrais peut-être continuer de me taire mais ce serait
mal me connaître. Je suis un Trifluvien, un citoyen d'une petite ville
portuaire de la vallée du grand fleuve Magtogoek (anciennement Saint-Laurent).
Et comme tout Magtogoekien, je suis de ces gens de paroles chanté par Gilles Vigneault.
Je ne dirais pas
que je suis un moulin à paroles, mais je ne suis certainement pas muet ou
taciturne. Tout devient pour moi une occasion de raconter. Tant et si bien que
j'ai été contraint d'ouvrir mon blogue il y a neuf ans afin de déverser ce
trop-plein d'impressions et d'expressions continues. Si je ne l'avais pas fait,
je me serais certainement noyé avec mes propres paroles. Ou bien je serais
devenu ce que je ne suis pas. Ouvrir cette parenthèse, quoi qu'il en soit, est
dès lors une mauvaise idée...
Oui, je l'avoue, je
souffre de la manie de raconter tout ce que je vois. Un peu moins de ce que je
ressens. Mes émotions sont mon jardin secret. Il m'en faut bien un pour me
reposer de moi-même.
Où en étais-je? Ah
oui! Je devais vous parler d'un arbre.
Et pas de n'importe
quel arbre, non. Il s'agit d'un arbre qui croît tout fin seul au beau milieu
d'un stationnement parsemé de quelques touffes de pissenlits et de mauvaises
herbes. Tout le reste de l'espace est consacré à l'asphalte, au gravier et aux
voitures.
L'arbre en question
est probablement un frêne qui doit avoir plus d'une cinquantaine d'années.
C'est l'arbre qui apparaît ici, en exergue de ce billet.
Personne ne l'a
planté là. C'est un lointain descendant des frênes du Parc Pie-XII situé à
quelques centaines de mètres du stationnement. Un jour une semence fût emportée
par le vent et elle vint atterrir là, au beau milieu du stationnement d'une
ancienne usine de fabrication d'appareils ménagers.
Au début, ce
n'était qu'un petit fouet à deux ou trois feuilles. Puis le petit fouet a
continué à croître comme si de rien n'était. Il est devenu un arbrisseau.
Ensuite un petit arbre. Les années passèrent et des employés installèrent une
table de pique-nique près de son tronc pour profiter un tant soit peu de
l'ombre de son feuillage.
On aurait pu
l'arracher, le couper, s'en débarrasser pour faire un stationnement de plus.
Mais non. Les
humains, si stupides par moments, n'ont rien fait. Et le petit frêne est devenu
ce grand frêne qui trône tout seul au milieu de cet affreux stationnement.
Cela fait deux ans
que je me dis qu'un jour j'allais le photographier pour vous raconter son
histoire, que j'imagine bien plus que je ne la connais vraiment.
Ce moment est
arrivé hier.
J'ai immortalisé ce
frêne, symbole de résistance dans un secteur où l'on a coupé des milliers d'arbres l'an passé. Tout ça pour que Trois-Rivières soit encore moins verte,
avec plus d'espaces de stationnement et plus de commerces. Toutes ces coupes
sauvages pour vendre toutes sortes de trucs dont on n'a pas besoin qui finiront
sans doute au dépotoir comme tous les invendus du capitalisme anarchique.
Cet arbre-là, chers
lecteurs et lectrices, j'aime penser qu'on se comprend lui et moi.
On ne se parle pas
vraiment, mais il semble m'en dire bien plus long que le stationnement, les
voitures et les taches d'essence.
Ce frêne est
l'unique représentant de la beauté sur plusieurs mètres carrés avec les
pissenlits qui ne sont là que le temps d'une ou deux saisons.
Si quelqu'un ose le
couper, je vous jure qu'il aura affaire à moi.
À moins que je ne
me taise, comme je l'ai fait pour les milliers d'arbres qu'on a coupés
récemment tout autour.
Mille arbres en
moins: des tas d'oiseaux et de mammifères en déroute, déportés par le progrès,
laissés pour morts un peu partout de chaque côté de cette rue Bellefeuille qui
porte si mal son nom.
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