Le silence et
l’inaction ! Peu d’hommes arrivent à comprendre leur efficacité.
Lao Tseu, Tao-Tei-King, Chapitre 43 (traduit par Léon Wieger)
Firmin
Il ne portait jamais de chapeau, même lorsqu’il pleuvait.
On disait de lui qu’il était un saltimbanque, alors qu’il ne l’était pas du
tout. Son nez était rond et plusieurs le désignaient sous le sobriquet de Nez
Aquilin. Sa vie était un insondable quiproquo. Rien ne se passait jamais comme
il l’aurait fallu dans sa vie. Il détestait les mathématiques et le hockey.
Pourtant il gagnait sa vie à produire des statistiques pour des paris de hockey.
Ce qui fait qu’un jour il s’est fatigué de tout ça.
Il a vendu tous ses trucs et est devenu astronaute.
Aucun pays n’a encore retenu ses services, mais il s’en
fout pas mal.
-L’important c’est de faire ce que l’on aime. Et si l’on
ne peut pas le faire, il n’y a rien de mal à ne rien faire.
Il ne porte pas plus de chapeau de nos jours qu’il ne le
faisait par le passé.
On dit encore de lui qu’il est un saltimbanque alors qu’il
ne l’est pas du tout.
Son nez rond n’intéresse personne.
J’oubliais de vous dire qu’il s’appelle Firmin
Grandmaison.
Ce n’est pas un beau prénom, Firmin.
Chaque fois qu’il se nomme, on lui demande de répéter.
-Comment vous dites?
-Firmin! Je m’appelle Firmin!
-A-t-on idée de s’appeler Firmin! Ha! Ha! Ha!
-Très drôle…
Comme quoi les gens sont tout autant impolis que
détestables.
O-di-ail-ho!
-O-di-ail-ho! qu’il gueulait. O-di-ail-ho!
Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier?
D’abord, cela voulait dire qu’il gueulait. Pour ce qui
est du sens à donner à ses hurlements, il fallait s’en remettre aux traits de
son visage.
Aussi caricatural que cela puisse sembler, ce type avait
l’air d’un panier d’osier défoncé. On ne lui aurait pas donné une pomme. Son
regard fuyant et ses bras malingres n’avaient rien d’accueillant. Pour ajouter
un peu plus de misère à ce tableau, il passait toutes ses journées à gueuler O-di-ail-ho!
Il avait exactement vingt-huit ans, trois mois et quatre
jours. Personne n’avait célébré son anniversaire puisqu’il vivait seul, isolé
et solitaire. Le facteur lui-même ne savait pas qu’il existait. C’est à peine s’il
constatait que le courrier était ramassé tous les jours même si le logement
était laid, miteux et malodorant. Le facteur, un grand gaillard qui
boitait de la jambe gauche, ne s’étonnait jamais de rien.
-Take the money and
run! qu’il disait, le facteur.
Et le facteur courrait dans tous les bars de la ville
chaque fois qu’il recevait son salaire.
Le gars qui gueulait O-di-ail-ho n’avait pas d’occupations
connues. Il ne vivait pas de l’aide sociale puisqu’il ne recevait jamais de
courrier le premier du mois, bien qu’il eût très bien pu être inscrit au
programme gouvernemental de dépôt bancaire automatisé. Il est tout aussi
possible d’affirmer qu’il n’avait pas d’hélicoptère puisque la majorité des
habitants de son quartier n’en avaient pas. S’ils en avaient eu un, cela se
saurait. Il y a tellement de commères dans ce quartier-là que l’on vient te
voler la gomme jusque dans ta bouche.
Hier, un malpris qui travaille une fois par dix ans pour
le recensement s’est présenté chez-lui pour en savoir plus à son sujet.
-Bonjour monsieur, qu’il lui a dit, je m’appelle Firmin
Grandmaison et je travaille pour le recensement.
-O-di-ail-ho! lui répliqua le gars en forme de panier d’osier
défoncé.
-Êtes-vous né au Canada?
-Non. Je suis né à Notre-Dame-du-Mont-Carmel.
-Donc, vous êtes né au Canada?
-Non. À Notre-Dame-du-Mont-Carmel.
-À Notre-Dame-du-Mont-Carmel près de Saint-Louis-de-France
et de Shawinigan-Sud?
-Oui.
-Donc, vous êtes né au Canada.
-O-di-ail-ho!
…
Je vous priverai du reste de la conversation. Elle fût
plutôt facétieuse et sans intérêt. Vous finiriez par m’en vouloir de ne m’intéresser
qu’à des personnages tertiaires et pire encore.
Il
ne faut jamais dire crevette
La mer est belle quand l’eau se fait le miroir d’un ciel
bleu que l’on contemple au-travers du goulot d’une bouteille.
Paul Paillé était un alcoolique notoire qui tentait tant
bien que mal de maintenir son anonymat en buvant sur des plages désertées. Il
buvait surtout du Saint-Georges, un porto que l’on achète à vil prix à l’épicerie
de son village perdu au milieu de nulle part.
Une fois fin saoul, il rotait, beaucoup et très fort.
Les hérons et les mouettes lui répondaient parfois.
Sinon, il se contentait du bruit des vagues qui, comme on
le sait, ne produisent jamais d’écho.
Paul Paillé se fit prendre à ce jeu l’un de ces jours où
il rotait tout son soûl.
-Barrrrrp! qu’il faisait en se fermant les yeux. Barrrrp!
-T’as pas fini d’roter hostie d’vieux cochon? qu’une voix
pas trop féminine lui répondit.
C’ était la voix de sa cousine, Rita Paillé, une
mastodonte qui occupait la fonction de pompier volontaire. Elle aurait voulu
devenir reine du tennis mais elle n’avait pas de raquette. Ce qui fait qu’elle
devint pompier volontaire puisque personne ne s’était porté volontaire.
-Qu’est-ce que tu fais icitte dans l’boutte Rita?
-J’sais pas. Rien. Pis toé, vieux creton?
-T’en veux-tu une gorgée? dit l’ivrogne en lui tendant sa
bouteille de Saint-Georges.
-Non! qu’elle lui répliqua en balançant un solide coup de
pied sur la bouteille qui revola jusqu’au diable vauvert.
Paul Paillé ne fit rien. Il avait sans doute assez bu.
Pour toute réplique, il tomba tête première sur le sable chaud.
Rita poursuivit son chemin sans en dire plus, marchant
lentement sur la plage à la recherche d’un feu ou bien d’un incendie.
Le soir même, lorsque Paul Paillé sortit de sa torpeur,
il était rouge comme un homard.
Il avait attrapé un solide coup de soleil dans le dos
ainsi que sur la plante des pieds.
-Crevette! qu’il déclara dans son patois d’alcoolique
fini. J’vais devoir me mettre d’la graisse Crisco dans l’dos pis en d’sour des
pieds!
La Lune commençait à briller au-dessus de lui. L’étoile
du berger aussi. Firmin Grandmaison passait par là et lançait des cailloux dans la mer.
Tout ce qui brille n’est pas de l’or.
Et Paul Paillé, voyez-vous, ne brillait jamais.
Jamais.
Non, jamais.
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