Réaliser un
film sur la vie d’un écrivain est un défi de taille. D’autant plus si cet
écrivain avait une vie intérieure intense. Je ne sais pas si la vie de Tolstoï
ou Dostoïevski a été présentée à l’écran. Je ne me donnerai même pas la peine
de googler ça. J’imagine que oui. Si j’avais à le faire, ce qui n’arrivera
jamais fort heureusement, il est certain que je présenterais d’entrée de jeu
les vices et les turpitudes de jeunesse de ces deux grands géants de la
littérature russe. Il y aurait des casinos, des dettes par-dessus la tête, de
la vodka qui coule à flots, des baises à n’en plus finir et des atermoiements
stupides. Puis on passerait à la maturité, à l’écrivain revenu de tout ça qui
cherche un fondement moral à la société pour guérir son foie malade.
Hier, je
suis allé voir Anton Tchekhov -1890,
le dernier film de René Féret. C’est son
dernier film puisqu’il est mort le 28 avril 2015. Je connais peu ce cinéaste.
Je me souviens vaguement d’avoir vu son film Le mystère Alexina, l’histoire d’une institutrice qui tombe en
amour avec une autre institutrice. L’action se passe au XIXe siècle. Et
Alexina, l’institutrice, est en fait un homme… Une femme qui ne savait pas qu’elle
était un homme. Enfin, un truc comme ça.
J’ai
beaucoup lu et relu Tchekhov au cours des dernières semaines. Je l’avais lu
sans vraiment le comprendre lorsque j’avais vingt ans. Je l’ai redécouvert dans
la trentaine après avoir lu Salle 6,
l’un de ses meilleurs récits selon moi. Je l’ai lu de plus en plus
régulièrement dans la quarantaine, comme si Tchekhov, qui est mort à 44 ans, s’adressait
naturellement à cette tranche d’âge.
Pour ce qui
est du film, comme de tout film qui se rapporte plus ou moins à Tchekhov, j’ai
souvent l’impression qu’on laisse un peu de côté l’aspect comique de cet auteur
qui, comme tant d’autres écrivains russes, est sorti du récit Le manteau de Gogol. Je ne me doute pas
que Tchekhov était un homme sérieux. Mais aussi sérieux que ça? Je me pose des
questions…
Le film est
assez fidèle à la trajectoire de Tchekhov. Ce médecin écrit d’abord et avant
tout pour entretenir sa famille. Ses petites histoires sur lesquelles il passe
rarement plus d’une journée sont du divertissement pur. Néanmoins, elle possède
ce petit quelque chose qui les fait vivre longtemps dans votre tête après les
avoir lues. Ce petit quelque chose qui s’appelle du génie.
Un éditeur
et un écrivain russes le remarquent et lui offrent un contrat juteux. Tchekhov
n’abandonne pas la médecine pour autant. Il écrit ses nouvelles, pratique sa
profession médicale et veut laisser sa marque par de bonnes actions, encore
plus que par de bons récits. Ce qui fait qu’on le retrouve bientôt sur l’île de
Sakhaline, en Sibérie, où il enquête sur les mauvais traitements que l’on fait subir
aux prisonniers qui y sont relégués. Tchekhov
n’est pas qu’un écrivain à succès ou bien un docteur respectable. Il tient
aussi à apporter sa contribution à la cessation des misères et souffrances de
son peuple.
Contrairement
à Tolstoï, qui l’a passablement inspiré au début de sa carrière d’écrivain,
Tchekhov n’a pas ces accents de délires mystiques du patriarche de Iasnaïa Poliana.
Tchekhov ne se réfère pas à Dieu, ni à l’amour, ni à quoi que ce soit pour
justifier les bonnes et belles actions. Peut-être possède-t-il un sens prononcé
du devoir et du travail qui lui fait mépriser le cynisme tout autant que le
nihilisme. Rébarbatif à toute forme d’autorité, qu’elle soit politique ou
morale, Tchekhov n’obéit qu’à son cœur, lequel est plutôt froid selon ses
dires, alors qu’il vaudrait mieux dire qu’il n’est pas expansif.
Pour ce qui
est du film, il est à la hauteur des pièces de théâtre de Tchekhov. L’action y
est un tant soit peu secondaire. René Féret suggère un regard introspectif sur
cet homme bientôt atteint de tuberculose, comme son frère mort quelques années
plus tôt, et qui se sait lui aussi condamné au même sort.
Le film ne
peut pas tout raconter. Il laisse en blanc la jeunesse de Tchekhov ainsi que
les derniers mois de sa vie où il s’était finalement marié avec une actrice de
théâtre, lui qui tout au long du film ne cesse de parler contre le mariage.
J’ai
apprécié ce film. Il ne fait pas honte à l’œuvre de Tchekhov. Il est à la
mesure du théâtre de Tchekhov. Un peu moins à l’univers de ses nouvelles.
Pour ceux
qui habitent Trois-Rivières, il est encore possible de le voir au Cinéma LeTapis Rouge jusqu’à la fin du mois. Pour les autres, j’imagine que vous vous
débrouillerez bien sans moi pour le visionner.
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