mardi 6 août 2013

Une histoire de surpêche à la barbote dans le secteur du Cap-de-la-Madeleine

Celle-là, vous ne la croirez jamais. D'aucuns d'entre vous se diront qu'il y anguille sous roche. Et vous aurez beau soulever n'importe quelle roche sur laquelle repose ce misérable texte que vous n'y trouverez rien, ni anguille, ni ver ou bactérie du précambrien. Rien vous dis-je. Parce qu'il arrive que les roches soient vraiment un milieu hostile à la vie quand... heu... bah mettons quand elles reposent sur un truc si toxique  que les barbotes ne voudraient pas y nager.

Et pourtant, c'est bien dans cette eau corrompue que Jos Quétaine avait coutume d'aller pêcher de la barbote, sans qu'il n'y ait anguille sous roche.

On le surnommait Jos Quétaine parce qu'on ne savait pas vraiment son nom et personne ne s'expliquait pourquoi on le désignait ainsi. Je suppose que c'était le lot de tout homme qui vivait dans le secteur de la papetière Waya-Gamache que de porter un surnom, histoire d'oublier que l'air était toujours empuanti par des odeurs de soufre et d'oeufs pourris, cadeau de la révolution industrielle. Pour dire vrai, les habitants du coin disaient que ça sentait fort la marde mais qu'avec le temps on s'habitue à tout, même à vivre dans la marde.

Jos Quétaine était un grand homme sans bédaine et un peu chauve. Il pêchait pratiquement dans la marde, à deux ou trois cents pieds d'un gros tuyau qui déversait toutes sortes de produits chimiques dans la rivière Tapiskwan Sipi. Comme il n'écoutait jamais la télé ou la radio ou les journaux, Jos Quétaine allait pêcher tous les jours de la barbote dans ce coin-là. Et il en attrapait tout le temps, vrai comme je vous le dis, parce que les barbotes ça vivrait même là où il n'y a pas anguille sous roche.

Et il t'en pêchait encore et encore de la barbote, tous les jours, tout le temps, depuis au moins vingt-huit ans, et même que c'était son seul repas, tous les jours, tout le temps, parce qu'il buvait tout son argent. Enfin, c'est ce qu'on se disait entre nous. Pourquoi un type mangerait-il de la barbote tous les jours, hein?

-J'aime ça d'la barbote, qu'il disait. J'en mange tout l'temps, tous 'es jours!

Un jour, Jos Quétaine est devenu fou. Fou comme de la marde. Il s'est mis à se promener avec un drôle de chapeau sur la tête en la personne d'une barbote éviscérée solidement attachée sur son occiput avec deux ou trois tours de masking tape.

Les médecins prétendirent qu'il s'était intoxiqué au mercure en mangeant trop de barbotes. Jos Quétaine acquiesça sans pour autant hésiter à leur demander un verre d'eau ou bien un verre de bière.

Ils lui refilèrent des pilules de toutes sortes de grosseur et le renvoyèrent dans une résidence pour personnes à capacités mentales réduites pour le restant de ses jours.

Heureusement que cette résidence était située à deux pas du lieu où Jos Quétaine a toujours pêché de la barbote.

Il fût donc loisible à Jos Quétaine, d'une certaine manière, de s'imaginer en train de pêcher de la barbote puisqu'il voyait bien son spot de pêche de la terrasse où on le tenait assis dans une chaise sous contentions.

On a retrouvé le nom de Jos Quétaine entre temps. Il s'appelle maintenant Monsieur Eugène-Lucques Salvat-Baratin.

Il y a encore plus de barbotes qu'autrefois puisque l'unique prédateur des lieux, Monsieur Salvat-Baratin, ne bouge plus que pour taquiner les préposés.

Comme un bonheur n'attend pas l'autre, il y a de la barbote au menu pour souper. Eugène-Lucques en a les yeux révulsés de plaisir et de contentement. Les journées ne sont pas toutes faciles. Mais quand la barbote se met de la partie, Jos Quétaine répond encore et toujours présent!




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