vendredi 8 mars 2013

La première leçon d'amour de Ernst Wadek

Ernst Wadek n'avait jamais connu l'amour. D'aussi loin qu'il se souvienne, il n'avait jamais ressenti ce qu'on doit probablement appeler l'amour. L'amour qui s'apparentait à de l'ivresse mentale ou bien de la folie pure pour Ernst. Ce qui fait qu'il tenait l'amour pour une illusion. Et comme l'amour ne venait pas vers lui, tant psychiquement que physiquement, Ernst se mettait à crâner sur les beaux sentiments tout autant que sur la Création dans son ensemble.

-Ha! Ha! Vous me faites rire avec vos histoires d'amour! Tout le monde se déteste! Tout le monde s'entretue! Tout le monde se découpe en rondelles!

Ernst voulait aussi dire que personne ne s'intéressait vraiment à lui, mais ça ne se disait pas.

Ernst n'était pourtant pas tout à fait laid. Et même qu'il y a des laids qui avaient nettement plus de succès avec les filles, tout simplement parce qu'ils se croyaient beaux quoi qu'on en médise. Donc, Ernst n'avait pas d'excuses pour vivre ainsi à l'écart de l'amour. Il devait donner à la cause, comme tout le monde, nah!

Et l'amour finit par lui tomber dessus sous la forme d'une fille qui lui disait bonjour tous les jours, une fille qui attendait l'autobus avec lui. C'était même plutôt une femme. Elle était étudiante et faisait des travaux de couture à la maison pour joindre les deux bouts. Elle avait remarqué que notre pauvre Ernst ne savait pas quoi faire de ses bas de pantalon. Il en faisait de gros renforts de matelots plutôt moches. Elsie, puisqu'elle s'appelait ainsi, était une fille beaucoup trop gentille qui souriait et disait bonjour à tout le monde. Ernst croyait qu'elle ne souriait qu'à lui. Et ça lui montait à la tête d'autant plus qu'elle lui avait donné sa carte, avec son numéro de téléphone, au cas où il voudrait faire coudre ses bas de pantalon. Et depuis il ne voyait plus que ses doigts parcourir chaque couture de son pantalon. Et ça le rendait écumant de passion.

Arrivé chez-lui, Ernst contempla longtemps la carte d'affaires de la gentille Elsie. Puis il la renifla, espérant capter un parfum d'elle. Et enfin, il lui donna un doux baiser, puis un baiser plus féroce et quelque chose d'encore moins racontable pour nos chastes oreilles.

Il se mit dans l'idée de lui déclarer son amour. Si, si, son amour... Ernst ressentait l'amour pour la première fois de sa vie. Un amour tellement intense qu'il ne pouvait faire autrement que de téléphoner Elsie pour lui dire simplement combien il l'aimait...

Évidemment, ce n'est pas la meilleure stratégie qui soit pour une conquête. L'inexpérience de notre pauvre Ernst était manifeste. Et pour amoindrir cette inexpérience, quoi de mieux que de boire un bon coup.

Ernst cala d'un trait une bonne gorgée de Capitaine Morgan. Puis une autre. Et encore une autre. Il buvait comme un trou, la main tremblante devant le téléphone, incapable de composer le moindre numéro. Il continua de boire, encore et encore, puis il perdit conscience, avec la carte d'affaires de Elsie toujours bien en main, comme s'il s'agissait d'un talisman.

Douze heures passèrent. C'était un samedi matin ensoleillé. Ernst se réveilla dans ses vomissures, une bouteille vide devant lui.

Il se sentait tellement merdique qu'il conclut que c'était maintenant ou jamais.

Il s'empara du téléphone et composa le numéro de téléphone de Elsie: 8-1-9-3-7-6...

Cela sonna au bout du fil. La voix de Elsie lui répondit.

-Bonjour, c'est Elsie. Que puis-je faire pour vous?

-Bon...jour... c'est Ernst Wadek...

-Ernst quoi?

-Ernst Wadek... Nous nous sommes rencontrés à l'arrêt d'autobus hier matin... Tu... tu... tu m'as remis ta carte d'affaires... pour mon bord de pantalon...

-Ah oui! J'me souviens d'toi... T'as des gros renforts de matelots, haha! Tu veux que je t'arrange ça mon ami?

-He... ben... C'est parce que j'veux... ben...

-Quoi?

-Je voulais te dire que... que je t'aime.

-...

-Je t'aime... Je t'aime Elsie!!!

C'était la première fois que Ernst disait ça à une femme, voire à un être humain.

C'était comme si la tête allait lui exploser. Il s'étonnait lui-même de lui dire ça. Et il se sentait épuisé comme un marathonien rien que d'y penser.

-Bon ben... excuse-moé de t'avoir dit ça... dut conclure Ernst quand il comprit que Elsie ne savait pas trop quoi lui répondre.

-J'ai un chum moi... qu'elle finit par lui dire avant que de raccrocher. Bye...

-Bye...

C'était comme si elle le tuait.

Ernst raccrocha le téléphone, ramassa sa bouteille de Capitaine Morgan et nettoya son plancher.

On n'allait pas le reprendre de sitôt dans une maudite histoire d'amour!

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