La mort d'un homme est une tragédie. La mort d'un million d'hommes est une statistique.
Joseph Staline, Écrits et discours
Des millions d'hommes sont disparus dans les camps de la mort de Staline. Le pergélisol russe enferme leurs corps à jamais. Personne n'ira les déterrer pour les dénombrer. Un holocauste passé inaperçu, dont on entend le lointain écho d'écrivains comme Soljenitsyne, Solomon, Guinsbourg et, bien sûr, Chalamov.
La région de la Kolyma, située à l'Extrême-Nord de la Sibérie, était la plus rude d'entre toutes. Plus de 30% des prisonniers politiques envoyés mourraient dans la première année. Un peu de moins de 100% dans la seconde. La Kolyma: douze mois d'hiver et le reste c'est l'été...
C'est en soi un miracle que Varlam Chalamov ait survécu à la Kolyma. Il y a passé dix-sept années de sa vie pour avoir participé à une manifestation avec l'opposition trotskyste, ensuite pour avoir déclaré que Bounine était un classique de la littérature russe... Ça n'en prenait pas plus en ces années-là pour tomber sous le coup de l'article 58: ennemi du peuple.
L'ennemi du peuple était au bas de l'échelle alimentaire des colonies pénitentiaires staliniennes. On devait le contraindre aux travaux les plus pénibles dans des conditions où même les chevaux mourraient de froid. Ce qui fit dire à Chalamov que l'être humain est le plus fort d'entre tous, puisqu'il survit quand tous les autres animaux préféreraient mourir plutôt que d'obéir aux ordres.
Les voleurs et les truands, les droits communs, pouvaient rosser, dévaliser et humilier ces «caves» articles 58, ces ennemis du peuple fainéants et bons à rien.
Du matin au soir, les articles 58 soulevaient des brouettes avec la sous-ration que Staline leur donnait, de quoi devenir un squelette sur deux pattes dès la première année.
Chalamov a survécu à l'impossible en comblant cette existence vide et morne de forçat avec un sens poétique aiguë.
Les récits de la Kolyma se lisent un peu comme s'ils étaient la version moderne du livre de Job, en moins braillard. Chaque anecdote est un défi pour raviver la mémoire de souvenirs qui ne devraient pas en être.
Car il n'y a rien à apprendre de la Kolyma, rien. Chalamov le répète d'une page à l'autre, sur 1460 pages.
Et curieusement, c'est du grand art qui en ressort. Parce que c'est profondément vrai. Parce qu'en dépit des coups, des humiliations et des blessures, Chalamov préserve l'essentiel, la poésie, ce regard détaché sur les hommes et sur la nature. Cette force stoïque servie par les airelles, les mélèzes, les pins et les nuages de la Kolyma.
S'il n'y avait pas la nature dans les récits de Chalamov, sans doute que ces récits ne nous seraient jamais parvenus. C'est dans la nature que Chalamov trouve son temple pour sortir un moment de cet enfer où ce sont les bons qui sont punis par les méchants.
Dans les camps déshumanisants de la Kolyma, Chalamov peut se passer de chier, d'uriner, de boire et même de manger, puisque c'est comme ça, mais il ne peut pas se passer de poésie.
Voilà pourquoi ces Récits de la Kolyma ont cette saveur poétique. Comme si l'auteur était en paix avec cette mort qu'il a frôlé de près tous les jours de son incarcération. Comme s'il voyait enfin le monde tel qu'il est, sale, dégoûtant, ignoble, avec des airelles sous les mélèzes.
Lorsque parut Une journée d'Ivan Denissovitch de Alexandre Soljenitsyne, Chalamov lui reprocha d'avoir mis un chat dans son récit. À la Kolyma, ce chat n'aurait pas survécu deux secondes de plus et aurait vite terminé dans l'assiette des détenus. D'où le souci chez Chalamov de ne pas engourdir son sujet sous la littérature. Il traite crûment de ses dix-sept années de détention dans les camps de la mort de Staline. Et il en revint démoli à jamais, l'amour, les amis, tout ça ruiné par l'expérience de la Kolyma.
La tragédie s'est poursuivi longtemps après sa libération en 1953, à la mort de Staline.
On n'a pas voulu publier ces récits des camps de la mort en Union soviétique. On a laissé publier quelques poèmes de Chalamov sur les airelles et les mélèzes, mais rien de plus.
Évidemment, les temps ont changé, là comme ailleurs. Le public russophone a maintenant accès à cette oeuvre capitale de leur littérature. Tout comme nous, sur l'autre face de l'hémisphère Nord.
Je pourrais vous citer Chalamov, pour bien faire. Mais Chalamov ne se laisse pas facilement encloisonner.
Aussi, il n'y a rien de mieux que de vous l'approprier vous-même afin qu'il n'y ait plus jamais de camps de la mort comme ceux qu'il y avait dans la Kolyma du camarade Staline.
C'est une lecture capitale pour comprendre le monde dans lequel nous vivons.
Pour nous préserver de toutes les formes du fascisme, national-socialiste ou national-communiste.
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Bibliographie:
Récits de la Kolyma |
Varlam Chalamov |
Traduction du russe par Catherine Fournier , Sophie Benech et Luba Jurgenson Maître d'oeuvre : Luba Jurgenson Postface de Michel Heller Nouvelle édition intégrale Éditions Verdier / collection slava Quelques ressources pour le débutant: Varlam Chalamov -article de l'encyclopédie Wikipédia Site officiel de Varlam Chalamov (en anglais et en russe) Quelques récits traduits en anglais, ici. |
Je peux me tromper, ça m'arrive, souvent même, mais là je crois avoir bien compris une partie de la symbolique de la Génèse. L'horizon de la terre a été copier sur l'ensemble des tiens, fins, colorés, larges et étendus. Bon faut dire que lorsque l'on travaille sur l'horizon, sans avoir encore déterminé l'ordre d'arrivée entre l'oeuf et la poule, on peut se permettre aussi faire passer le futur devant l'passé, non?
RépondreEffacerJ'aime bien Genesis. I know what I like and I'd like what I'd know. Ça n'en prend pas plus pour une omelette. :)
RépondreEffacerDasvydanya.
RépondreEffacerDobro.
RépondreEffacerYo bro!
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