lundi 9 février 2009

LA CÉLÉBRITÉ C'EST PAS GRAND' CHOSE QUAND ON Y PENSE RIEN QU'UN PEU


Gendron retourna son corps d'armoire à glace vers le cornet du téléphone.

-Oui allo? dit-il, la gueule pâteuse.

-Salut Gendron, c'est Linda. Y'a un préposé qui est pas rentré ce matin en orthopédie... Pourrais-tu rentrer le plus tôt possible s'il-vous-plaît?

-Hee... Ouin... répondit-il.

Ils l'avaient appelé à huit heures et quart du matin pour rentrer au travail à sept heures du matin, maudite affaire.

Hostie que ça commençait mal!

Déjà une heure et quart de retard, sans compter le temps de prendre une douche, d'avaler une bouchée, de boire une gorgée de café et de s'envoyer quelques cachets d'aspirine par derrière la cravate.

Gendron revenait d'une rumba qui s'était terminée à trois ou quatre heures du mat' au bar étudiant de l'université. Il faut dire que Gendron était étudiant en sciences politiques à cette université et qu'il gagnait ses études en travaillant à l'hôpital universitaire comme d'autres jouent au football pour les mêmes raisons.

Dure vie d'un préposé aux bénéficiaires sur appel. Tu es toujours à la merci du travail qui te tombe dessus à toute heure du jour, dont à l'heure où tu cuves encore ton vin.

Maudite boisson... Gendron avait vingt ans, voyez-vous. À huit heures et quart un dimanche matin, c'est possible qu'un vingtenaire ait fêté un peu, sans quoi sa vie serait un peu triste. Et Gendron fêtait plus qu'un peu. D'où les aspirines. Et le fait qu'il soit en tabarnak d'aller travailler comme un fucking yesman à toute heure du jour ou de la nuit, «sur appel» comme ils disent.

Gendron était donc rentré au travail, à neuf heures pile, avec deux heures de retard sur le plan de match.

Professionnel comme pas un, il s'est crissé un sourire dans la face et a fait sa job en faisant des jokes à tout un chacun pour détendre l'atmosphère. Laver le cul de quelqu'un, veut, veut pas, faut que tu fasses ça comme si tu faisais ta routine à l'étable, en riant, sans capoter. Comme ça les bêtes se tiennent tranquilles, tu leur donnes leur avoine et la vie est belle. Puis tu sers quelques bonnes paroles pour tout un chacun en apprenant à connaître leur passion. Comme le barbier qui parle de politique, de sport, d'automobile ou de lampadaires selon ce qu'il perçoit chez celui qu'il tond, l'humain qui lui rapporte son salaire.

-Ça va bien m'sieur Corbin? Parce que si ça va mal j'pourrais toujours m'essayer à vous conter une joke...

-Enwèye don' mon toé chose!

-Ok... Ben c't'une fois... hee... Finalement j'm'en souviens p'us. En avez-vous une vous m'sieur Corbin?

Et là monsieur Corbin de raconter une joke de gars qui monte au Ciel et qui se fait dire par Saint-Pierre que la porte est jammée et de crisser un coup de pied dedans ou quelque chose du genre.

Donc, c'est tout un art que de torcher un cul en gardant le sourire pour détendre l'atmosphère. Un art de barbier. Et Gendron, que voulez-vous, ça il l'avait. En plus d'être fort comme un boeuf. Car il fallait être fort comme un boeuf pour faire cette job-là. Les machines ne font pas tout. Ça prend des bras dans les hôpitaux, pour toutes sortes de raison.

Enfin. Gendron a fait sa job avec brio. Et il a bien mérité sa pause à onze heures, après deux heures de gymnastique intensive. Il prit un autre café. Puis comme il vint pour s'asseoir avec le personnel médical du département, voilà qu'on vint le demander en renfort pour la chambre 308, à l'étage au-dessous.

Gendron est parti à la course vers la chambre 308. Boum, boum, boum, il déboula l'escalier quatre à quatre.

Chambre 308. Gendron avait devant lui un ancien grand ministre de tel ou tel gouvernement, une figure historique quoi, un gars que tu voyais presque tous les jours à la télé pour rappeler telle ou telle époque, enfin bref un grand politicien québécois.

C'était pour lui qu'on avait demandé du renfort. Il avait sauté une coche, le pauvre. Il hurlait à mort et s'était barbouillé le crâne avec ses propres excréments. Il s'était détaché de ses contentions. Et il fallait le rattacher, lui injecter un calmant et le débarbouiller. Ce qui fut fait en deux temps trois mouvements.

Gendron était comme un as du rodéo dans ce genre de travail. Zipzap, il vous attrapait un gus et l'attachait en un rien de temps. Le débarbouillage, ensuite, n'étant plus qu'un travail de finition, comme l'époussetage des cheveux pour le barbier.

Le pauvre gus avait manqué d'oxygène au cerveau suite à une crise cardiaque et il n'était plus lui-même. Il hurlait nuit et jour en commettant des actes insensés, d'où les contentions. Le politicien célèbre était devenu dément.

Gendron avait vingt ans. Et il ne voyait plus les sciences politiques de la même manière. Et ce n'était pas juste à cause de la boisson.

-C't'une christ de job, préposé aux bénéficiaires... Tu voés des affaires qu't'aurais jamais cru vouère, même dans les films!

Sacré Gendron, hein?

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