vendredi 27 février 2009

Le Carême de Jacob


«Il n'y a rien d'intéressant sur la terre que les religions», écrivait Baudelaire dans son journal intime. Ce n'est pas tout à fait faux. J'ajouterais que les humains, pour tous les mystères qu'ils cachent par tête de pipe, sont d'autant plus intéressants.

Voilà pourquoi je veux vous parler de Jacob, le concierge de la Taverne des Joyeux Naufragés, qui généralement permute son salaire en pichets de bière. Jacob profite aussi d'un misérable loyer qui ne lui coûte rien puisqu'il est situé juste au-dessus de la taverne: une gracieuseté de son patron qui y trouve son compte, évidemment. C'est une chambre miteuse avec une douche en plastique noire de crasse. Ce qui fait que Jacob vit en quelque sorte dans la taverne et qu'il en est l'âme en défaut d'en être le propriétaire.

Jacob est un petit métis haut comme trois pommes, moitié juif, moitié iroquois. Bien qu'il soit chétif, il dispose de nerfs d'acier pour les travaux manuels: peinture, lavage de plancher, nettoyage du bol de toilettes et tout le reste.

Jacob travaille lentement mais bien. Et, de plus, il ne coûte pas cher. Ce qui fait que ce deal convient tout à fait au gros Mario, le proprio, un ancien gars de shop qui veut faire la piastre et qui se plaint de ne pas pouvoir ajouter une autre machine à sous dans son tripot compte tenu des nouvelles règles de Loto-Québec.

C'est que le monde ne se saoule plus dans les bars comme avant, du temps où l'on pouvait fumer à l'intérieur, ne cesse d'affirmer le gros Mario. Et le jeu représente au moins 50% de son revenu, au gros Mario. Il se sent comme si le gouvernement essayait de le ruiner, de l'obliger à vendre sa maison pour loger dans un petit studio avec une douche en plastique noire de crasse, ce qui est tout à fait inhumain.

Jacob joue rarement. Il est toujours cassé. Après avoir converti sa paie en pichets de bière et épuisé tout son crédit, Jacob reste au comptoir du bar, comme un goéland, attendant qu'un client lui jette quelques alcools ou psychotropes illégaux pour fraterniser. Jacob accepte tout sans sourciller, comme si ça lui revenait de droit. N'est-il pas l'âme de la Taverne des Joyeux Naufragés?

J'oubliais de vous dire que Jacob est vaguement chrétien. Il se saoule la gueule à tous les jours de l'année, sauf pendant le Carême. Ce qui fait qu'il est l'alcoolique le plus insolite que je connaisse.

Le Carême est commencé depuis mercredi dernier.

Comme les années précédentes, Jacob ne boira que de l'eau pendant quarante jours pour rendre hommage à son idole. Ce qui est presque attendrissant, je l'avoue.

Pendant quarante jours, Jacob, le roi des pochards, celui que tout le monde finit par ramasser couché sur le trottoir, en train de dégueuler, ce Jacob qui boit, fume et sniffe tout ce qu'il peut trouver, eh bien vrai comme je suis là, ce Jacob ne prendra rien d'autre que de l'eau, des graines et des raisins séchés pendant quarante jours, jusqu'à Pâques. Évidemment, il fume tout de même la cigarette pendant le Carême, mais avec plus de modération. Pas plus de dix cigarettes par jour. Et je vous jure qu'il va les faire ses quarante jours de jeûne sans alcool, religieusement.

Puis viendra Pâques, le jour de la résurrection. Et là, tenez-vous bien, on se passe le mot à la taverne, Jacob va se la saouler en tabarnak.

Le lundi suivant Pâques, sûr que vous verrez Jacob recouvert d'ecchymoses, la langue pâteuse, les yeux mi-clos, la diarrhée au cul et tout le reste.

Ce sera la fin du Carême pour Jacob et la vie pourra suivre son petit train-train quotidien.

Alléluia mon Jacob! I drink to that.

1 commentaire:

  1. faudrait faire un remake d'"un jour sans fin", mais à paques.
    vec tom waits dans le role de jacob, et iggy pop dans celui de mario.

    RépondreEffacer